Chapitre 58
Avant que nous déclenchions une guerre, murmura Richard, je dois aller dans la pièce où j'ai caché le livre. Il faut commencer par là, au cas où les choses tourneraient mal.
Kahlan sonda le regard de son mari et fut presque terrorisée par sa détermination.
― Si tu veux, mais je n'aime pas ça... On dirait un piège. Si nous avançons dans ce couloir, nous risquons de devoir déclencher une guerre rien que pour rebrousser chemin.
― Je suis prêt à courir le risque, s'il le faut.
Kahlan se souvint de la façon dont Richard combattait avec une épée ― ou un broc, pour le peu de différence que ça faisait. Mais aujourd'hui, c'était différent...
― Si nous nous faisons coincer, tu crois que ton épée suffira à nous protéger d'une voyante folle de rage ?
Richard sonda de nouveau le corridor.
― Pour des légions de gens qui aiment la vie et demandent simplement à en profiter, le monde est sur le point de s'écrouler. Kahlan, nous sommes dans la charrette des condamnés. Je n'ai pas le choix : il me faut ce livre !
Richard sonda l'autre extrémité du couloir. Des bruits de pas annonçaient l'approche d'une patrouille. Jusque-là, les deux jeunes gens avaient réussi à les éviter toutes. Au jeu du chat et de la souris, Richard se montrait très doué.
Alors que le Sourcier et sa femme se plaquaient contre le mur, dans l'ombre d'une porte, quatre gardes passèrent devant eux. Occupés à comparer les mérites des jupons locaux, ils ne remarquèrent pas les intrus.
Kahlan eut du mal à en croire ses yeux. Comment ces crétins avaient-ils pu ne pas les voir ?
Dès qu'ils furent assez loin, Richard prit la jeune femme par la main et la tira dans le couloir jusqu'à une porte massive fermée par un verrou.
Richard ne fit pas dans la dentelle. Utilisant son épée, il brisa le cadenas d'un simple mouvement du poignet. Des pièces métalliques rebondirent sur le sol.
Certaine que le bruit attirerait des gardes, Kahlan se pétrifia.
Mais rien ne se passa.
Richard ouvrit la porte et la franchit, tirant Kahlan par la main.
― Zedd ! s'écria-t-il.
Il y avait trois personnes dans la pièce. Un vieil homme aux cheveux blancs en bataille, un colosse blond et une femme tout aussi blonde en uniforme de cuir.
― Richard ! Fichtre et foutre ! tu es donc vivant !
Richard plaqua un index sur ses lèvres, finit de tirer Kahlan dans la pièce et referma doucement la porte.
Les trois prisonniers semblaient épuisés. À l'évidence, ils venaient de passer de très mauvais moments.
― Ne parlez pas trop fort, souffla Richard. Il y a des gardes partout.
― Comment as-tu su que nous étions ici ? demanda Zedd.
― Je l'ignorais, répondit Richard.
― Eh bien, mon garçon, nous avons beaucoup de choses à...
― Zedd, tais-toi et écoute-moi !
Le vieux sorcier en resta bouche bée. Mais il se ressaisit vite et désigna l'Épée de Vérité.
― Comment as-tu récupéré ton arme ?
― Kahlan me l'a rapportée.
― Tu l'as vue ?
Richard hocha la tête. Puis il dégaina à demi son épée.
― Referme ta main sur la poignée.
― Pourquoi ? Richard, il y a plus urgent que...
― Fais-le, bon sang !
Zedd sursauta, visiblement choqué, mais il finit par obéir.
Alors, il vit enfin Kahlan et écarquilla les yeux, un grand sourire lui fendant les lèvres.
― Par les esprits du bien !... Kahlan !
Pendant que son grand-père se remettait de sa surprise, Richard tendit l'épée à la Mord-Sith, qui toucha elle aussi la poignée... et fut stupéfaite de voir la Mère Inquisitrice apparaître devant elle.
Un peu plus tard, Tom trahit exactement la même stupéfaction.
― Je peux te voir..., murmura Zedd. Et je sais qui tu es.
― Vous vous souvenez de moi ? demanda Kahlan.
― Non... L'épée interrompt les effets dévastateurs de la Chaîne de Flammes.
En revanche, son contact ne me rend pas la mémoire. Je te reconnais, et pourtant, j'ai l'impression de te voir pour la première fois... C'est très étrange.
― Je vis exactement la même chose, dit Tom.
Rikka approuva du chef.
Comme s'il revenait à la réalité, Zedd attrapa Richard par le bras.
