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Le matin suivant, deux drakkars levèrent l’ancre, emportant deux cents Maags vers le nord. Narasan jugea que c’était une force insuffisante, mais Skell sembla s’en satisfaire.
— Narasan, expliqua Sorgan, mon cousin joue simplement les éclaireurs. Sa mission est de nous montrer le chemin et de repérer le terrain. Pour ça, il n’a pas besoin d’un régiment. Comme nous le suivrons de près, il ne restera pas longtemps seul là-haut…
— J’admets que c’est bien raisonné…
— Tu es maladivement anxieux, mon vieux !
— Déformation professionnelle, cher ami… Au fil des ans, j’ai retenu une leçon : quand une situation peut mal tourner, elle ne s’en abstient jamais !
— Skell a deux atouts dans sa manche, si ça venait à chauffer.
— Vraiment ?
— Arc-Long et Barbe-Rouge sont du voyage. Aucun de nous ne voudrait se frotter à eux, pas vrai ? Ce fichu archer me donne la chair de poule. Quoi que je fasse, il a dix longueurs d’avance sur moi.
— Quelqu’un a-t-il pensé à prévenir Zelana que ses deux gardes du corps partaient avec Skell ?
— Pourquoi ne pas laisser Veltan s’en charger ? proposa Sorgan.
— Une idée géniale ! approuva Narasan.
— Je voudrais ton avis, général… Amènerons-nous les paysans ? Ils ne sont pas très bons, tu sais…
— On devrait quand même les accepter. Veltan veut qu’ils s’impliquent, et c’est lui qui nous paie. Keselo entraîne les fermiers. Selon lui, ils s’améliorent. Au début, ils n’auraient pas embroché une vache coincée dans un couloir, mais ça va mieux. De plus, il s’agit de leur pays, et ils ne nous gêneront pas trop.
— Je déteste me battre avec des amateurs, gémit Sorgan. On ne sait jamais à quel moment ils détaleront comme des lapins.
— Nous les tiendrons à l’écart tant qu’ils ne nous sembleront pas fiables. Ensuite, on leur organisera un petit baptême du feu. Personne n’est génial lors de son premier combat, mais les progrès viennent avec l’expérience…
— Tu dois avoir raison… Il n’existe pas de guerrier-né, à part peut-être Arc-Long. Ce gaillard a dû se faire les dents sur des pointes de flèches, quand il était bébé.
— Où en sont nos réserves de venin ? Chez Zelana, ça nous a donné un sacré avantage.
— Il en reste assez pour tuer d’autres hommes-serpents et renouveler notre stock.
— Il faut un moment pour s’habituer à cette idée : un ennemi qui vous fournit l’arme idéale pour le vaincre ! Voilà qui ne court pas les rues…
— Pas quand l’adversaire est intelligent, souligna Sorgan. Par bonheur, les monstres du Vlagh ne connaissent même pas le sens de ce mot…
Globalement, Narasan était satisfait de leur ébauche de plan. La guerre dans le Domaine de l’Ouest lui avait appris qu’il valait mieux ne rien graver dans le marbre quand on affrontait les monstres des Terres Ravagées. Individuellement, ces créatures étaient stupides au-delà du possible, mais leur véritable ennemi, au Pays de Dhrall, n’était pas un unique chef de guerre. Si le concept de conscience collective lui paraissait étranger – voire absurde –, le général avait découvert, très récemment, que ça n’était pas une raison suffisante pour le rejeter – et encore moins pour le négliger.
Par bonheur, ils avaient de l’aide. Mais qui la leur fournissait ? La crue qui avait noyé tant de monstres, dans le canyon, semblait naturelle. Si elle avait été aussi violente chaque année, les Dhralls auraient-ils construit un village sur sa trajectoire ? Considérant leur intelligence, le général en doutait.
Veltan et sa famille, à l’évidence, avaient des pouvoirs fabuleux. Pourtant, au moment de l’éruption volcanique, le maître du Sud avait été surpris, comme tout le monde. Sinon, il ne serait pas venu les avertir en catastrophe qu’il était temps de filer.
On les aidait, c’était certain. Même sous la torture, Narasan n’aurait su dire qui – ou quoi – les assistait.
Toute sa reconnaissance était acquise à cet allié inconnu. Cela dit, connaître son identité lui aurait permis de mieux respirer…