LE MODULE DE SAUVETAGE

— Il revient à lui.

Ce furent les premiers mots que j’entendis : la voix de Marguerite, débordant d’espoir.

J’ouvris les yeux et je vis que j’étais de nouveau dans l’infirmerie du Lucifer, couché sur le dos, regardant le métal incurvé au-dessus de moi. Je me sentais trop faible pour tourner la tête, trop épuisé même pour parler.

Puis Marguerite apparut dans mon champ de vision. Elle se penchait au-dessus de moi en souriant légèrement.

— Bonjour, murmura-t-elle.

J’essayai de lui dire bonjour, mais je ne produisis qu’un coassement plaintif.

— N’essayez pas de parler. Il faudra un peu de temps pour que les fluides vous réhydratent correctement.

Je parvins à cligner des yeux, trop faible pour hocher la tête. Je distinguais plusieurs perfusions des deux côtés de la table sur laquelle j’étais couché. La pensée d’avoir des aiguilles plantées dans la peau me donnait des frissons, mais les liquides contenus dans ces seringues étaient pour moi du nectar à l’état pur.

— Vos mains iront mieux dans quelques heures, me rassura Marguerite. La pharmacie du vaisseau contient suffisamment de peau artificielle pour vous, avant de régénérer vos propres tissus à bord du Truax.

— Bien, murmurai-je.

Elle se déplaça vers un des goutte-à-goutte et posa un doigt sur son module de contrôle.

— Je vous enlève les analgésiques à présent, mais dites-moi si vous avez mal.

— Seulement… quand je respire, plaisantai-je d’une voix faible.

Il lui fallut un instant pour réaliser que je blaguais.

Alors elle se mit à sourire.

— L’humour, c’est bon signe, je pense.

Je hochai la tête faiblement.

— Avez-vous faim ?

— Non, dis-je.

Puis je réalisai que si.

— Un peu, finalement.

En vérité, j’étais trop fatigué pour manger, mais mon estomac sonnait creux.

— Je vais vous chercher quelque chose de facile à digérer.

Quand elle revint en portant un petit plateau, je demandai :

— Combien de temps ai-je été inconscient ?

Marguerite jeta un coup d’œil sur l’horloge numérique de la cloison.

— Dix-sept heures, un peu plus.

— Le module ?

— Il est dans la soute, encore dans les bras de l’Hécate, dit-elle.

Alors elle toucha un bouton et la table se souleva légèrement derrière ma tête. Marguerite saisit un bol de plastique sur l’étagère, s’assit sur le bord de la table, et prit une cuillerée de quelque chose dans le bol.

— Maintenant, mangez ça.

Ce devait être une sorte de potage, doux et tellement insipide que je ne pouvais en deviner la teneur. Mais c’était agréable qu’elle me nourrisse à la cuiller. Très agréable, même.

— Où est Fuchs ? demandai-je.

— Le capitaine est sur le pont, il prépare notre montée en orbite pour atteindre le point de rendez-vous avec le Truax.

— Nous devrons retraverser les nuages. Les bactéries…

Je ne terminai pas ma phrase. C’était inutile.

— Il essaie d’estimer les dégâts qu’elles ont produits à l’aller, expliqua Marguerite en me servant une autre cuillerée de soupe, ainsi il pourra calculer la meilleure trajectoire de montée pour minimiser leur effet.

J’avalai ma salive, puis acquiesçai :

— Dès que nous serons en orbite, cela ira mieux.

Marguerite approuva à son tour :

— Les bactéries ne peuvent survivre dans le vide.

Puis elle ajouta :

— Enfin, j’espère.

Je dus avoir l’air surpris, car elle rit et dit :

— Je plaisante. Je les ai testées dans un récipient sous vide. Leurs cellules ont éclaté exactement comme le feraient les nôtres si nous n’avions pas de combinaisons spatiales.

— Bien.

Nous commençâmes à parler des créatures que j’avais rencontrées à la surface. Étaient-elles un simple organisme avec de nombreux tentacules, ou plusieurs créatures différentes ?

— Quoi que ce soit, il est mort maintenant. Il est tombé en enfer quand la fissure s’est ouverte.

