CHAPITRE II

J’écoutais, les yeux clos, boudeuse. Le barbu, nommé Andréa, m’avait volé ma Légende et la racontait à Alik, à peu près avec les termes que j’avais utilisés. De toute évidence, quelqu’un de mon village était venu jusqu’ici autrefois et avait bavardé… à moins que ce ne fût le contraire !

Ou peut-être Andréa n’avait-il pas menti, et tous les villages, et toutes les cités des Tueurs avaient puisé leur origine ici, d’une population qui, à la fin trop importante, avait essaimé de tous côtés.

De toute façon, la Légende du barbu était mienne. Et cela me révoltait.

Ils s’étaient entendus dès leur première rencontre, et Alik s’était désintéressé de moi pour ne plus s’occuper que des révélations du barbu. Révélations qui, pour l’instant, n’étaient pas autre chose que les miennes : le combat des deux Lunes artificielles sous l’œil indifférent de la troisième… la destruction de toute vie humaine sur la Terre… et pendant des années et des années une planète déserte autour de laquelle tournaient trois Lunes, dont deux peuplées de cadavres, et l’autre déserte.

Ma Légende s’arrêtait là, car elle n’indiquait pas comment la Vie humaine avait repris naissance sur la Terre.

Alik avait écouté avec beaucoup d’attention, sans interrompre une seule fois le récit, mais là, alors que, lasse de ma torpeur, j’entrouvrais les yeux, je vis qu’il secouait la tête et il dit :

— Toutes les Légendes que j’ai entendues sont à peu près conformes à la tienne. Leur conclusion est toujours la même : l’humanité avait disparu. Le problème qui me préoccupe est celui-ci : d’où venons-nous, nous, les nouveaux Humains ?

— D’ici, répondit Andréa le barbu.

— Il y avait donc des survivants ?

— Aucun.

— Voyons, fit Alik avec impatience… On peut admettre que quelques Humains aient échappé à la catastrophe.

— Non, répondit le vieillard. Pas un seul. Quelques animaux ont réussi à survivre, j’ignore pourquoi. Pas un homme, pas une femme, pas un enfant.

— Alors ?

L’autre hésitait, hochait la tête.

— Ce serait plus facile si tu n’étais pas un Tueur, murmura-t-il.

— Quel rapport ? Et d’abord, je ne suis pas un Tueur. J’ai repris mes armes, certes, mais uniquement pour me défendre le cas échéant.

— Je sais. Tu es un Tueur qui ne tue pas. Peu à peu le monde s’harmonise. Quelques centaines d’années encore, et l’humanité redeviendra ce qu’elle a été autrefois. Tueurs, ayatolls, limaces, tout cela se brassera et reproduira l’être humain, ni trop féroce ni trop lâche… sauf quelques exceptions.

— Tu n’as pas répondu à ma question. Comment l’humanité s’est-elle reformée sur la Terre, puisqu’elle en avait totalement disparu ?

Le vieillard caressait sa barbe, souriait.

— Et si je te demandais comment elle s’y est formée pour la première fois ?

— Je ne sais pas, avoua humblement Alik.

— Et moi pas davantage. Mais ce que je sais, c’est comment elle a surgi du néant pour la seconde fois. Écoute-moi, Tueur qui ne tue pas.

Et moi aussi, j’écoutai, prise au piège de la curiosité.