PUNITION
Fuchs observa la dépouille de Sanja. Personne n’y avait touché. Bahadur avait appelé le capitaine. Une des femmes m’avait donné un mouchoir pour que je m’essuie le visage. Une autre m’avait tendu une serpillière pour que je nettoie le sol de mon vomi.
Fuchs appuya sur le cadavre, lui plia les poignets et les chevilles.
— Il est mort il y a plusieurs heures, murmura-t-il, plus pour lui-même que pour nous.
En se retournant il me vit en train de nettoyer par terre. Il fit quelques gestes brusques en grognant des ordres dans le dialecte asiatique que parlait l’équipage. Un des hommes me prit agressivement la serpillière des mains.
— Venez ici, Humphries, m’appela Fuchs.
Malgré mes réticences, je m’approchai de la couchette. Mon estomac se souleva, et je sentis la bile brûlante dans ma gorge.
— Contrôlez-vous ! cracha-t-il. Que s’est-il passé ici ?
— Je… Je dormais.
Fuchs semblait plus en colère contre moi, qu’embarrassé par le meurtre de Sanja. Du moins, étais-je convaincu qu’il s’agissait d’un meurtre.
Il regarda de l’autre côté du compartiment. Certains étaient assis sur leurs couchettes, les autres étaient rassemblés autour de la table au centre de l’espace libre. Quelques-uns entouraient Bahadur à côté du sas.
Fuchs appela Bahadur d’un geste. Il vint lentement, avec autant de dignité que peut en afficher une personne avec un œil au beurre noir.
— Alors ? demanda Fuchs.
Bahadur répondit en anglais.
— Il s’est suicidé.
— Vraiment ?
Bahadur désigna du doigt le couteau posé sur la couchette à côté de Sanja.
Fuchs posa quelques questions dans leur langue. Bahadur donnait les réponses. Au ton qu’ils employaient, je devinai que Bahadur ne fournissait aucune information.
Finalement, Fuchs poussa un profond soupir.
— Ainsi, Sanja s’est ouvert la gorge, par honte d’avoir trahi votre mutinerie, résuma-t-il.
— Oui, capitaine, c’est la vérité.
Fuchs le regarda, un dégoût extrême dans les yeux.
— Et qui sera le prochain à se suicider ? Amarjagal ? Ou peut-être Humphries, ici présent ?
Je faillis vomir à nouveau.
— Je ne peux pas dire, capitaine. Peut-être personne.
— Oh ?
— Si nous faisons demi-tour et quittons cet endroit maléfique, personne ne mourra.
— Vous avez peut-être raison, dit Fuchs ses yeux bleu acier plus froids que jamais. Vous avez peut-être raison. Venez avec moi.
Il partit vers le sas, Bahadur sur ses talons.
— Vous, et vous aussi, dit-il en désignant l’homme avec la serpillière et la femme qui étaient les deux autres mutins.
Les trois mutins échangèrent un regard inquiet, le reste de l’équipage se reculant comme s’ils risquaient de se faire contaminer par leur présence.
— Vous aussi, Humphries. Venez avec moi.
Il nous conduisit jusque dans le nez de l’appareil, et en descendant une échelle, nous arrivâmes devant un panneau d’accès percé dans le pont inférieur.
— Ouvrez-le, ordonna-t-il à Bahadur.
Je le regardai, perplexe, taper le code sur le boîtier de contrôle du lourd couvercle de métal. Il s’ouvrit dans un craquement et Bahadur le tira des deux mains pour l’ouvrir entièrement. Il devait être vraiment lourd, Bahadur grogna sous l’effort.
— Voici l’un des trois modules de secours du Lucifer, annonça Fuchs en anglais, pointant vers le bas d’un air abrupt. Assez de place pour vous trois et quelques autres. Vous pouvez vous en servir pour retourner en orbite et y rejoindre le Truax.
Les yeux de Bahadur s’élargirent.
— Mais, capitaine…
— Pas de « mais », coupa Fuchs. Vous voulez quitter ce vaisseau, voici votre ticket pour la mise en orbite. Entrez.
Regardant ses compagnons, mal à l’aise, Bahadur protesta :
— Aucun de nous ne sait naviguer, monsieur.
