Marie ne bouge presque plus. Marie respire à peine.
Pour lui parler, il faut utiliser peu de mots : des mots simples, des mots essentiels, qui vont du cœur au cœur. Des mots qui se glissent, petit à petit, avec leurs consonnes, leurs voyelles, dans le corps et la pensée de Marie. Des mots qui deviendront la matière de ce corps, le ferment de cette pensée, des mots à lent parcours qui traverseront le conduit auditif, atteindront la caisse du tympan, percuteront les osselets, ensuite le rocher ; des mots qui se frayeront lentement passage dans le labyrinthe de l’oreille. Des mots aimés, des mots aimants, ressentis, agrippés à l’espérance. Des mots vrais, même s’ils mentent. Des mots forgés d’amour et de promesse, même s’ils simulent. Des mots réels et fictifs. Des mots pour vivre et pour rêver.
Anya imagine le désespoir qu’elle aurait ressenti si Anton n’avait pas su combien elle l’aimait ! Elle serait rentrée en lutte contre cette mort qui la narguait, elle se serait arc-boutée pour lui faire front au prix de nouvelles souffrances, elle aurait lutté pour lui faire obstacle jusqu’à l’arrivée d’Anton. Elle compare sa mort prochaine à cette mort-ci. Si tout se passe selon son désir, elle s’éteindra dans les bras d’Anton, elle acceptera cette navigation vers le dernier port. Un glissement consenti de tout ce fleuve de l’existence se déversant, puis se dissolvant, dans l’inconnu.
« Il t’attendait, souffle Anya dans l’oreille de Marie avec tant de conviction qu’elle finissait par y croire elle-même. Je l’ai vu, je l’ai tout de suite reconnu. Nous nous sommes parlé. Il sait que tu venais à lui et combien tu l’aimes. Il me suit. Il sera bientôt ici auprès de toi. »
Elle la tutoyait sans effort. Chacun de ses mots se transformait en images heureuses. Marie souriait. Elle avait perdu la notion du temps, on pourrait ainsi la maintenir dans l’illusion jusqu’au bout.
« Il vient… Il arrive… Il est en route », reprit Anton.
Le visage presque éteint ressuscita, la pâleur s’estompa ; autour des yeux les cernes bleutés s’éclaircissaient.
Anya se tourna vers son époux :
« Elle m’entend, n’est-ce pas ?
— Rassure-toi, elle a tout entendu. »
Anya transpire, la torsion de son dos courbé en avant lui est pénible. Elle applique ses mains sur ses reins ; elle craint que ses forces ne l’abandonnent.
Anton prend le relais :
« Bientôt Steph sera là. Je t’avertirai dès qu’on l’apercevra au bout de la rue. »
Anton et Anya échangent un regard complice.