― Il faut filer d'ici, mon garçon ! Six ne va pas tarder, et il vaut mieux ne pas nous frotter à elle.
― D'abord, je dois récupérer quelque chose.
― Le livre ?
― Tu le connais ?
― Eh bien, un peu oui. Où as-tu trouvé un grimoire pareil ?
Richard monta sur l'unique chaise et tira de sa cachette un sac de voyage.
― Le Premier Sorcier Baraccus...
― Celui du temps des Grandes Guerres ? Ce Baraccus-là ?
― Lui-même, répondit Richard en sautant de la chaise. Il a écrit ce livre puis l'a caché à ma seule intention. C'est à cause de Baraccus que je suis né avec les deux facettes de la magie. Magda Searus a caché le livre après le retour de son mari du Temple des Vents. Pour résumer, cet ouvrage m'attend depuis trois mille ans.
Zedd ne cacha pas sa surprise.
Richard posa le sac sur la table, en sortit le legs de Baraccus et le tendit à son grand-père.
― La première fois que je l'ai eu entre les mains, je n'ai pas pu le lire, parce que j'étais coupé de mon don. Les pages paraissaient blanches et il m'a été impossible de prendre connaissance du message de Baraccus.
Zedd consulta du regard les deux autres prisonniers.
― Richard, je dois te dire un mot sur cet ouvrage...
― Oui, oui... Plus tard.
Reprenant le livre, Richard le feuilleta... et fronça les sourcils.
― Les pages sont toujours blanches... Zedd, rien n'a changé ! Pourtant, je suis de nouveau en contact avec mon don. C'est une certitude. Alors, pourquoi vois-je des pages blanches ?
― Parce que ce sont des pages blanches, mon garçon...
― Pour moi. Mais toi, tu vois un texte. Que dit-il ?
― Il n'y a rien, Richard. Pas un seul mot dans tout l'ouvrage, à part le titre.
― Que racontes-tu là ? C'est impossible ! Ce sont Les Secrets du pouvoir d'un sorcier de guerre\
― Eh bien, on dirait qu'il n'y en a pas, justement...
― Pardon ?
― En guise de secrets, Baraccus t'a légué une Leçon du Sorcier, rien de plus.
― Quelle leçon ?
― Celle qui prime toutes les autres. Celle qui n'est ni écrite ni prononcée depuis l'aube des temps.
Richard se passa nerveusement une main dans les cheveux.
― Je n'ai pas de temps à perdre avec des charades ! Que voulait me dire Baraccus ? Que nous apprend cette leçon ?
― Je n'en sais rien... Ne viens-je pas de dire qu'elle n'a jamais été écrite ni prononcée ?
» Baraccus voulait te transmettre le secret ultime qui permet d'utiliser les pouvoirs d'un sorcier de guerre. Ce livre aux pages blanches représente merveilleusement bien la Leçon Inconnue...
― Et à quoi peut me servir une leçon qui ne dit rien ? Et que personne ne connaît ?
― C'est ton affaire, Richard... Si tu es l'homme que Baraccus attendait, tu trouveras comment utiliser son héritage... S'il s'est donné tant de mal, ce n'est sûrement pas pour rien. Alors, à toi de voir !
Richard prit une profonde inspiration pour se calmer. Kahlan eut le coeur serré de le voir si désorienté. Il semblait à bout de ressources, prêt à pleurer comme un enfant ou à exploser de rage.
― Quelle touchante réunion ! dit soudain une voix féminine.
Richard et tous ses compagnons tournèrent la tête.
Mince au point d'en paraître squelettique dans sa robe noire, une femme venait d'entrer dans la pièce. D'une pâleur cadavérique, elle paraissait être fraîchement sortie du tombeau, comme un spectre en balade.
― Six..., murmura Zedd.
― N'est-ce pas la Mère Inquisitrice en personne, que je vois là ? Et le seigneur Rahl, en prime ! L'empereur sera ravi quand je lui offrirai mon cadeau avec un joli ruban autour.
Sous les yeux de Kahlan, Zedd se prit la tête à deux mains et tomba à genoux.
Une note métallique retentit quand Richard dégaina son épée. Il attaqua aussitôt, mais une force invisible le repoussa puis le contraignit à lâcher son arme.
Six se tourna vers Kahlan.
― Tu songes à utiliser ton pouvoir contre moi, Mère Inquisitrice ? Ce n'est pas une très bonne idée, sache-le. Je me fiche que tu te carbonises le cerveau en essayant de t'en prendre à moi, mais Jagang s'amuserait sûrement beaucoup moins avec un légume...