— Tout est préprogrammé, répondit-il d’un ton d’acier. Je m’occuperai de la manœuvre de lancement depuis le pont. Le module est programmé pour se propulser au-dessus de l’atmosphère et se placer en orbite. Je dirai au Truax de venir vous ramasser. Quand ils feront route vers la Terre, vous partirez avec eux.
La femme dit quelque chose d’un ton rapide, angoissé.
Fuchs rit durement.
— C’est tout à fait exact. Je dirai au Truax que vous êtes des mutins et des assassins, et que vous devez être mis aux fers en attendant votre procès.
Ils discutèrent entre eux quelques instants, plus effrayés qu’en colère.
— Vous décidez, reprit Fuchs. Soit vous partez immédiatement pour le Truax, soit vous restez et vous obéissez à mes ordres.
— Et si nous restons, nous ne serons pas jugés ? demanda Bahadur sans détour.
Fuchs planta son regard dans les yeux implorants de Bahadur.
— Je suppose que je peux oublier votre pathétique petit essai de mutinerie. Et que nous pouvons enregistrer la mort de Sanja dans le journal comme étant bien un suicide.
— Capitaine ! objectai-je.
Il m’ignora et conserva ses yeux vissés sur ceux de Bahadur.
— Alors ? Quelle option choisissez-vous ?
Bahadur jeta un rapide coup d’œil à ses compagnons. Je me demandais à quel point ils maîtrisaient l’anglais et leur niveau de compréhension de cette conversation.
Se redressant de toute sa taille, Bahadur finit par se décider.
— Nous restons, capitaine.
— Ah bon ?
— Oui, capitaine.
— Et vous obéirez à tous les ordres ?
— Oui, monsieur.
— Sans vous plaindre, sans contestations ?
— Oui, capitaine.
— Tous les trois ? demanda-t-il d’un geste incluant les deux autres. Il n’y aura plus d’autres… suicides ?
— Nous sommes d’accord, capitaine.
Les deux autres hochèrent la tête d’un air sinistre.
— Bien ! Excellent ! Je suis content que nous soyons tous d’accord, observa-t-il avec un grand sourire sans joie.
Les autres commencèrent à lui rendre son sourire. Je voulais dire quelque chose, pour m’insurger contre cet oubli pur et simple du meurtre de Sanja. Mais avant que je ne trouve mes mots, le sourire de Fuchs s’évapora.
— J’ai bien peur que je ne doive vous affecter à des travaux pénibles tous les trois, vous savez. À partir de maintenant vous aurez le double de quarts. Pour compenser la mort de Sanja.
Leurs expressions retombèrent.
— Et tous les travaux EVA que nous aurons à faire pour préparer l’atterrissage seront pour vous aussi.
Les deux autres regardèrent vers Bahadur. Ses yeux s’étaient tellement agrandis que je pouvais voir du blanc tout autour de ses iris.
— Et bien sûr, quand nous serons au sol, j’aurai besoin d’un volontaire pour tester le véhicule d’excursion. Vous serez ce volontaire, Bahadur.
L’intéressé recula de plusieurs pas.
— Non, capitaine. S’il vous plaît. Je ne peux pas…
Fuchs s’avança lentement vers lui.
— Vous avez dit que vous suivriez mes ordres, non ? Tous mes ordres ? Vous l’avez accepté il y a à peine une minute.
— Mais, je ne suis pas… je veux dire, je ne sais pas comment…
— Soit vous faites ce que je dis, soit vous quittez mon vaisseau, dit Fuchs d’une voix aussi dure qu’un pic à glace. Ou peut-être préférez-vous que je vous juge ici et maintenant pour le meurtre de Sanja ?
— Capitaine, je vous en supplie !
C’était incongru. Cet homme si grand et si imposant joignant misérablement ses mains en priant le petit capitaine teigneux qui l’avait acculé à cette position, on aurait dit un blaireau crachant son défi à un chien de chasse effrayé.
— Que choisissez-vous, Bahadur ?
Il regarda ses deux coéquipiers. Ils avaient l’air aussi terrorisés et perdus que lui.
