MUTINERIE

Cette séance avec Fuchs me fit prendre conscience de quelque chose d’important. J’étais censé être un planétologue, mais je n’avais pas fait grand-chose pour mériter ce titre.

Les instruments que j’avais pris à bord de l’Hespéros pour satisfaire le Pr Greenbaum et Mickey Cochrane avaient accompli leur tâche automatiquement. C’est à peine si je devais les surveiller, encore moins produire un véritable travail scientifique. Ils étaient maintenant perdus et je n’étais guère plus qu’un prisonnier dans l’équipage de Fuchs.

Alex était venu sur Vénus pour découvrir pourquoi la planète devenait une serre infernale. Il voulait déterminer ce qui s’y passait pour la rendre si différente de la Terre, et si notre monde risquait de prendre la même tournure désastreuse. Certes, il y avait une grande part de politique. Les Verts avaient fait à grands cris la promotion de la mission d’Alex et étaient fin prêts à utiliser ses découvertes pour appuyer leurs programmes pro-environnementaux et anti-industriels.

Mais par-dessus tout, Alex se montrait sincèrement intéressé par Vénus, simplement par goût de la connaissance. C’était un scientifique dans l’âme. Je connaissais mon frère et je savais qu’il se servait des Verts au moins autant qu’il les servait.

Et moi ? J’avais juré de suivre les pas d’Alex, mais je n’avais quasiment rien fait pour. Et ici, entre tous, il y avait Fuchs et sa passion pour l’exploration, à côté de qui je passais pour un imbécile, un incapable n’ayant rien à dire, un dilettante prétendant jouer au scientifique.

Plus maintenant, me promis-je en nettoyant le dépotoir qu’avait fait l’équipage de ma couchette. Je ne leur dis pas un mot, et ils m’observèrent dans une hostilité silencieuse. En raccrochant un panneau déchiré sur le shoji en miettes, je me dis que j’allais en découvrir autant que possible sur Vénus, et qu’en ce qui me concernait, tout le reste et tous les autres pouvaient aller au diable.

Le problème était que je n’avais plus aucun des instruments embarqués sur l’Hespéros. Cependant, le Lucifer possédait sa propre batterie de capteurs. Je décidai donc de collecter leurs données et de commencer une investigation détaillée de l’atmosphère. Après tout, nous avions dégagé un excellent profil de l’échantillonnage déjà réalisé. Marguerite devait étudier les bactéries aériennes mangeuses de métal ; j’allais apprendre tout ce que je pouvais de l’atmosphère vénusienne.

Et dans quelques jours, quand nous aurions enfin atteint la surface, j’étais déterminé à prélever des échantillons de ces roches carbonisées et à les rapporter sur Terre.

Une belle et noble intention. C’est à ce moment que ma maudite anémie recommença à me mettre sur les genoux.

Au début, j’ignorai les symptômes. La fatigue, le manque de souffle, les vertiges occasionnels. Oublie-les, me dis-je. Concentre-toi sur ton travail.

J’essayais de me convaincre que je travaillais simplement plus dur que d’habitude, entre mon apprentissage du système de pompes et l’étude des données accumulées par Fuchs sur l’atmosphère de Vénus. Mais au fond, je savais que mon taux de globules rouges était en train de s’écrouler ; d’heure en heure mon état empirait.

Marguerite le remarqua. Elle avait transformé l’infirmerie en une sorte de laboratoire de biologie où elle absorbait les données amassées sur l’aérobactérie vénusienne. Elle n’avait pu emporter aucun échantillon quand nous avions été transbordés de l’Hespéros défaillant ; de toute façon, je savais que Fuchs n’aurait pas admis ces échantillons à son bord.

— J’essaie de trouver un conteneur qu’on pourrait utiliser pour les stocker, me dit-elle, afin que nous puissions en collecter sur le chemin du retour et les rapporter sur Terre.

Le petit écran sur la cloison de l’infirmerie montrait une analyse chimique du protoplasme de l’aérobactérie, de mon point de vue un tableau incompréhensible rempli de nombres et de symboles chimiques.

Elle se mordillait la lèvre en étudiant l’écran.

— Si seulement j’avais eu le temps de faire une analyse ADN, murmura-t-elle.

