Tandis que son corps la lâche, Marie se souvient :

« Je ne serai pas ta routine. »

Et Steph de rétorquer :

« Je ne deviendrai jamais ton habitude. »

Il avait fallu toute l’attention d’Anton pour lui trouver une position confortable, sur le dos, la nuque légèrement soutenue. Par instants, la douleur la quittait, puis elle réapparaissait comme un glaive fouillant sa chair.

À travers une brume, ayant aperçu le jeune homme à la mitraillette, elle avait tremblé pour Anton. Puis, tout s’était passé. Elle se souvenait encore des yeux presque compatissants de l’étrange guerrier penché au-dessus d’elle, scrutant son visage.

Anya avait disparu depuis longtemps. Puis elle était revenue, mais seule. Que s’était-il passé ? Steph avait-il lu son message ? Savait-il à présent pourquoi elle n’avait pas pu le rejoindre ?

Rien, dorénavant, ne se transformerait en habitude ou en routine, elle en était certaine.

Elle se laissait convaincre que la vie s’offrirait à nouveau et qu’ils la saisiraient, ensemble, à pleins bras, à pleins corps.

Marie fixa le vieux couple avec tendresse. Elle souhaitait plus tard leur ressembler ; elle tenta de le leur dire. Ses mots s’effritaient en chemin.

À genoux auprès d’elle, ils murmuraient tous deux à voix inaudible. Ensuite la femme se pencha un peu plus, repoussa les cheveux de Marie pour dégager son oreille, s’apprêta à parler. Qu’attendait-elle ?

Marie patienta, espérait entendre :

« Je l’ai vu. Il a votre message. Il sait tout. Il arrive. »

Marie aurait voulu entonner tous les chants d’amour dont elle se souvenait. Elle aurait aimé effacer tous les sarcasmes, tous les doutes, toutes les craintes, toutes les inquiétudes. Elle s’alliait et se reliait à cet amour orageux mais robuste ; déroutant mais tenace. Elle accepterait ses chemins escarpés, ses moments abrupts, ses colères ténébreuses, ses humeurs, ses errements, ses complexités, ses subtilités, ses chicanes, ses querelles, ses démêlés, ses vides. Elle ne se soucierait plus du jugement des autres. Que savent-ils de l’amour ceux qui croient que celui-ci n’offre que des terres paisibles et rassurantes ? ceux qui pensent que la jouissance, l’euphorie des corps suffisent ? ceux qui ignorent que l’amour se perpétue au-delà des sens, qu’il s’enracine à la fois dans la volupté et dans Tailleurs ? que l’amour tient du toucher, de l’odorat, du goût, de tous les sens, mais va plus loin encore ? Mystérieux comme la vie, pétri de folie et de sagesse. Marie voudrait chanter l’amour, le bel amour ; chanter tout ce qui se bâtit dans le mystérieux combat de la lumière et des ombres, chanter ce désir d’être dans sa peau et hors de sa peau…

Pourquoi Anton et Anya tardent-ils à lui parler ? Elle cligne des paupières pour solliciter une réponse. Ils chuchotent encore.

Marie prend peur. Si Steph, après avoir réfléchi, avait renoncé à leur rendez-vous ?

S’il avait décidé de ne plus la revoir ? Si leur aventure s’était terminée là, pour toujours…