Une douleur incroyable força Kahlan à reculer. C'était très semblable aux tourments qu'infligeait un Rada'Han, mais en dix fois plus fort.
Les cinq occupants de la pièce étaient tétanisés, en proie à des douleurs inimaginables.
― Voilà qui vous rendra plus coopératifs, jubila la voyante.
Elle avançait vers ses victimes quand une voix retentit dans son dos.
― Six !
La voyante se retourna ― à l'évidence, elle savait très bien qui s'adressait à elle.
Kahlan cessa de souffrir et elle vit que c'était également le cas des autres.
― Mère ? demanda Six, totalement désorientée.
― Tu m'as déçue, ma fille, dit la vieille femme debout sur le seuil de la pièce.
Beaucoup déçue...
Aussi maigre que Six, sa mère était en outre voûtée par l'âge. Et ses cheveux, jadis noirs, arboraient désormais de l'argent sur les tempes.
― Mais je... je..., balbutia Six en reculant.
― Quoi ? Que veux-tu dire ? tonna la vieille femme.
De sa vie, elle n'avait jamais eu peur de rien, et surtout pas de sa propre fille.
― Je ne comprends pas..., souffla Six.
Stupéfaite, Kahlan vit la peau du visage et des mains de la voyante onduler comme si son sang bouillonnait dessous.
Se griffant le visage avec les ongles, Six hurla de douleur.
― Mère, que veux-tu de moi ?
― La chose la plus simple du monde, mon enfant... Te voir mourir sous mes yeux.
À ces mots, la peau de Six tout entière sembla vouloir se détacher de ses muscles et de ses os. À présent, on aurait juré qu'elle bouillait bel et bien de l'intérieur.
La vieille femme saisit un repli de peau soudain flasque, sur le cou de sa fille.
Puis elle tira très violemment.
D'une seule pièce, la peau de la voyante se détacha de son corps. Écorchée vive, la dépouille sanguinolente de Six s'écrasa sur le sol.
Kahlan crut qu’elle allait vomir.
Souriante, la vieille dame brandit son répugnant trophée.
Puis son apparence se modifia. L'air ondula, et les traits parcheminés se transformèrent en un des plus beaux visages féminins que Kahlan eût jamais vus.
Une splendide rousse, vêtue d'une robe grise vaporeuse dont les diverses nuances fluctuaient sans cesse.
― Shota ! s'écria Richard avec un grand sourire.
La voyante lâcha la peau vide, eut un sourire enjôleur, avança d'un pas et caressa la joue du Sourcier.
Kahlan sentit qu'elle s'empourprait de colère.
― Shota, que fais-tu ici ?
― Je te sauve la peau, mon garçon. Au prix de celle de Six, dirait-on...
― Pour être franc, je ne comprends pas...
― Exactement comme cette idiote, mon cher ! Elle s'attendait à me voir m'enfuir, éperdue de terreur, et éviter de la rencontrer jusqu'à la fin de mes jours. Du coup, elle ne prévoyait pas une visite de sa mère. Tu sais que c'est une de mes spécialités, pas vrai ? En revanche, elle n'était pas capable de ce joli tour de passe-passe, et elle n'accordait pas assez de valeur à la notion de «
lien maternel » pour s'en soucier. Une grossière erreur !
Confrontée à une image de sa mère, la pauvre imbécile a perdu tous ses moyens.
Voyant Shota passer le bout d'un index sur la chemise de Richard, dans l'alignement des boutons, Kahlan commença à perdre sérieusement patience.
― Je déteste qu'on me vole ce que j'ai peiné à me procurer ou à construire, continua Shota. Six n'avait aucun droit sur mes possessions. Il a fallu du temps, mais je lui ai tout repris, au bout du compte.
― Tu ne dis pas tout, Shota... Je suis sûr que tu voulais aussi nous aider.
La voyante eut un geste nonchalant.
― Les boîtes ont été remises dans le jeu. Si les Soeurs de l'Obscurité ouvrent celle qui les intéresse, beaucoup d'innocents mourront. Et je ferai partie du lot, ce qui ne me tente pas du tout.
Richard n'avait rien à dire contre cette profession de foi. Se baissant, il ramassa son épée et la tendit à Shota, pommeau en avant.
― Mon cher petit, que ferais-je d'une épée ?
Kahlan n'avait jamais entendu une voix si douce et si mélodieuse. Se comportant comme si elle était seule avec Richard, la voyante lui faisait un incroyable numéro de charme.
La présence de Zedd l'inquiétant quand même un peu, elle lui lançait de temps en temps un regard noir.
― Pour me faire plaisir, touche la poignée, dit Richard.
― Si tu y tiens...
