FINAL

Abram était vieux, aussi, lorsqu’il parvint au sommet de la colline, le souffle lui manqua. Il s’assit sur un rocher. Il devinait que, du village, des femmes s’étonnaient de son initiative : celles qui, de jour, surveillaient le sentier. De nuit, on postait des veilleurs sur la crête.

Tout de suite, il aperçut Clara, à l’orée de la forêt. Il la plaignait de tout son cœur. Car, ou bien elle ne retrouverait pas Alik – et comment subsisterait-elle avec son jeune enfant ? – ou bien Alik l’attendrait, Alik le Tueur – et les Tueurs égorgent toujours les limaces avec lesquelles ils ont fait l’amour.

— Alik ! Attends-moi !

Elle n’avait pas osé appeler plus tôt car elle redoutait que ceux du village, s’ils la pourchassaient, ne cherchent à se débarrasser de l’enfant.

— Alik ! Attends-nous !

Elle avait disparu sous la voûte de feuillages. Pauvre jeune femme ! Dans la forêt, la voix ne porte pas loin, et comme Alik avait marché très vite…

— Alik ! Alik ! Attends-nous !

Abram se leva, hocha la tête, et se disposait à descendre vers le village, le cœur gros, quand une autre voix répondit, avec un accent de joie sur lequel on ne pouvait se tromper :

— Clara ! Je t’attendais ! Ne bouge pas, j’arrive…

L’ombre du Tueur s’était donc dissipée… mais pour combien de temps ?

Abram tourna le dos et revint vers les siens. Tout en marchant avec prudence sur le sentier rocailleux, il tentait de chasser sa tristesse. Qui pouvait deviner ? Peut-être la crise ne se reproduirait-elle plus jamais ? Peut-être Alik et Clara parviendraient-ils à gommer le Tueur dans l’esprit de Vani ? Peut-être… Qui savait ?

Mais au fond de lui, il n’y croyait guère. Sa longue expérience lui avait appris que chaque être humain couve au fond de lui des instincts ancestraux qui, parfois, bousculent toute éducation et toute volonté.

Quand il arriva au village, deux femmes l’interrogèrent en tremblant :

— Il l’a tuée, n’est-ce pas ?

— Non, répondit-il, la tête basse.

Et pour lui-même, avec tristesse :

— Pas encore…

FIN