Épilogue

 

 

Le soleil venait de se coucher, la mer était calme, les étoiles scintillaient dans le ciel. Abby se tenait en bout de jetée sur le petit port de Round Pound, le regard perdu au loin. Impeccablement alignées par la marée, les silhouettes blanches des bateaux de pêche pointaient toutes dans la même direction, comme si elles avaient été disposées là par une force invisible. Une légère brise agitait doucement la surface de l’eau et faisait sonner le gréement d’un grand bateau à voiles. Le battement régulier ponctuait l’immensité de l’océan à la manière d’une horloge.

Wyman Ford se tenait à ses côtés.

— C’est ici que j’avais installé mon télescope lorsque le météore a traversé le ciel, expliqua la jeune fille.

Son compagnon acquiesça, les bras croisés, les yeux tournés vers le large.

— C’est parti de derrière l’église dans un silence complet, continua-t-elle, et puis le ciel s’est enflammé, il y a eu une série d’explosions et la traînée lumineuse a filé derrière Louds Island, là-bas.

— C’est donc ainsi que ça a commencé. Quand on pense à tout ce qui s’est passé depuis…

Il décroisa les bras et se tourna vers elle.

— Je suis venu vous voir parce que nous avons un travail à vous proposer, reprit-il. Nous avons besoin de vous. De votre façon de voir les choses. De votre intelligence. C’est important pour la suite des événements.

Abby sentit les couleurs lui monter au visage.

— Grâce à vous, continua-t-il, nous avons du temps pour nous préparer. Du temps pour que vous puissiez terminer vos études et nous être plus utile encore. Vous allez retourner à l’université, obtenir votre diplôme et, ensuite, nous vous engagerons,

— J’ai été renvoyée de Princeton. Qui va me donner une bourse, maintenant ? Je suis fauchée.

Ford plongea la main dans sa poche et en ressortit une enveloppe blanche.

— Princeton. Avec une bourse d’études.

— Mais comment…

— En tirant quelques ficelles, ici ou là.

Il lui tendit l’enveloppe. Elle hésita.

— Prenez-la. Nous avons toujours besoin de nouveaux talents. C’est un sacré travail qui nous attend.

Elle la saisit.

— Merci.

Avec un franc sourire, il fit tinter devant elle plusieurs petites clés suspendues au bout d’une chaîne.

— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit-elle.

— Les clés du Marea III.

Bouche bée, elle les attrapa.

— C’était la moindre des choses, après tout ce qui s’est passé. Avec les compliments du Président. Il est tout neuf, cette fois-ci. C’est un Stanley de onze mètres cinquante. Il est amarré à Boothbay Harbor. Il faudra que vous alliez le chercher là-bas. Faites donc la surprise à votre père.

— M-Merci, bredouilla Abby, la gorge nouée.

— Vous avez déjà coulé les deux premiers bateaux de votre père. Vous pensez que vous allez pouvoir le garder à flot, celui-ci ?

Elle hocha la tête.

Le regard de Ford se tourna à nouveau vers l’océan. Au bout de quelques instants, il reprit la parole.

— Le monde est en train de changer. Bien sûr, il y a des émeutes, des attentats-suicide et toutes sortes de fanatismes religieux. Le monde musulman est à feu et à sang. Mais il semblerait qu’ailleurs on soit peu à peu en train de s’en sortir. La Chine et l’Inde sont désormais de la partie, prenant place aux côtés des Américains, des Russes et des Européens pour nous apporter tout ce qu’ils ont de meilleur. Les Japonais, les Israéliens et les Coréens ont été fantastiques. Il semblerait qu’une nouvelle ère d’ouverture et de coopération – tout au moins dans la majeure partie du monde – soit désormais à portée de main. Vous pourriez avoir votre rôle à jouer… Vous allez avoir votre rôle à jouer.

Abby acquiesça.

— Et maintenant, reprit-il, j’ai une information confidentielle à vous communiquer. Hautement confidentielle. Vous voulez l’entendre ?

Elle regarda Ford, dont les yeux fixaient toujours l’océan – ou plutôt les étoiles.

— C’est quoi, la contrepartie ?

— La contrepartie, c’est qu’un secret est difficile à garder, et que celui-ci, il faut vraiment le garder. Vous comprendrez quand je vous expliquerai de quoi il s’agit.

— Je suis une tombe, vous savez !

— La semaine dernière, l’un des satellites positionnés autour de Déimos a par hasard intercepté une puissante émission de bruit radioélectrique en provenance de la machine. De toute évidence, il s’agissait d’un genre de message.

— Vous avez réussi à le déchiffrer ?

— Non. Et nous n’y parviendrons jamais. Il semble hautement crypté. Ce qui compte, ce n’est pas tant le contenu du message que son lieu de destination.

— C’est-à-dire ?

— La communication était dirigée vers des rémanents d’étoiles situés dans la constellation de la Couronne australe – la Couronne du Sud. Ces rémanents portent le nom de RXJ. Cela fait maintenant des décennies que les astronomes connaissent son existence. C’est une intense source de rayons gamma, très mystérieuse, entourée d’un vaste nuage de poussière en expansion. Les restes d’une gigantesque supemova qui s’est produite il y a douze millions d’années.

— Et qu’est-ce qu’il y a de mystérieux à cela ?

— RXJ est le candidat le plus vraisemblable au titre d’« étoile à quarks », également appelée « étoile étrange ».

— Étoile étrange ?

— Oui. Une boule de matière étrange, le rémanent d’une supemova. S’il se trouvait un système solaire autour du soleil originel de RXJ, la supernova l’a complètement atomisé. Elle a également stérilisé toutes les étoiles environnantes à coups de puissants rayons gamma. Peut-être s’agissait-il d’un phénomène naturel. Mais peut-être pas…

Les implications de toutes ces révélations se bousculèrent dans l’esprit d’Abby.

— Êtes-vous en train de suggérer qu’il ne peut pas y avoir de vie là où le message a été envoyé ?

— Exactement. Pas dans un rayon de dix années-lumière en tout cas. La machine a envoyé un message à l’un des endroits les plus morts et les plus irradiés de la galaxie.

— Mais pourquoi ? Qu’est-ce que ça signifie ?

Malgré la pénombre, Abby distingua la lueur qui pétillait dans les yeux de Ford. Il se contenta de la regarder sans rien dire, le temps qu’elle comprenne par elle-même. Tout à coup, elle saisit précisément ce qu’il voulait dire.

— La machine extraterrestre a donc renvoyé un message à sa planète mère, conclut-elle lentement, mais elle n’obtiendra jamais de réponse.

Ford acquiesça.

— On ne saura sans doute jamais à qui s’adressait le message, mais en tout cas ça fait longtemps qu’ils ne sont plus en état de répondre.