Marguerite eut un léger hochement de tête :

— Pas complètement. Il y avait un fragment de bras accroché sur l’Hécate quand vous êtes revenu. Il a dû être arraché quand…

Je sursautai :

— Un morceau de monstre ?

— Moins d’un mètre de long, répondit-elle.

Alors je demandai :

— Qu’en est-il de ses organes ? Qu’est-ce qui pourrait rester vivant à de telles températures ?

Marguerite dit :

— Je travaille là-dessus. Il semble qu’il soit constitué de composés sulfurés très complexes, des molécules inconnues à ce jour ; un type de chimie totalement nouveau.

— Vous aurez un double prix Nobel, dis-je. D’abord les bactéries, maintenant ça.

Elle me sourit.

— C’est dommage qu’il soit mort, dis-je, bien qu’intérieurement je fusse bien content qu’il soit tombé dans la fissure chauffée à blanc.

— Ils doivent être plusieurs. La nature fabrique rarement un seul exemplaire d’une espèce.

— Sur Terre, contrai-je. Cette chose pourrait être un seul organisme. Peut-être est-il lui-même réparti tout autour de la planète.

Nos yeux s’agrandirent.

— Cela va rendre la surface encore plus dangereuse que prévu, ajoutai-je.

— À moins que la surface entière n’entre en éruption comme l’a prédit le Pr Greenbaum.

— Ce serait dommage, m’entendis-je dire. Tout serait tué, n’est-ce pas ?

Marguerite hésita, puis répondit :

— Je me le demande.

— À base de composés sulfurés, vous disiez.

— C’est la première fois que nous trouvons une forme de vie qui n’a pas besoin d’eau.

— La vie est beaucoup plus variée que nous ne le pensons.

— Et plus forte.

Je frissonnai :

— Ne m’en parlez pas. J’ai failli en mourir.

— Le corps principal doit être profondément enfoui, et il envoie ces bras à la surface pour se nourrir, comme les rejets d’un arbre.

— Se nourrir de quoi ?

Elle haussa les épaules :

— Des matériaux organiques qui pleuvent des nuages, proposa-t-elle.

— De la matière organique qui tombe des nuages ?

Marguerite secoua la tête :

— Je n’ai rien trouvé de tel. Si les bactéries des nuages tombaient à la surface quand elles meurent, elles seraient totalement décomposées par la chaleur avant d’atteindre le sol.

— Alors que mangent ces choses sur le sol ? demandai-je à nouveau.

— Je n’en ai pas la moindre idée, admit-elle. C’est pour cela que nous devons revenir et les étudier de plus près.

L’idée de revenir m’effraya un instant, puis je me rendis compte que nous devions le faire. Quelqu’un devait le faire. Nous avons un monde entièrement nouveau à explorer ici sur Vénus. Une toute nouvelle forme de biologie.

— Pourquoi souriez-vous ? demanda Marguerite.

Je n’avais pas conscience que je souriais.

— Mon frère Alex, dis-je. Nous n’aurions rien découvert de tout cela s’il n’était pas venu sur Vénus.

Le visage de Marguerite s’assombrit.

— Oui, je suppose que c’est vrai.

— C’est son héritage, dis-je, plus à moi-même qu’à elle. Son offrande à l’humanité.

Marguerite partit quelques instants plus tard et je sombrai dans le sommeil. Je savais que j’avais rêvé, quelque chose au sujet d’Alex et de mon père…, de Martin Humphries, plutôt ; mais au réveil, le souvenir de ce songe s’échappait tel un supplice de Tantale. Plus j’essayais de me rappeler ce rêve, plus ses images s’étiolaient, jusqu’à ce que la totalité ait disparu, tel un brouillard évanescent dans le soleil matinal.

Je vis que toutes les perfusions avaient été débranchées, et je me demandai combien de temps j’avais dormi. J’avais envie que Marguerite entre dans l’infirmerie ; elle avait probablement un bip qui l’avertirait quand les sondes lui diraient que je m’étais réveillé. Mais je restai seul un bon quart d’heure ; elle ne se montra pas. Elle travaillait probablement sur le bras que l’Hécate avait rapporté de la surface.