— En supposant qu’elles aient de l’ADN, dis-je.

J’étais assis sur la table, balançant les jambes. Je trouvais l’infirmerie un peu frisquette, mais en repensant à la fournaise de l’autre côté du sas, je n’étais pas pressé de me plaindre.

— Les bactéries martiennes ont des structures hélicoïdales dans leurs noyaux. Tout comme les lichens.

— Et si les bactéries sur Vénus en ont aussi, cela tendrait-il à prouver que la structure hélicoïdale est une forme de base pour tous les organismes vivants, ou alors que la vie sur les trois planètes doit provenir de la même origine ?

Marguerite me regarda avec un respect que je n’avais encore jamais vu.

— C’est une question très profonde, remarqua-t-elle.

— C’est que je suis très profond, dis-je, repoussant nonchalamment la remarque.

Son expression devint alors plus sérieuse.

— Vous êtes aussi très pâle. Comment vous sentez-vous, ces temps-ci ?

J’étais parti pour présenter une attitude bravache, mais à la place je m’entendis dire :

— Ça revient.

— L’anémie ?

— Oui.

— Ainsi, la transfusion n’a pas fonctionné.

— Elle a bien marché, pendant quelques jours, dis-je. Mais ce n’est pas une transfusion, même complète, qui soignera mon anémie. Mon ADN ne me fait pas produire suffisamment de globules rouges pour me garder en vie.

Elle avait l’air terriblement préoccupée.

— Alors il va vous falloir une autre transfusion.

— À quelle fréquence peut-il donner du sang ? me demandai-je tout haut.

Marguerite effaça le contenu de l’écran d’un effleurement du doigt et y fit apparaître un précis de médecine.

— Personne ne peut donner un demi-litre de sang toutes les semaines, Van. Nous tuerions simplement le donneur.

— Il ne sera pas généreux à ce point, vous pouvez me croire, fis-je.

Elle me regarda droit dans les yeux.

— Qu’est-ce que vous en savez ?

— Fuchs a un instinct de conservation plus développé que ça, lui répondis-je.

— Alors pourquoi vous a-t-il donné son sang la première fois ?

— Parce que vous avez dit que vous l’accuseriez de meurtre s’il ne le faisait pas, vous vous souvenez ?

— Ah bon, j’ai dit ça ? dit-elle avec l’ombre d’un sourire peiné. Je l’avais oublié.

— Je ne pense pas que cela fonctionnera une deuxième fois.

— Ça ne sera pas nécessaire.

— Pourquoi ?

— Il donnera son sang volontairement.

— Vraiment ?

— Vraiment, rétorqua-t-elle, parfaitement sûre d’elle-même.

— Comment pouvez-vous en être si certaine ?

Elle détourna le regard.

— Je le connais mieux maintenant. Il n’est pas aussi monstrueux que vous le croyez.

— Vous le connaissez mieux, répétai-je.

— Oui, en effet, dit-elle d’un air de défi.

— Il couche avec vous, non ? demandai-je.

Marguerite ne répondit pas.

— Non ?

— Cela ne vous concerne pas, Van.

— Ah non ? Alors que vous tombez dans son lit pour me garder en vie ? Alors que vous faites ça pour moi ?

Elle eut l’air sincèrement abasourdie.

— Pour vous ? Vous croyez toujours que je ferais ça pour vous ?

— Eh ben… je veux dire…

Ses yeux sombres me maintenaient comme dans un étau.

— Van, vous ne réalisez pas que ce que je fais, ce qu’il fait et même ce que vous faites, vous, nous le faisons strictement dans nos intérêts respectifs ? Nous essayons tous de rester en vie ici, essayant de tirer le meilleur parti de chaque situation que nous devons affronter.

Cette fois j’étais complètement désorienté.

— Mais… vous et Fuchs, bégayai-je, je pensais que…

— Ce que vous avez pu penser, c’était faux, dit-elle durement. Vous devriez vous concentrer sur le vrai problème : comment obtenir du capitaine suffisamment de transfusions sans le tuer.

Je la fixai des yeux, me sentant bouillonner de colère comme le sol rougeoyant sous nos pieds.