— Je vais changer votre vie à bord en un enfer sans fin, promit Fuchs. Vous allez payer pour la mort de Sanja des centaines de fois, vous pouvez compter sur moi.
— Non, geignit Bahadur, non.
— Alors débarrassez-moi le plancher ! aboya Fuchs en indiquant le sas ouvert. Et embarquez vos deux complices avec vous.
Bahadur ne bougeait plus, totalement abattu et sur le point de fondre en larmes.
— Maintenant ! Obéissez ou partez. Décidez-vous immédiatement.
Ce fut la femme qui décida. Sans un mot, elle descendit l’échelle et commença à monter dans le module de secours. L’autre homme la suivit. Bahadur les regarda, puis tituba en dépassant le capitaine et disparut dans le conduit connecté au module de secours.
Fuchs passa de l’autre côté du panneau et lui donna un violent coup de pied. Il claqua en se refermant.
— Scellez-le, m’ordonna-t-il. Avant que ces petits salauds larmoyants changent d’avis.
Tremblant intérieurement j’appuyai sur la touche qui enclenchait le blocage du panneau. Fuchs avait orchestré tout cela dans les moindres détails. Il voulait se débarrasser de Bahadur et de ses deux compagnons de mutinerie, et il les avait poussés à partir.
Sans un mot il regagna au pas de charge le pont, je trottinai derrière lui. Il semblait irradier la fureur maintenant qu’il n’avait plus à prétendre être conciliant avec Bahadur.
Il releva Amarjagal de son poste et s’assit dans le fauteuil de commandement.
— Humphries, prenez la console de communication.
Ma première impulsion fut de lui répondre que je n’étais pas de quart, mais je ravalai cette idée immédiatement. Le capitaine n’était pas d’humeur à attendre, encore moins à être contredit. J’allai donc à la console de communication ; l’homme qui l’occupait se leva et quitta le pont d’un air un peu étonné.
— Passez-moi le module de secours.
Je vis sur l’écran de contrôle que trois modules se trouvaient à bord du vaisseau. Avant que j’aie eu le temps de lui demander, Fuchs me dit :
— Ils sont dans le premier.
J’ouvris le canal audio et Fuchs leur parla brièvement dans leur langue, puis lança :
— Début de la séquence de séparation dans cinq secondes.
Je réglai le minuteur, il redescendit rapidement jusqu’à zéro.
— Séparé, annonça en anglais l’un des techniciens sur le pont.
Avant que je ne puisse poser une question, le technicien fit son rapport :
— Mise à feu. Ils se dirigent vers l’orbite.
— Affichez-les sur l’écran principal, Humphries, ordonna Fuchs.
Je mis quelques secondes à réussir cette opération, puis je vis le visage tendu et couvert de sueur de Bahadur sur l’écran. Il était écrasé dans son siège par l’accélération des fusées du module de secours.
Les deux autres étaient assis légèrement en retrait. Il restait aussi quatre sièges libres.
— Vous êtes en route pour l’orbite, leur dit Fuchs.
— Bien compris, capitaine, répondit Bahadur.
Fuchs hocha la tête et coupa l’image.
— Dois-je notifier le Truax de…
— Non ! cracha-t-il. Nous n’établirons aucun contact avec le Truax. Il est déjà suffisamment ennuyeux que Marguerite ait dû faire une recherche dans leurs dossiers médicaux. Aucun contact !
— Mais, monsieur, comment sauront-ils que le module de secours est en orbite ? Comment se donneront-ils rendez-vous ?
— C’est le problème de Bahadur, pas le mien. Le module a des équipements de communication. Il appellera le Truax bien assez tôt, croyez-moi.
— Vous en êtes sûr ? Monsieur ?
Il me regarda d’un air amer.
— Quelle différence cela fait-il ?
Je me retournai vers mes occupations, mais quelques instants plus tard, Fuchs me demanda :
— Donnez-moi leur position.
Le graphique montra leur trajectoire s’incurvant loin au-dessus de notre position, après les nuages d’acide sulfurique et s’aplatissant au-delà du plafond nuageux en une orbite légèrement elliptique autour de la planète. Je pointai la position du Truax. Il était de l’autre côté de la planète, hors du périmètre de contact direct.
