Marie épouse ses mouvements, accepte de vaciller, de s’effondrer lentement. Elle effectue une torsion, se retourne, se courbe en arrière, en avant, pivote doucement, comme au cinéma durant les séquences au ralenti. Sur l’écran elle aimait ces mouvements circulaires de la caméra, l’allongement du geste, l’étirement des images, l’adagio fantomatique, la prolongation du temps.
« Je me joue la "mort au ralenti" », se dit-elle et ne put s’empêcher d’en sourire.
Éprouvant dans sa chair cet éboulement, ces glissements successifs, elle se vit sur une toile esquissant avec grâce la danse de la mort. Le sourire se plaquait encore sur ses lèvres.
« Le central téléphonique a sauté, continuait Steph dans sa lettre, toutes les lignes sont interrompues. Plus rien ne fonctionne. Je sais où tu habites, un ami sûr te portera cette lettre. Je m’assurerai qu’elle te soit parvenue. Je porterai ton pull-over bleu, celui de cette photo. "Remember me." Tu m’apercevras dès que tu déboucheras de la grande rue… Je ne viens pas te chercher chez toi, pour te laisser la liberté de ton choix. Tu arriveras, ponctuelle, comme à ton habitude, à midi juste. Mais au bout d’une heure d’attente, si tu ne viens pas, je comprendrai que tout est définitivement rompu. Que tu as pris d’autres décisions, d’autres chemins. Je t’aime. »
Avant de toucher le sol et de s’effondrer, Marie parvint à tirer l’enveloppe et un crayon de la sacoche. Elle griffonna, en lettres tremblantes : « Je venais. Je t’aime. »
L’espoir d’y arriver en personne s’était volatilisé.