Marie l’aperçut de loin.

De très loin Marie l’aperçut.

Elle l’a tout de suite reconnu, tout au bout de la rue, dévalant vers elle. Des ondes circulent dans son corps ; elle les ressent dans sa nuque, dans ses bras, dans sa poitrine. Elle ne sait plus qui remercier.

Son visage irradie. Elle murmure :

« C’est toi, mon amour. »

Les mots renaissent. L’œil voit plus clair. Les mains se mobilisent, les doigts se tendent. Elle voudrait chanter, célébrer tout ce qui remue et rythme l’univers. Elle se contente de savourer ce bonheur, de s’en délecter, de se couler dans cette houle de joie que la vie lui offre. Il lui suffit – tandis que Steph court vers elle – de se laisser porter, transporter par cette rivière heureuse.

Steph se rapproche, Steph grandit à chaque foulée. Marie s’ancre dans la vie, s’amarre à l’existence aussi fort qu’elle peut. Leur amour aura lieu. Ils vont bientôt se réunir, se rejoindre. Son corps ne la trahira pas. Elle lui fait confiance.

Quelques minutes, quelques minutes encore : l’amour est en chemin. Elle y croit tellement. Tellement.

À leur stupéfaction Anya et Anton viennent de reconnaître le jeune homme qui descend la pente en courant, son chandail bleu capte la lumière. Comment est-ce possible ? Elle était sûre de l’avoir vu disparaître. Pourtant il est là. Bien là. C’est lui, Steph, elle ne peut en douter. Anya se rapproche pour maintenir Marie bien adossée contre elle, presque assise.

« Tu vois, petite, je te disais qu’il viendrait… »

Anton, debout, fait de grands signaux vers Steph pour lui indiquer la place où ils se trouvent. Sans prendre garde, ce dernier poursuit, à toute vitesse, sa course en avant.

« Bientôt, bientôt il sera auprès de toi », répète Anya.

Steph fonce droit devant lui, en direction de l’immeuble, sans apercevoir le petit groupe tassé au bord du trottoir.

« Par ici, par ici jeune homme ! » hurle Anton.

Steph continue de courir tout droit sans rien voir. Anton descend au beau milieu de la chaussée ; jambes et bras écartés, il occupe toute la place. Il crie, il multiplie les signaux :

« Ici. C’est par ici. »

Steph se demande pourquoi ce vieil homme cherche à lui barrer passage.

Steph s’immobilise. Lui et Anton se font face.

« Pourquoi m’arrêtez-vous ? Qu’est-ce qui se passe ? Je suis pressé.

— Venez. C’est par ici. »

Steph ne comprend pas.

Anton lui saisit le bras.

« Ce n’est pas la peine d’aller plus loin. C’est ici. »

Le temps reste en suspens.