Les doigts fins de la voyante se refermèrent sur l'arme... et elle sursauta dès qu'elle aperçut Kahlan.
― L'épée désactive le sort d'oubli, expliqua Richard. Elle n'annule pas ses effets, mais à présent, tu peux voir la femme que j'ai épousée.
― Amusant..., souffla Shota. L'ennui, mon garçon, c'est que nous allons bientôt être victimes du pouvoir d'Orden et livrés au Gardien du royaume des morts. Ne t'ai-je pas instamment demandé d'éviter ça ?
― Et comment suis-je censé m'y prendre ?
― Nous en avons déjà parlé, Richard. Tu es le joueur. C'est à toi qu'il revient de remettre les boîtes dans le jeu.
― Nous sommes très loin des artefacts, Shota... Jagang en aura terminé longtemps avant notre arrivée.
― J'ai une surprise pour toi, mon garçon.
― Pardon ?
― Un moyen de te déplacer inattendu.
― Je ne comprends pas...
― Tu vas voler.
― Hein ?
― Le dragon ensorcelé par Six nous attend sur les remparts.
― Un dragon ? s'écria Zedd. Tu veux que Richard voyage sur un monstre pareil ? D'abord, de quel genre de dragon s'agit-il ?
― Le genre agressif.
― Très agressif ? demanda Richard.
― J'ai peur de ne pas être très douée pour prendre l'apparence d'une maman dragon... Mais je l'ai quand même un peu calmé. Je crois...
Richard demanda à ses amis d'attendre dans le couloir tandis qu'il enfilait les vêtements retrouvés dans son sac en même temps que le livre.
Lorsqu'il sortit, Kahlan en eut le souffle coupé.
Dans sa tenue noire ornée d'or de sorcier de guerre, Richard Rahl incarnait un pouvoir et une autorité qui dépassaient ceux de tous les souverains du monde.
Sur sa chemise noire et sa tunique de la même couleur brodée de runes d'or, l'antique baudrier de l'Épée de Vérité lui conférait une noblesse presque indescriptible. Et sur sa hanche, le magnifique fourreau incrusté de pierreries brillait comme les serre-poignets d'argent rembourrés qui ornaient ses bras musclés.
Et cette cape qui semblait composée d'or en fusion ! Dans quel tissu était-elle donc taillée ?
À voir ainsi le seigneur Rahl, Kahlan ne s'étonna plus que Nicci en soit tombée éperdument amoureuse. La magicienne était tout simplement la femme la plus heureuse du monde. Et elle était digne de Richard.
― Dépêchons-nous ! lança le Sourcier à Shota.
D'une grâce éthérée dans sa robe grise, la voyante guida ses amis dans un dédale de couloirs déserts. Apparemment, elle connaissait très bien le château. De temps en temps, en passant devant une porte ou un couloir latéral, elle faisait un geste de la main, comme pour repousser d'éventuels importuns.
Était-ce vraiment ce qu'elle réussissait ? Sans en avoir la certitude, Kahlan dut cependant constater que personne ne les ennuya en chemin.
Après avoir franchi une ultime porte bardée de fer, le petit groupe déboula sur les remparts, où le vent fit aussitôt claquer la cape de Richard et voleter les cheveux de ses compagnons.
Le dragon rouge attendait, massif comme une petite montagne, l'épine dorsale hérissée de piques à pointe noire.
Histoire d'accueillir ses visiteurs, il lâcha un jet de flammes qui les incita à garder leurs distances.
― Ce n'est pas Ecarlate, dit Richard. Un moment, j'ai cru que ce serait-elle.
― Tu connais un dragon ? s'étonna Kahlan.
― Toi aussi, mais ce n'est pas celui-là. Il est bien plus gros et beaucoup moins commode.
Le reptile ailé lâcha un nouveau jet de flammes. Comme si de rien n'était, Shota avança en fredonnant une douce chanson. Intrigué, le dragon inclina la tête et tendit le cou.
Les propos que la voyante lui murmura parurent le satisfaire, car il ne cracha plus de feu.
Tout en le caressant sous le menton, Shota se tourna vers Richard :
― Viens donc parler avec notre charmant nouvel ami !
Kahlan aurait juré qu'elle entendait le dragon ronronner.
― J'ai pour amie une femelle dragon, dit le Sourcier. Tu la connais peut-être, noble sire. Elle s'appelle Écarlate.
Le reptile ailé inclina la tête et propulsa vers le ciel une langue de flammes. Sa queue garnie de piques balaya les remparts, délogeant au passage quelques blocs de pierre.