— Vous n’avez pas à vous inquiéter pour lui, grommelai-je. Il ne risquera pas sa peau pour moi, et il sait que vous ne pourrez pas l’accuser de meurtre si un excès de transfusions risque de le tuer.

Avant qu’elle puisse dire un mot, je la dépassai, sortant de l’infirmerie et prenant le couloir en direction du centre d’observation dans le nez. Après avoir fait quelques relevés en ruminant ma colère contre Marguerite, je retournai dans les quartiers de l’équipage.

Comme j’arrivais devant la porte ouverte, Sanja m’appela :

— Monsieur Humphries, par ici, s’il vous plaît.

Il était le seul de l’équipage à m’avoir témoigné autre chose que de l’hostilité, il était l’homme en charge du système de pompage du vaisseau, mon supérieur direct.

Je passai le sas et vis que Bahadur et deux autres – dont l’une des femmes – attendaient adossés aux cloisons de part et d’autre du passage.

Sanja était visiblement mal à l’aise. Il n’était pas très costaud, presque frêle, sa peau plus foncée que les autres.

Les trois autres me dévisagèrent dans un silence sinistre. Bahadur, plus particulièrement, avait l’air menaçant.

— Monsieur Humphries, nous devons aller à la station de pompage secondaire, me dit Sanja.

— Maintenant ? demandai-je en jetant un regard circulaire aux autres.

Ils m’avaient tout l’air d’une bande de tueurs.

— Oui, maintenant, acquiesça-t-il d’un hochement de tête.

Mon pouls tonnait dans mes oreilles pendant que nous redescendions le couloir en dépassant le pont, pour nous diriger vers la queue de l’appareil. Je vis que Fuchs ne se trouvait pas dans le fauteuil de commandement quand nous passâmes devant le pont ; Amarjagal était à la console. Les deux portes des quartiers du capitaine et de ceux de Marguerite étaient fermées.

C’est parfait, me dis-je. Ils sont au lit ensemble pendant que je me fais assassiner par l’équipage. Bahadur a parfaitement minuté son opération.

Je ne savais pas quoi faire. Mes genoux commençaient à trembler en approchant de la station secondaire. Mes paumes étaient moites. Ni Bahadur, ni aucun des autres ne m’avaient adressé la parole. Pendant un instant, je repensai bêtement aux vieux westerns que j’avais vus, enfant : la situation avait tout du lynchage en puissance.

À chacun de nos pas, Bahadur semblait devenir plus imposant. Il était le plus grand à bord, son crâne rasé et sa barbe broussailleuse lui donnaient un air sauvage. À côté de lui, Baldsanja avait l’air mince et faible, un homme inoffensif conduit par le puissant Bahadur. Les deux autres étaient solidement bâtis, un peu plus grands que moi et bien plus musclés.

La station de pompage secondaire se trouvait deux volées d’échelles plus bas, à l’extrémité du couloir. Ce n’était rien de plus qu’une pièce en coin avec deux pompes de secours sous leurs couvercles hémisphériques en métal.

— Asseyez-vous là, me dit Bahadur en montrant l’un des hémisphères.

— Vous croyez que je suis un espion à la solde du capitaine, commençai-je, mais c’est totalement faux. Je ne suis pas…

— Silence, coupa Bahadur.

Mais je ne pouvais pas me taire. La peur relâche les intestins chez certaines personnes. Chez moi, apparemment, elle déliait la langue. Je babillais. Je ne pouvais m’arrêter de parler. Je leur décrivis en long et en large combien Fuchs détestait mon père, et comment il les féliciterait de m’avoir tué, qu’ils ne s’en sortiraient pas comme ça, que l’IAA et les autres autorités découvriraient tout quand ils retourneraient sur Terre et enquêteraient sur ma mort, et…

La femme me frappa violemment le visage. Je sentais le sang couler dans ma bouche.

— Ne faites pas de bruit, monsieur Humphries ! siffla Bahadur. Nous n’avons aucune intention de vous faire du mal, à moins que vous nous y forciez.