Désorienté, je fis extrapoler leurs positions orbitales respectives. Ils seraient en opposition par rapport à la planète pendant encore une douzaine d’orbites, avant de pouvoir envisager des manœuvres de rapprochement.
Je fis part de mes préoccupations à Fuchs, qui haussa les épaules.
— Ils ont suffisamment d’air pour tenir jusque-là.
— Et l’électricité ?
Il fronça les sourcils.
— Si Bahadur a l’idée de déployer les panneaux solaires et de les aligner correctement, ils auront toute l’énergie dont ils ont besoin. Sinon, ils devront utiliser les batteries du module.
— Tiendront-elles suffisamment longtemps, capitaine ?
— Ce n’est pas mon problème.
— En toute justice, monsieur, nous devrions signaler au Truax…
— Si nous le faisons, nous devrons signaler que ces trois-là sont des mutins et des assassins.
— C’est toujours mieux que les laisser mourir en orbite, monsieur !
— Ils ne vont pas mourir en orbite, dit-il calmement. Ils n’atteindront même pas l’orbite.
— Que voulez-vous dire ?
Il pointa du doigt l’écran de ma console qui montrait leur orbite.
— Mettez ça sur l’écran principal.
Ce que je fis, et Fuchs se pencha légèrement vers l’avant en étudiant le graphe.
— Je ne pense pas qu’ils traverseront les nuages suffisamment vite pour ne pas être digérés par les bestioles, murmura-t-il.
— Ils ne seront dans le nuage qu’environ vingt minutes, répliquai-je.
— Effectivement, dit-il, mais leur module a une peau assez fine. Ça devrait être très intéressant.
Je regardai avec une fascination horrifiée le point clignotant qui représentait leur embarcation. Il avançait lentement, si lentement, le long de la courbe figurant leur trajectoire.
Ils étaient en plein dans les nuages, maintenant. Je me souvenais de la façon dont l’Hespéros avait été dévoré par les bactéries. Mais cela avait pris des jours, leur module n’y serait que quelques minutes, moins d’une demi-heure.
Il aurait été préférable de lancer le module droit vers l’espace, pour traverser les nuages le plus vite possible. Mais pour s’établir en orbite, il devait se déplacer parallèlement à la planète. Le seul moyen d’y parvenir était de suivre une courbe de plus en plus aplatie comme une balle qui aurait été lancée de l’autre côté du monde.
Non, me dis-je. On pouvait aussi partir droit à la verticale, et une fois suffisamment en altitude effectuer une modification de trajectoire pour se fixer sur une parallèle au sol. Mais il faudrait alors bien plus de carburant que ce que le module de secours pouvait en embarquer. Ils n’avaient pas d’autre choix que de traverser les nuages lentement. J’espérais simplement que ce serait suffisamment rapide.
Je jetai un coup d’œil à Fuchs. Il regardait l’écran, lui aussi, mais en souriant légèrement. Il me fit penser à un empereur romain observant des gladiateurs se battre à mort dans l’arène. Lequel mourrait ? Ces misérables dans le module de secours allaient-ils atteindre l’orbite, la sécurité ?
Je me demandai pourquoi j’y attachais de l’importance. Ils avaient tué Sanja. Ils auraient tué Fuchs aussi. Et moi. C’étaient des mutins et des assassins. Néanmoins j’étais inquiet pour eux, j’espérais qu’ils s’en sortiraient vivants.
Fuchs ne se posait pas ces questions. Il savait dès le début qu’ils devraient traverser les nuages. Il n’avait pas oublié les bestioles. Il ne leur avait pas pardonné leurs crimes. C’était la justice telle qu’il la voyait.
Le signal jaune indiquant les messages commença à clignoter devant moi. J’attrapai le casque et rabaissai le micro devant mes lèvres. J’appuyai sur la touche pour charger le message sur le petit écran à droite de ma console.
Bahadur avait l’air totalement paniqué.
— Nous perdons de la pression ! hurla sa voix dans mon casque. Les bestioles sont en train de détruire le joint autour du sas principal.