― C'est ma mère, grogna entre ses dents le dragon tout en baissant la tête.
― Dans ce cas tu dois être Gregory ?
Le dragon tendit le cou et plissa le front.
― Qui es-tu, petit homme ?
― Richard Rahl... La première fois que je t'ai vu, tu étais... un oeuf. (Comme s'il parlait à un vieil ami, Richard fit un demi-cercle avec ses bras.) Pas plus grand que ça !
― Richard Rahl... (Gregory eut l'équivalent d'un sourire, pour un dragon.) Ma mère m'a souvent parlé de toi...
― Comment va-t-elle ? (Richard posa une main sur le museau du fils de son amie.) La magie nous fait défaut, et je me demande souvent comment elle s'en tire...
― Elle est très malade, Richard. Chaque jour, elle perd un peu de ses forces.
Étant plus solide, je peux encore voler. Jusqu'à ma capture, je lui apportais à manger... Mais je ne sais que faire pour l'aider. Et j'ai peur de la perdre.
― La souillure des Carillons..., dit tristement Richard. Ce cancer ronge inexorablement la magie.
― Dans ce cas, les dragons rouges sont condamnés.
― Nous le sommes tous, mon ami... Sauf si je peux arrêter le processus.
Gregory tourna la tête de façon à observer le Sourcier avec un de ses énormes yeux jaunes.
― Tu en es capable ?
― Je crois, mais je n'en ai pas la certitude... Pour essayer, il faut que j'aille au Palais du Peuple.
― Là où attend l'armée noire ?
― C'est ça, oui. Je suis le seul en mesure d'agir. Tu veux bien nous conduire là-bas ?
― Je suis libre, à présent. Un dragon sans entraves ne sert pas les humains.
― Qui parle de servir ? Je te demande de me conduire en D'Hara, afin que je puisse sauver tous les innocents menacés de morts comme ta mère.
Gregory regarda Zedd, Tom et Rikka, l'air pensif.
― Vous venez tous ?
― Oui, parce que j'aurai besoin de mes amis, là-bas... C'est notre seule chance d'éviter une catastrophe.
Gregory flanqua dans la poitrine de Richard un gentil coup de museau assez fort pour le faire vaciller sur ses jambes.
― Ma mère m'a raconté comment tu m'as sauvé, quand j'étais un oeuf... Si je t'aide aujourd'hui, nous serons quittes.
― Absolument !
Gregory se baissa autant qu'il lui était possible sur les remparts.
― En route, dans ce cas !
Richard expliqua à ses amis comment grimper sur le dos du dragon et comment s'installer entre ses piques. Puis il prit place le premier et aida Zedd, Rikka et Tom à le rejoindre.
Le vieux sorcier grommelait comme un dément. Au bout d'un moment, son petit-fils lui ordonna de se taire.
Kahlan passa la dernière. Richard l'installa juste derrière lui. Pendant qu'elle prenait place, elle le vit sortir un mouchoir blanc de sa poche et le regarder.
― J'ai peur..., murmura la jeune femme en passant les bras autour du torse de son mari.
Le Sourcier lui sourit par-dessus son épaule.
― Voler avec un dragon fait tourner la tête, mais ça ne rend pas malade...
Tiens-toi bien et ferme les yeux si tu préfères.
Kahlan s'étonnait toujours de la gentillesse qu'il lui témoignait. Dès qu'elle était près de lui, il s'épanouissait.
― C'est quoi, ce morceau de tissu ? demanda-t-elle.
L'étrange mouchoir blanc portait deux taches noires, une à chaque extrémité.
― Un souvenir..., répondit distraitement Richard.
De toute évidence, il n'avait accordé aucune attention à la question de Kahlan.
En revanche, le mouchoir blanc l'hypnotisait. Il finit pourtant par le remettre dans sa poche.
― Shota, tu viens avec nous ?
― Non, je retourne chez moi, dans l'Allonge d'Agaden. J'y attendrai la fin ―
ou le miracle que tu es seul en mesure d'accomplir. Richard acquiesça.
En toute franchise, Kahlan trouva qu'il ne débordait pas de confiance.
― Merci pour tout, Shota.
― Fais en sorte que je sois fière de toi, mon garçon !
― J'essaierai de toutes mes forces.
― On ne peut rien demander de plus à un être humain. Richard sourit, puis il tapota les écailles rouges du dragon.
― En route, Gregory ! Nous n'avons pas beaucoup de temps ! Le fils d'Écarlate cracha quelques flammes ― une pure affaire de panache ― puis déploya ses ailes et décolla.
Kahlan eut l'impression que son estomac se retournait.