À bout de souffle Anya venait de déboucher sur la grande rue.

De loin elle aperçut Anton de dos, faisant face à un homme portant une mitraillette.

Maîtrisant sa peur elle se hâta, le cœur battant, vers le lieu de l’accident.

Le jeune homme s’était éloigné au pas de course. Quand Anya arriva, elle se jeta dans les bras d’Anton. Elle palpa ses épaules, sa poitrine, ses mains, s’assurant que rien ne lui était arrivé durant son absence. Elle frotta sa joue contre la sienne, se blottit contre lui :

« J’ai eu si peur. Si peur. Tu vas bien ?

— Moi, je vais bien, tu t’inquiètes toujours… Mais tu reviens seule, pourquoi ? » murmura-t-il, la prenant à l’écart.

À voix basse elle raconta la foule, l’autocar, le jeune homme grimpé sur le marchepied puis disparaissant à l’intérieur du véhicule.

« Tu n’as pas pu l’atteindre. Tu ne lui as rien dit ?

— Rien. »

Elle raconte, elle parle, Anton essuie les larmes sur ses joues.

« J’ai crié. Il n’a rien entendu. J’ai brandi la photo, j’ai hurlé "le chandail bleu". J’ai appelé "Steph ! Steph !". J’étais noyée dans la foule, le vacarme. Il s’est sûrement découragé, il croyait avoir attendu en vain ; l’heure était passée. »

Ils s’accroupirent tous deux autour de la jeune femme. Celle-ci respirait à peine. Il n’y avait aucune chance de la sauver, Anton l’avait su dès le début.

Anya se pencha, souffla son haleine tiède sur la joue blafarde, y posa un baiser, frôla les cheveux, dégagea l’oreille. Toute à sa déception, à son chagrin, elle avait oublié l’homme à la mitraillette. Elle y repensa soudain : « Qui était cet homme ? Il te menaçait ?

— Non, non… Il est parti chercher une ambulance.

— Tu l’as cru ?

— Je le crois. Il était bouleversé. Ne t’inquiète pas. »

Elle serra la main d’Anton, celui-ci fit de même. L’angoisse se dissipa.

Ensemble ils sauraient ce qui resterait à faire. Au fur et à mesure, ils le sauraient.