Autour du pont l’agitation est à son comble.
Anya se dresse sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir le jeune homme au chandail bleu.
Soudain, elle le voit, il est là, un peu plus loin, assis sur le muret comme il l’avait écrit.
Elle voudrait l’appeler, mais son cri se perdrait dans le tohu-bohu de cette foule. Elle approche, se fraye un chemin avec les coudes. Personne ne lui cède passage. Elle avance comme dans les cauchemars, les membres ligotés. Elle lance son cri :
« Vous, là-bas, assis près du pont… Steph ! »
Sa voix se noie dans le vacarme.
Des gens de tous âges fuient la ville et se pressent en direction du pont. On aperçoit, de l’autre côté, des camions en attente qui emmèneront les réfugiés vers des campements installés en toute hâte. Parfois une automobile, ou un taxi, pleins à craquer, traversent le pont en klaxonnant.
Anya regarde sa montre. Il est bien plus d’une heure. Le temps du rendez-vous est largement dépassé.
La plante de ses pieds la brûle. Anya cherche son souffle au fond de sa poitrine, elle a du mal à le saisir. Engluée dans cette masse mouvante, elle est comme vissée sur place. Chaque seconde perdue la désespère.
Elle supplie qu’on lui cède le passage. La foule forme un troupeau, des centaines de corps, avec une seule tête, une seule volonté : celle de fuir.
Elle pousse, elle cogne, elle injurie. Ça ne lui ressemble pas. Personne ne la reconnaîtrait, même pas elle-même ! Elle bataille, elle s’enrage, elle combat avec énergie.
« Laissez-moi passer. Je dois passer. C’est urgent. »
On la freine, on la retient :
« C’est urgent pour chacun.
— Quelqu’un se meurt.
— Des centaines sont morts. »
Elle griffe, elle repousse, elle fonce. Ses cheveux sont hirsutes, dénoués. Elle a une tête de méduse, de sorcière. Elle avance en cognant.
Elle s’extrait enfin de la foule et accède à l’entrée du pont. Elle n’est plus qu’à quelques pas du parapet où elle a entrevu, il y a quelques minutes, le jeune homme au chandail bleu.