Irrité de sa négligence, je me hissai en position assise. Ma tête se mit à palpiter légèrement, mais c’était probablement dû aux coups que j’avais reçus quand l’Hécate avait plongé en vrille. J’étais entièrement nu sous le drap fin et je ne voyais de vêtement nulle part dans l’infirmerie exiguë.

C’était logique, pensai-je. Les vêtements que j’avais portés dans l’Hécate sous la combinaison protectrice devaient être trempés de sueur.

Je balançai mes pieds dans le vide et me mis debout prudemment, gardant une main sur le bord de la table. Pas mal. Un peu vacillant, mais sinon tout allait bien. Je serrai le drap autour de ma taille et me dirigeai aussi dignement que possible vers ma cabine, dans les quartiers de l’équipage.

Nodon et d’autres membres du personnel étaient assis à la table commune quand j’arrivai. Ils se levèrent dès qu’ils me virent, une nouvelle lueur de respect dans les yeux.

J’acceptai leurs applaudissements aussi gracieusement que possible, tout en retenant d’une main le drap sur ma taille. Je me disais qu’être un héros était bien plaisant. Puis j’entrai dans ma cabine et fermai le volet.

Six jeux de combinaisons et de sous-vêtements étaient installés sur la couchette, soigneusement pliés et fraîchement repassés. Ils avaient même placé des chaussettes assorties. Une démonstration de respect du fait que j’avais récupéré le module de sauvetage ? Ou bien Fuchs le leur avait-il simplement ordonné ?

Je m’habillai, puis Nodon insista pour m’escorter jusqu’au pont.

Amarjagal était au poste de commande. Fuchs était dans ses quartiers, me dit-on. Mais quand j’arrivai à la coursive conduisant à sa cabine, Marguerite venait déjà à ma rencontre.

— Nous devons inspecter le module, dit-elle, le visage sombre.

Je pris une inspiration.

— Oui, vous avez raison.

— Êtes-vous prêt ?

— Bien sûr, mentis-je.

Tous les muscles et les articulations de mon corps me faisaient souffrir. J’avais l’impression que ma tête pesait dix tonnes. Mes mains étaient raidies par la peau artificielle brillante que Marguerite avait greffée, me donnant le sentiment qu’elles étaient recouvertes d’une paire de gants deux fois trop petits.

Mais je voulais voir le module. Mon cœur battait la chamade. Je savais que ce qui restait d’Alex se trouvait dans cette grosse sphère de métal. Mon frère. Non, ce n’était pas mon frère. Pas biologiquement. Mais il avait été mon grand frère durant toute ma vie et je ne pouvais pas le considérer autrement. Que trouverais-je dans le module ? Que resterait-il d’Alex, celui qui m’avait aimé et protégé aussi longtemps que remontaient mes souvenirs ?

Tandis que nous descendions l’échelle de la soute, Marguerite dit :

— Nous devrons mettre nos combinaisons spatiales. Il a fait le vide dans la soute.

Surpris, je coupai :

— Pourquoi ?

— Le vide est propre, répondit-elle. Il voulait éviter toute contamination.

— Où est-il, au fait ? demandai-je. Pourquoi Fuchs n’est-il pas là ? Est-ce qu’il ne s’intéresse pas à ce qui se trouve dans le module ?

Elle hésita l’espace d’un battement de cœur avant de répondre :

— Il est dans ses quartiers et étudie notre trajectoire pour retourner en orbite. Je vous l’ai déjà dit.

— Encore ? Combien de temps cela prend-il de calculer une trajectoire ? L’ordinateur peut faire tout le travail.

Marguerite répondit simplement :

— Il calcule la trajectoire et a dit qu’il ne voulait pas être dérangé.

Nous arrivâmes au niveau de la soute. Il y avait une armoire avec quatre combinaisons spatiales devant la porte de visite.

Pendant que nous commencions à enfiler les combinaisons, Marguerite avoua :

— Votre vol dans l’Hécate lui a pompé beaucoup d’énergie, vous savez.

Ah ! pensai-je. À voix haute, je dis à Marguerite :

— Donc, il se repose, alors.

De nouveau, une petite hésitation. Elle m’affirma tranquillement :

— Oui, il se repose.