Je plissai les yeux, tout un côté du visage en feu alors que j’avalais le sang chaud et salé. La femme me regarda et murmura quelque chose dans sa langue. J’en saisis le ton : « Taisez-vous, pauvre fou. »

Je restai assis en silence. Mais je ne pouvais m’empêcher de remuer. Mes mains refusaient de se calmer. Mes doigts tambourinaient sur les jambes de ma combinaison. J’avais les nerfs tendus à craquer.

Les autres sortirent de leurs poches de petites boîtes plates et commencèrent à scanner les cloisons, le plafond et le sol. À la recherche des mouchards, supposai-je.

La femme grogna et montra du doigt une des plaques métalliques du plafond. Tandis que Sanja restait près de moi, regardant ses pieds, les autres dévissèrent la plaque et retirèrent un petit morceau de plastique. Ça ne m’évoquait rien de plus qu’un petit déchet, mais Bahadur fronça les sourcils puis le jeta sur le sol et l’écrasa du talon.

Je me retournai vers Sanja :

— Que se passe-t-il ? Que vont-ils faire ?

Il me fit signe de me taire.

Je restai donc assis dans un silence terrifié pendant ce qui me parut des heures. Sanja était à côté de moi, l’air misérable et irrésolu, alors que les autres prenaient position de chaque côté de la porte et jetaient des coups d’œil occasionnels dans le couloir qui remontait le long de l’arête du vaisseau.

Finalement, la femme émit un son qui ressemblait à un avertissement et ils se plaquèrent tous contre la cloison. Sanja semblait trembler aussi fort que moi, mais il me souffla :

— Ne dites pas un mot, monsieur Humphries, votre vie en dépend.

Assis sur le couvercle de la pompe, je me penchai légèrement afin de voir dans le couloir. Fuchs arrivait à grands pas, le visage noir de colère, les poings fermés.

Bahadur tira un couteau de sa combinaison. Je reconnus un couteau à viande de la cantine. Les autres sortirent des armes similaires.

Je regardai Sanja. Il était paralysé par la peur, se mordant la lèvre et fixant le capitaine qui descendait le couloir. J’entendais maintenant les pas rapides de Fuchs martelant le sol métallique.

Ils voulaient le tuer, réalisai-je finalement. Je n’étais rien de plus que l’appât. Tout ce piège n’était fait que pour lui.

Qu’ils le tuent donc, pensai-je. Nous quitterons Vénus et rentrerons à la maison. Si je me tais, je peux m’en sortir vivant. Je peux soutenir leur histoire, quelle qu’elle soit. Je peux les convaincre que s’ils me tuent aussi, les autorités sauront qu’ils ont commis deux meurtres, alors que s’ils me laissent en vie, je pourrais corroborer leur thèse et nous nous en tirerions tous vivants. Après tout, Vénus est si mortellement dangereuse que presque n’importe quelle histoire pourrait être crédible.

Nous pouvons survivre à cette expédition ! Je n’aurais pas récupéré la dépouille d’Alex, mais je pourrais toujours revenir. Ce que nous avons appris lors de cette mission me permettrait de construire un meilleur vaisseau, plus sûr pour le nouveau voyage.

Fuchs était à quelques enjambées de la porte. Bahadur et les deux autres se tenaient près, hors de sa vue, lames au clair.

Si nos positions étaient inversées, Fuchs les laisserait me tuer, me dis-je. C’est d’ailleurs lui qui m’a mis dans cette situation en les laissant croire que je les espionnais. Sanja était pétrifié, ne voulant ou ne pouvant pas émettre le moindre son.

Je glissai à bas du couvercle de la pompe, et plongeai dans le couloir en hurlant le plus fort possible :

— C’est un piège !

Je percutai Fuchs qui me repoussa simplement de côté. Comme je me remettais sur mes pieds, Bahadur et les deux autres sortirent à leur tour, rugissant de rage et de frustration.

Bahadur fut le premier à atteindre Fuchs, qui l’assomma d’un puissant et unique coup de poing. Les autres reculèrent alors que Bahadur s’écroulait dans le couloir. Fuchs frappa la tête de Bahadur du pied puis attendit à demi baissé, les lèvres retroussées en un rictus féroce.

L’homme lui porta alors un grand coup de couteau, mais Fuchs l’évita en plongeant dessous et le frappa au ventre si fort qu’il le souleva du sol. J’entendis les poumons de l’homme se vider, et il tomba à genoux. Fuchs lui mit alors un coup de poing sur la nuque et il tomba sur Bahadur déjà prostré au sol.

