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Ford leur expliqua tout, du début à la fin, mais sans révéler l’identité du destinataire du disque dur.

— Vous tous ici, les interpella-t-il, vous traitez cette affaire comme s’il s’agissait d’une menace à notre sécurité nationale. Ce n’est pas le cas. C’est une menace à la sécurité planétaire. Il faut entièrement revoir votre façon de penser. C’est pour cette raison que j’ai envoyé le véritable disque dur à la presse, ainsi que plusieurs DVD contenant les informations essentielles à différents bureaux de presse et autres organisations. Vous ne pouvez plus rien y faire, mais vous pouvez en revanche vous y préparer. J’ai fait en sorte de vous laisser soixante-douze heures avant que la vérité n’éclate au grand jour. Il vous reste juste le temps de contacter les différents chefs d’État pour trouver une réponse adaptée. Bien sûr, on n’empêchera pas les gens de paniquer. Vous en aurez besoin, de cette panique. C’est toujours en période de crise qu’on accomplit de grandes choses. Cette crise, vous l’avez, désormais. Profitez-en.

M. Manfred, le conseiller à la sécurité nationale, se leva, le visage tendu, le regard glacial. Ses lèvres retroussées laissaient apparaître de petites dents blanches.

— Pour que les choses soient claires : vous avez communiqué ces informations classifiées à la presse ?

— Oui. Et pas seulement à la presse.

Manfred adressa un geste brusque aux deux policiers qui se tenaient dans l’encadrement de la porte.

— Embarquez cet homme et interrogez-le. Je veux savoir qui a les informations et je veux qu’on en empêche la diffusion.

Ford se tourna vers le Président et vit qu’il n’avait pas l’intention de s’interposer. Alors que les gardes s’avançaient, Lockwood prit la parole.

— Je crois que nous devrions débattre de la proposition de M. Ford. Ne la balayons pas d’un revers de manche. N’oubliez pas que nous sommes en terre inconnue.

Manfred lui tomba immédiatement dessus.

— Professeur Lockwood, dit-il d’un ton cassant, étant donné vos fonctions, vous devriez être le premier à comprendre le sens du mot « classifié ».

Sur ce, il tira légèrement sur son nœud de cravate, comme pour appuyer son propos.

Les gardes prirent Ford chacun par un bras.

— Monsieur, je vous prie de nous suivre.

— Vous retombez dans vos vieilles habitudes, déclara calmement celui-ci. Vous n’avez pas l’air de comprendre : la Terre est attaquée. Cette arme peut tout détruire en un clin d’œil. Dans trois jours, la machine de Déimos sera en mesure de tirer à nouveau et il y a des chances pour que, cette fois-ci, ce soit la bonne. Tout le monde meurt. Fini. Bye-bye.

— Épargnez-nous la leçon de morale et embarquez-le, hurla le conseiller à la sécurité nationale.

Ford jeta un dernier regard au Président, dont le visage n’exprimait que confusion. Visiblement intimidé, Lockwood s’était réfugié dans un silence résigné. Personne ne le défendrait. Il était complètement seul. Mais ce qui était fait était fait. Dans trois jours, le monde entier serait au courant.

Les deux gardes l’emmenèrent jusqu’à la porte, suivis de près par Manfred. Au moment de franchir les rideaux antiondes, son téléphone portable se mit à sonner.

Il répondit.

— Prenez-lui son portable, ordonna Manfred.

— Monsieur, votre téléphone, demanda l’un des gardes en lui attrapant la main.

— Wyman ? commença la voix à l’autre bout du fil. C’est Abby. Nous sommes à la station terrestre sur Crow Island. Nous avons envoyé un message à Déimos. Et nous avons eu une réponse.

— Monsieur, donnez-nous immédiatement ce téléphone.

— Attendez ! protesta Ford.

Le garde lui arracha l’appareil des mains et l’éteignit immédiatement. Son collègue le tira vers l’ascenseur.

— Attendez, hurla Ford en se tournant vers Manfred. Ils ont reçu un message de la machine de Déimos !

Le conseiller à la sécurité nationale claqua la porte de la salle de situation. Les deux gardes, rejoints à présent par des agents des services secrets, embarquèrent Ford de force.

— Vous faites une grave erreur, cria celui-ci.

Ford vit à leur visage parfaitement stoïque que toute parole était inutile.

L’ascenseur s’ouvrit et on le poussa à l’intérieur. Ils montèrent jusqu’au State Floor, où on le conduisit à travers le hall d’entrée, jusqu’à un fourgon qui l’attendait dehors. À cet instant, l’un des agents des services secrets porta la main à son oreillette et s’arrêta pour écouter. Il se tourna alors vers le prisonnier, le visage toujours aussi imperturbable.

— Monsieur, ils demandent à ce que vous remontiez.

 

Dans la salle de situation, le Président se tenait debout, à l’extrémité de la table. À ses côtés, Manfred, le visage écarlate, peinait à contenir sa colère.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de message ? interrogea le chef de l’État. Je veux savoir de quoi vous parliez.

— Il semblerait, répondit Ford, que mon assistante ait envoyé un message à cette machine extraterrestre sur Déimos et qu’elle ait reçu une réponse.

— Comment ?

— En utilisant la station terrestre de Muscongus Bay. Sur Crow Island.

Il y eut un silence.

— Et quel était ce message ?

— Je n’en sais rien. Ils m’ont confisqué mon téléphone. Puis-je vous suggérer de les rappeler pour découvrir ce qui s’est passé ?

— C’est parfaitement grotesque, objecta Manfred avant d’être réduit au silence par un geste agacé du Président.

— Appelez-les, reprit ce dernier. Et mettez-les sur haut-parleur.

Les gardes relâchèrent Ford. Un assistant lui tendit une feuille de papier sur laquelle était écrit le numéro de la station terrestre. Il décrocha le combiné et composa les chiffres.

Nom de Dieu, songea-t-il, qu’a-t-elle encore fait ?