Nous vérifiâmes mutuellement nos combinaisons aussitôt après les avoir fermées, en parcourant la check-list des ordinateurs placés sur leurs poignets. Cela semblait bizarre de communiquer par radio avec quelqu’un qui se trouvait à un mètre de vous, mais les casques en forme de bulle étouffaient si bien nos voix que nous aurions dû crier pour nous faire entendre.

Dès que nous entrâmes dans la soute, je vis ce que ce pauvre vieil Hécate avait dû subir. Il reposait de guingois sur le pont, l’un de ses patins d’atterrissage et son support enfoncés sous la coque. La coque elle-même était éraflée, bosselée, avec de longues langues de métal arrachées et tordues. Je marchai lentement autour du vaisseau, examinant les dégâts. Le volet de plongée du côté gauche avait tout simplement disparu. À la place, il n’y avait rien d’autre qu’une horrible entaille. Ce côté était complètement défoncé ; le module avait dû heurter le rocher par là.

Je m’approchai et caressai son pauvre flanc grêlé de ma main gantée. Le vaisseau m’avait maintenu en vie, mais ne volerait plus jamais.

— Vous le traitez comme s’il était vivant.

La voix étonnée de Marguerite se faisait entendre dans mes écouteurs.

— C’est tout à fait vrai, dis-je, m’effrayant moi-même.

Je sentais à quel point je m’étais attaché à ce tas de ferraille brisé.

Dans la lumière brillante de la soute, je pus voir le visage de Marguerite derrière son casque en forme de bocal à poisson. Elle me souriait :

— Il trouvera un bon foyer sur la Terre, dit Marguerite. Je suis sûre que les historiens de l’espace le voudront pour un de leurs musées.

Je n’avais pas pensé à cela. L’idée me plaisait. L’Hécate avait bien servi ; il avait bien mérité une place au repos.

Mon inspection s’arrêta au module de sauvetage, toujours accroché aux bras mécaniques de l’Hécate. La sphère ressemblait à quelque relique d’un siècle passé, lourde et entourée de poignées, avec sa porte circulaire si particulière, un groupe de lance-fusées ici, une mini-forêt d’antennes tronquées là. Il était au moins deux fois plus grand que moi, épais et solide. On n’y voyait aucun hublot.

Marguerite désigna une sorte de boîte métallique au fond, près de la cloison de la soute.

— Nous devrons placer le sas portable sur la porte du module, dit-elle.

Il était évident qu’elle avait réfléchi à ce travail, étape par étape, pendant que j’étais prisonnier de mes émotions, me demandant ce que nous découvririons à l’intérieur.

Alors, nous poussâmes le sas portable. La porte du module était trop basse pour que le sas puisse se placer sur elle.

— Il va falloir déplacer le module, dit Marguerite.

Elle alla chercher les câbles d’alimentation rangés contre la cloison de la soute tandis que je remontais dans le cockpit de l’Hécate. Celui-ci me semblait un peu plus spacieux qu’avant, même si la combinaison spatiale que je portais était presque aussi encombrante que la combinaison thermoprotectrice.

Le plastique du tableau de bord n’avait pas fondu, contrairement à ce que j’avais cru. Sans doute était-ce dû à des troubles visuels et à la panique.

— Le courant est branché, rapporta Marguerite au moment où le tableau de bord s’éclaira sous mes yeux.

Doucement, je manœuvrai les bras du manipulateur jusqu’à ce que la porte du module soit alignée avec le sas portable. Puis j’arrêtai les systèmes de l’Hécate, non sans avoir caressé doucement son tableau de bord et murmuré :

— Brave bête.

Je deviens sentimental, pensai-je. Mais cela me semblait justifié. C’était même très bien.

Dès que je sortis de l’Hécate, Marguerite et moi plaçâmes le sas sur la porte, puis nous testâmes les joints pour nous assurer que l’air à l’intérieur du module ne s’échapperait pas dans la soute.

— Je pense que nous sommes prêts à ouvrir la porte, dit-elle enfin.

J’acquiesçai sous mon casque, la peur au ventre.

