Marie s’agitait, haletait, respirait de plus en plus mal, tentait de toutes ses forces de se maintenir en vie jusqu’à l’arrivée de Steph.

Par instants, elle était convaincue qu’elle n’y parviendrait pas. La blessure était grave, elle le sentait bien, malgré ses efforts pour la sauver, le vieil homme n’y pouvait plus rien. À d’autres moments, elle se persuadait qu’elle allait vivre et vaincre l’aveugle mort.

Elle souhaitait surtout être encore vivante pour l’arrivée de Steph et partager avec lui quelques minutes. Elle devait s’y appliquer, se rassembler, tenir le coup ; s’ancrer à l’existence jusqu’à cette dernière rencontre.

Elle respirait le plus calmement possible, ménageant son énergie, s’agrippant à l’espoir, tandis que l’existence s’effritait, s’émiettait comme du sable.

Son travail de tant d’années, ses photos récoltées aux quatre coins du monde ne lui appartenaient plus. Les chagrins s’effaçaient, les succès s’éclipsaient. Tout s’éloignait, tout paraissait vain. La vie n’était que bref passage sur cette mystérieuse planète qui continue de pirouetter, imbue de son importance, comme une danseuse étoile sur la scène des astres ! Comment peut-on se prendre au sérieux quand l’existence est si éphémère et qu’elle ne cesse de courir vers sa fin ?

Marie s’élançait pourtant avec passion vers de nouvelles aventures, vers de nouveaux projets ; l’absurde vie s’illuminait sans cesse de lueurs et d’étincelles. L’élan renaissait, justifiant l’existence et l’émerveillement d’être au monde.

Marie s’était mise à croire de plus en plus fort à l’arrivée de Steph.

Elle s’attendait à le voir surgir d’un instant à l’autre, les coudes au corps, dévalant la grande rue. Magnifique, rayonnant, se précipitant jusqu’à cet endroit où elle gisait étendue, enveloppée dans le châle multicolore d’Anya.

Elle souhaitait qu’on la redresse pour ne rien perdre de cette course. Elle remua et gémit pour se faire comprendre.

Anya comprit. Aidée par Anton, avec d’infinies précautions, elle la fit asseoir face à la rue, et s’installa derrière elle, les jambes écartées, l’adossant contre sa poitrine. La rue s’étalait, large, visible.

« C’est bien, mes yeux voient encore », se dit Marie.

La plaie saignait toujours. Les lambeaux de la chemise blanche qu’Anton avait transformée en pansements, étaient maculés de sang.

« Ma petite fille, tu verras comme il t’aime », lui souffla Anya.

Marie ne fut plus que ce regard tendu vers l’horizon.