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Les villageois en fuite avaient envahi le vieux monastère. Les moines allongeaient les malades à l’intérieur du sanctuaire en ruine, leur apportant nourriture et eau. Les pleurs des enfants et les sanglots des mères se mêlaient aux cris de terreur et de confusion. Cherchant du regard l’homme qui les avait auparavant accueillis, Ford aperçut avec stupéfaction des religieux en toge orange munis d’armes de guerre, portant sur l’épaule des cartouchières. Ils patrouillaient vraisemblablement sur les pistes en provenance de la montagne. Au loin, au-dessus des collines, une colonne de fumée noire tournoyait dans un ciel pâle.

Il trouva le moine en question agenouillé auprès d’un garçon malade, qu’il réconfortait tout en lui faisant boire de petites gorgées d’eau d’une vieille bouteille de Coca-Cola. L’homme leva les yeux vers l’étranger.

— Comment avez-vous fait ?

— C’est une longue histoire.

— Merci, répondit-il simplement avec un hochement de tête.

— J’aurais besoin d’un endroit un peu tranquille pour passer un appel par satellite.

— Le cimetière, répliqua le moine en lui indiquant un chemin couvert de mousse.

Ford laissa derrière lui le chaos ambiant pour se diriger vers une zone où la forêt se faisait moins dense. Éparpillés parmi les arbres s’élevaient des stupas par dizaines, petites tours qui contenaient les cendres des moines les plus méritants. Avec les années, les peintures et les dorures s’y étaient effacées ; certains s’effondraient dans l’herbe, brisés en plusieurs endroits.

Il s’installa au calme entre deux tombes, sortit son téléphone satellite, le brancha sur un ordinateur de poche et composa le numéro.

L’instant d’après, la voix pâteuse de Lockwood résonnait à l’autre bout du fil. Il était 2 heures du matin à Washington.

— Wyman ? Vous avez réussi ?

— Vous êtes un sacré menteur, Lockwood.

— Attendez, calmez-vous. Qu’est-ce qui se passe ?

— Vous saviez depuis le début où se trouvait la mine. Cette saloperie est absolument énorme, impossible de la rater par satellite. Pourquoi m’avoir menti ? Pourquoi cette mascarade ?

— Il y a des raisons pour tout. De très bonnes raisons. Maintenant, avez-vous oui ou non les coordonnées que je vous ai demandées ?

— Oui, répondit Ford, ravalant sa colère. J’ai tout. Photos, mesures de la radioactivité, coordonnées GPS.

— Parfait. Vous pouvez me les envoyer ?

— Vous les aurez lorsque j’aurai la réponse à ma question.

— Ne jouez pas au plus malin avec moi.

— Ce n’est pas mon intention. Je vous propose juste un échange d’informations. Dans votre bureau.

Il y eut un long silence.

— C’est idiot de votre part de le prendre comme ça.

— Je suis un idiot, c’est vrai. Mais vous le saviez déjà. Ah, au fait, j’ai fait sauter la mine.

— Vous avez quoi ?

— Explosée. Bye-bye. Sayonara.

— Vous êtes cinglé ? Je vous avais dit de ne pas y toucher !

Ford redoubla d’efforts pour contenir sa colère. Il respira profondément, avala sa salive et reprit la parole.

— Ils avaient réduit des villages entiers en esclavage, femmes et enfants compris. Des centaines de gens étaient en train de mourir. Les cadavres s’entassaient, ils ont même creusé des charniers. Je ne pouvais pas laisser faire.

Il y eut un nouveau silence.

— Ce qui est fait est fait, conclut Lockwood. Je vous vois dans mon bureau dès votre arrivée.

Ford raccrocha, débrancha le téléphone et le mit hors tension. Reprenant sa respiration avec difficulté, il s’efforça de mettre un peu d’ordre dans ses pensées. Ce qu’il avait vu ne le quitterait jamais, aussi longtemps qu’il serait en vie. Un silence pesant régnait sur le cimetière ; le jour jetait ses derniers feux à travers les cimes des arbres.

Restait le problème de la nature de la mine. Il n’en avait pas parlé à Lockwood, mais la découverte qu’il avait faite était si étrange qu’il semblait difficile de l’expliquer de façon rationnelle. Et ses implications lui glaçaient le sang.