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Après la décrue, le temps se réchauffa. Malgré l’humidité omniprésente, Narasan jugea les conditions assez favorables, quand ses hommes et lui s’engagèrent sur la corniche sud du canyon.

A mesure qu’ils approchaient de la source de la rivière, les arbres devinrent plus petits et la végétation se fit plus rare. Ici, l’environnement semblait beaucoup moins hostile, et un gentil ruisseau, au fond du canyon, serpentait au milieu d’une jolie vallée entourée de sapins.

Arc-Long guida Narasan, Gunda, Padan et Jalkan jusqu’à la brèche d’où ils purent contempler les Terres Ravagées qui s’étendaient de l’autre côté des montagnes. Puis il leur montra une crête rocheuse, à environ un kilomètre de leur position.

— Ils arrivent, dit simplement l’archer.

Les yeux ronds, le général regarda apparaître une incroyable meute de monstres.

Sorgan et ses pirates arrivèrent peu après. Le capitaine maag fut également troublé par la taille de l’armée ennemie.

Puis Keselo fit une découverte qui changea tout. La pente couverte de sable qui conduisait au désert était en réalité un escalier composé de blocs de pierre. Avec ce matériau de construction, les défenseurs purent bâtir, dans la brèche, un fortin quasiment inexpugnable.

Peu après l’aube, le lendemain, un rugissement inhumain retentit dans le désert, et des milliers de monstres se ruèrent à l’assaut.

Les archers d’Arc-Long se placèrent en première ligne dans le fortin et firent un massacre, leurs volées de flèches assez denses pour oblitérer la lumière du soleil, tel un rideau de fer et de bois.

Comme s’ils ne craignaient pas la mort, les monstres du Vlagh continuèrent à charger aveuglément. Les voyant tomber par dizaines, Narasan jugea que cette étrange guerre se déroulait du mieux possible…

 

L’après-midi, Veltan leur rendit visite pour s’entretenir avec Arc-Long d’un point qui le tracassait. Pendant qu’ils avançaient dans le canyon, les Trogites n’avaient pas vu l’ombre d’un monstre. On eût dit que l’ennemi avait voulu les laisser atteindre la brèche.

Narasan sentit aussitôt un frisson glacé courir le long de sa colonne vertébrale. Une fois encore, il s’était laissé piéger comme un débutant !

Utilisant des tunnels pour passer derrière eux, les créatures du Vlagh les avaient bel et bien coupés de leur base. Un détachement de Maags commandé par Bovin, pris dans une embuscade, avait subi de lourdes pertes en quelques minutes.

Narasan estima urgent d’avoir un entretien tactique avec Sorgan. Jusque-là, l’ennemi avait toujours eu un ou deux coups d’avance sur eux, et il était temps que ça change.

Les deux hommes conclurent que la tactique « souterraine » des monstres rendait obsolète leur plan original. Face à une situation imprévue, ils allaient devoir improviser.

Ils s’attelaient à trouver des solutions quand un grondement sourd préluda à un tremblement de terre si violent qu’ils eurent du mal à tenir sur leurs jambes.

Dans un roulement de tonnerre assourdissant, Veltan réapparut et leur cria de filer au plus vite s’ils voulaient sauver leur peau et leurs hommes.

A ce moment, Barbe-Rouge, qui surveillait l’extrémité du canyon, lança un avertissement qui contribua à leur donner des ailes.

— Une montagne de feu ! Sauve qui peut !

 

Depuis leur rencontre, c’était la première fois que Narasan voyait Barbe-Rouge perdre tout sens de l’humour. Avec deux volcans jumeaux occupés à cracher de la lave et des rochers chauffés au rouge, cette réaction, concéda le général, semblait pour le moins excusable. D’ailleurs, nota-t-il, ses soldats non plus ne riaient pas beaucoup en fuyant à toutes jambes vers Lattash et la baie où les attendaient leurs bateaux.

Quand ils atteignirent les fortifications intermédiaires de Skell, Narasan s’arrêta de courir. L’ouvrage bâti avec d’énormes rochers courait d’une berge du canyon à l’autre. L’étroite ouverture qu’on avait prévue au centre, pour que la rivière continue à couler, ne laisserait pas passer beaucoup de lave. Construites pour arrêter des monstres, ces défenses seraient au moins aussi efficaces contre un adversaire liquide.

Quand les premières coulées de lave déferlèrent sur la muraille de roche, un nuage de vapeur bloqua la vue du général. Jurant entre ses dents, il avança sur la corniche jusqu’à un endroit où il put de nouveau apercevoir la face extérieure du mur défensif.

S’il y avait toujours de la vapeur, il ne vit pas de lave traverser l’obstacle. Au contact de l’eau, elle se retransformait en pierre, renforçant les fortifications de Skell – devenues à présent un barrage.

A cet instant, le général eut de sérieux doutes sur le caractère naturel de l’éruption volcanique et des événements subséquents.

Considérant la température de la lave, l’eau retenue au pied du barrage de Skell aurait dû disparaître entièrement. Mais il n’en était rien, comme si quelqu’un – ou quelque chose – la remplaçait à mesure qu’elle s’évaporait.

Le général soupira de soulagement. Grâce au barrage, et à la mystérieuse rematérialisation de l’eau, ses hommes et lui gagneraient la lave de vitesse.

Une fois sur la plage, ils rameraient jusqu’aux navires et échapperaient à cet enfer.

L’armée survivrait, même face à une catastrophe jaillie des entrailles de la terre pour tout dévaster sur son passage.

En soi, c’était déjà une sacrée satisfaction…