— Mettez ça sur mon écran, commanda Fuchs avant que j’aie eu le temps de me retourner pour l’informer de la situation.
La poitrine de Bahadur montait et descendait, ses mains s’agitaient dans tous les sens.
— Les bestioles ! Elles nous mangent !
Fuchs ne dit rien.
— Nous devons faire quelque chose ! hurla Bahadur. La pression tombe !
Derrière lui, les autres étaient tendus, les harnais de sécurité les retenant dans leurs sièges, l’air sinistre et accusateur.
— Il n’y a rien que l’on puisse faire, dit Fuchs d’une voix dure et froide. Accrochez-vous et espérez que vous aurez traversé les nuages avant que le joint ne tombe.
La femme cracha une longue suite de syllabes incompréhensibles.
Fuchs secoua la tête.
— Je ne peux pas vous sauver, personne ne le peut.
— Mais vous le devez !
Bahadur était au bord de l’hystérie, les yeux exorbités, gesticulant et suffoquant. Je me dis que s’il n’avait pas été attaché à son siège, il aurait été en train de courir comme un fou autour du petit compartiment.
— Vous le devez, répétait-il continuellement.
— Coupez le son, m’ordonna Fuchs.
Je me penchai vers le clavier et hésitai un instant.
— Coupez-le ! grogna-t-il.
J’appuyai sur la touche. La complainte frénétique de Bahadur s’arrêta, mais nous pouvions toujours voir son visage et la panique dans ses yeux.
Nous n’avions pas accès aux données du module, nous ne pouvions donc pas superviser les conditions dans leur cabine. Mais je voyais la terreur figée sur leurs visages, tandis qu’ils traversaient les nuages infestés de bactéries. Je retenais ma respiration, observant alternativement la vidéo de la cabine et le graphe montrant leur progression à travers les nuages.
Leur point clignotant s’approchait lentement du haut du plafond nuageux, plus que quelques centimètres, des secondes qui semblaient durer une éternité. Pendant tout ce temps, Bahadur et ses compagnons étaient figés dans l’horreur, leurs bouches hurlant silencieusement, les mains crispées de panique et de frustration.
Enfin ils dépassèrent les nuages. Le curseur arriva dans la zone supérieure, dans l’espace dégagé.
— Ils ont réussi ! m’écriais-je.
— Vous croyez ? demanda Fuchs d’un air sardonique.
— Ils arrivent en orbite, dis-je.
— Bien.
Bahadur avait toujours les yeux exorbités et il haletait, mais dans quelques instants il réaliserait qu’ils étaient en sécurité, me dis-je.
À la place, son visage tourna au rouge sang. Ses yeux gonflèrent puis explosèrent. Du sang gicla de tous ses pores. Les autres étaient dans le même état.
— Décompression explosive, expliqua Fuchs sans émotion. Les bestioles ont dû suffisamment dévorer le joint et le rendre trop faible pour retenir l’air à l’intérieur du module.
Avec un cri étranglé je coupai la vidéo.
— Éteignez aussi le graphe, dit-il calmement. Leur position n’a plus d’intérêt maintenant.
Je ne pouvais pas bouger. Je fermai les yeux le plus fort possible, mais l’image de ces personnes explosant dans une douche de sang restait gravée dans ma tête.
— Coupez-le ! cria-t-il. Maintenant !
Je le fis, l’écran redevint vierge.
Fuchs prit une grande inspiration, se passa la main sur sa large mâchoire.
— Ils ont eu leur chance. Pas bien grande, je l’avoue, mais une chance tout de même.
— Oui, c’est ça, m’entendis-je dire.
Il me regarda.
— Vous le saviez dès le début. Vous saviez qu’ils ne pourraient pas traverser les nuages. Vous les avez envoyés à leur mort.
Il se leva d’un bond, les poings fermés. Je pensai qu’il allait me jeter sur le sol et me tabasser. Je me sentis me ratatiner et fis de mon mieux pour ne rien laisser transparaître.
Finalement, après un moment d’indécision, il tourna les talons, et quitta le pont d’un pas décidé.
L’un des hommes d’équipage s’approcha et prit la console de commandement.