Tout cela se passa le temps que je me relève. La femme se tenait au milieu du sas, sidérée et désorientée, regardant tour à tour le capitaine et les deux corps inertes de ses camarades conspirateurs.

Fuchs souriait d’un air horrible. La femme hésita, se balança. Sanja la frappa par-derrière, lui faisant le coup du lapin, et elle s’écroula, inconsciente.

C’était fini. Fuchs se baissa pour ramasser les couteaux.

Bahadur gémissait, ses jambes remuant légèrement, l’autre homme toujours sur lui, inconscient.

Se tournant vers moi, les trois couteaux dans la main, Fuchs me dit :

— Eh bien, c’est terminé.

— Capitaine, dit Sanja d’une voix tremblante alors qu’il enjambait la femme qu’il avait assommée, ils m’ont forcé… je ne voulais pas vous trahir, j’étais…

— Silence, Sanja, coupa Fuchs.

Il referma la bouche si vite que j’entendis ses dents claquer.

— C’était courageux de me prévenir, me dit Fuchs.

Je haletais, les jambes en coton.

— Je savais ce qui se passait, reprit-il. Malin de vous avoir utilisé comme appât. Ils vous auraient tranché la gorge après, bien sûr.

— Bien sûr, réussis-je à bredouiller.

— Néanmoins, il fallait du courage pour sortir comme ça et tenter de me prévenir.

Son visage était quasiment dénué d’expression : ni peine ni contentement ; pas de soulagement ; surtout pas de gratitude.

— Amener le combat dans le couloir les a rendus plus vulnérables, continua-t-il, méditant la situation, revoyant l’action comme un général faisant l’étude du combat qu’il a remporté.

— Ils vous auraient tué, m’entendis-je dire d’une voix mal assurée.

— Ils auraient essayé, répondit-il. Le combat aurait été rude dans la station de pompage, je l’admets.

Je commençais à m’énerver. Il faisait comme si rien d’extraordinaire ne venait de se produire.

Bahadur gémit encore et tenta de s’asseoir. Fuchs le regarda lutter pour se sortir de dessous l’autre homme. Il s’adossa à la cloison, et se tint la tête des deux mains, les yeux encore fermés.

— Ça fait mal, hein ? se moqua Fuchs en se penchant vers lui. Pas autant qu’un couteau planté dans les côtes, mais j’imagine quand même que tu dois avoir assez mal à la tête maintenant.

Bahadur ouvrit les yeux. Il ne montrait aucun signe de défiance, pas de haine, ni même de colère. Il était battu, et il le savait.

— Sanja, ordonna le capitaine, vous et Humphries ramenez ces trois mutins dans les quartiers de l’équipage. Ils sont confinés à leurs couchettes jusqu’à nouvel ordre.

— Mutins ? demandai-je.

Fuchs acquiesça.

— Tenter de tuer le capitaine d’un vaisseau est une mutinerie, Humphries. La sanction pour la mutinerie est l’exécution sommaire.

— Vous n’allez tout de même pas les tuer !

Fuchs grogna de dédain.

— Et pourquoi pas ? Ils allaient bien me tuer, non ?

— Mais…

— Vous voulez leur offrir un procès équitable, c’est ça ? Très bien, je serai le procureur, vous l’avocat de la défense, et Sanja fera le juge.

— Là, comme ça ?

Ignorant ma question, Fuchs se pencha vers Bahadur et lui donna une petite gifle.

— Aviez-vous l’intention de me tuer ?

Tristement, Bahadur hocha la tête.

— À voix haute, ordonna Fuchs, pour l’enregistrement. Aviez-vous l’intention de me tuer ?

— Oui.

— Pourquoi ?

— Pour partir. Pour quitter cette planète avant que nous ne soyons tous morts.

Fuchs se redressa et se carra devant moi.

— Et voilà. Avons-nous besoin d’autres témoins ? Sanja, le verdict ?

— Coupable, capitaine.

— Voilà, dit-il. Propre et légal. Amenez-les à leurs couchettes, je m’occuperai d’eux plus tard.