En me tendant une petite valise de capteurs, Marguerite m’expliqua :

— C’est pour analyser l’air dans le module. Je prendrai les autres capteurs moi-même.

— Vous savez comment les utiliser, fis-je. Pourquoi ne le faites-vous pas ?

— Vous devez entrer en premier, dit-elle.

Oui, pensai-je. Elle a raison. Alex était mon frère. C’était mon devoir d’y aller en premier.

Acquiesçant de nouveau, je plongeai dans le sas qui avait la taille d’un cercueil. Je m’aperçus que je me mordais nerveusement les lèvres. Je vis que le voyant était rouge ; le sas était déjà sous vide, afin qu’à l’ouverture de la porte du module, aucune atmosphère contaminatrice ne se mélange avec l’air de l’intérieur.

Il fallait que j’ouvre la porte manuellement, nous ne voulions pas mettre en route les systèmes électriques du module. Nous ne savions même pas si les ordinateurs se mettraient en marche, après plus de trois ans de cuisson à la surface de Vénus. L’ouverture manuelle était grippée, mais les servomoteurs de mes gants et des bras de ma combinaison multipliaient ma force musculaire au moins par cinq. Doucement, de mauvaise grâce, la petite roue commença de tourner tandis que je grognais et m’arc-boutais de mes deux mains.

La porte s’ouvrit en craquant. Dans ma combinaison spatiale, je ne pouvais pas sentir la bouffée d’air qui avait dû s’échapper dans le sas. Nous le pomperons de nouveau dans le module après, me dis-je. Il n’y avait pas assez de place dans le sas pour ouvrir la porte entièrement, mais elle pivota suffisamment pour que je puisse entrer dans le module.

Prenant la valise des capteurs, je levai mon pied botté et fis un pas à l’intérieur en enjambant le seuil de la porte circulaire. Il y faisait très sombre, bien sûr. J’allumai la lampe de mon casque et vis deux corps étendus sur le pont métallique.

Non, pas des corps, me dis-je aussitôt. Des combinaisons spatiales. Des combinaisons spatiales entièrement fermées. Les deux personnes avaient eu assez de temps pour les enfiler avant que la mort ne les frappe.

Les deux combinaisons étaient étrangement fripées, recroquevillées, comme si les corps à l’intérieur avaient fondu. Plus de trois ans dans la chaleur brûlante de Vénus, pensai-je. Leur texture mono-moléculaire était étonnamment grise et décolorée. Effectivement, elles avaient cuit dans l’horrible chaleur de Vénus pendant plus de trois ans. C’était un miracle qu’elles n’aient pas brûlé entièrement, m’étonnai-je.

Leurs combinaisons avaient dû être remplies d’un mélange ordinaire d’oxygène et d’azote au début, mais la chaleur desséchante avait dû briser toute molécule organique et y provoquer une sorte de chimie infernale que seul Dieu pouvait connaître. Cela avait dû les transformer en fours à cuisson lente.

Mon Dieu ! Imaginer leur agonie horrible me frappa comme un coup de marteau entre les deux yeux. Mourir cuits, littéralement cuits dans leurs propres combinaisons. Combien cela avait-il pris de temps ? Avaient-ils dû supporter cette torture plusieurs heures ou jours, ou bien, dès qu’ils avaient réalisé ce qui les attendait, avaient-ils coupé leur arrivée d’air pour se laisser asphyxier ?

Des larmes me vinrent aux yeux tandis que je me penchais maladroitement dans ma propre combinaison pour examiner les noms marqués sur leurs torses : le plus proche de moi s’appelait L. BOGDASHKY. Je dus l’enjamber pour lire l’autre nom : A. HUMPHRIES.

C’était Alex. Ou du moins ce qu’il en restait.

Luttant contre un envahissant sentiment d’épouvante, je scrutai à travers la visière du casque d’Alex, m’attendant plus ou moins à voir un squelette me lorgner. Rien. Le casque semblait vide. Je plaçai mon propre casque juste contre son viseur afin que ma lampe éclaire l’intérieur. Il n’y avait rien.

— C’est lui ? demanda Marguerite, d’une voix étouffée.

Surpris, je me tournai. Elle était debout derrière moi. Je dis :

— C’était lui. C’était.