APOCRYPHES DES DERNIERS JOURS

I  ... ET SI BEAU QUE ME FÛT LE JOUR

Je bats la peau de l'altambour avec l'agilité de mes doigts

C'est une pluie après tout qui bondit sur le temps et le toit

Une grêle de grains durs tombant dans le silo du silence

Le sel au-dessus du feu tout à coup qui grésille et s'élance

Un mot pour cacher la peur insupportablement répété

Une rumeur des troupeaux Une mer assiégeant la jetée

Le pas du malheur et le poids du ciel tout ce que l'homme porte

Marche à la mort qu'on nomme vie

Ô frappement de chaque instant

Entends la tempe éteinte éteins ta lampe avance vers ce qui t'attend

 

Qui vient vers moi qui me ressemble au miroir de ce matin blême

Je bats l'altambour de mon cœur montant à l'assaut de moi-même

De qui suis-je donc le soldat qui me fait mon propre ennemi

Si je respire c'est brûler du feu qu'en moi-même j'ai mis

Si je parle je me détruis et ce que je dis est ma cendre

Et la ténèbre devant moi c'est ma lumière qui l'engendre

Et le néant naît de ma force et j'ai ma perte dans le sang

Et je suis le ver qui me ronge et le sépulcre où je descends

Et du plus loin qu'il me souvienne

et si beau que me fût le jour

C'est vers cette bouche de terre et sa morsure que je cours

Sombre altambour rien ni l'amour ne ralentit ta batterie

Retombe enfin comme un drap lourd sur les amants et sur leurs cris

Roule ton bruit sur les parfums où les baisers se décomposent

Sur les charniers et sur les lits où se défont toutes les choses

Corps enlacés plaisirs lassés bonheur bonheur recommencé

La longue étreinte comme un chiffre dans la chair aux yeux versés

Ô vie ô mort n'arrête pas tes bruits égaux dans l'ombre égale

Frappe plus fort d'autant plus fort que c'est ici le dernier bal

Des bras unis et désunis frappe la dernière insomnie

O vie ô mort double déni que se fasse en nous l'harmonie

 

II  LE VRAI ZADJAL D'EN MOURIR

 

Ô mon jardin d'eau fraîche et d'ombre

Ma danse d'être mon cœur sombre

Mon ciel des étoiles sans nombre

Ma barque au loin douce à ramer

 

Heureux celui qui meurt d'aimer

 

Qu'à d'autres soit finir amer

Comme l'oiseau se fait chimère

Et s'en va le fleuve à la mer

Ou le temps se part en fumée

 

Heureux celui qui meurt d'aimer

 

Heureux celui qui devient sourd

Au chant s'il n'est de son amour

Aveugle au jour d'après son jour

Ses yeux sur toi seule fermés

 

Heureux celui qui meurt d'aimer

 

D'aimer si fort ses lèvres closes

Qu'il n'ait besoin de nulle chose

Hormis le souvenir des roses

À jamais de toi parfumées

 

Heureux celui qui meurt d'aimer

 

Celui qui meurt même à douleur

À qui sans toi le monde est leurre

Et n'en retient que tes couleurs

Il lui suffit qu'il t'ait nommée

 

Heureux celui qui meurt d'aimer

 

Mon enfant dit-il ma chère âme

Le temps de te connaître ô femme

L'éternité n'est qu'une pâme

Au feu dont je suis consumé

 

Heureux celui qui meurt d'aimer

 

Il a dit ô femme et qu'il taise

Le nom qui ressemble à la braise

À la bouche rouge à la fraise

À jamais dans ses dents formée

 

Heureux celui qui meurt d'aimer

 

Il a dit ô femme et s'achève

Ainsi la vie ainsi le rêve

Et soit sur la place de grève

Ou dans le lit accoutumé

 

Heureux celui qui meurt d'aimer

 

JEVNES AMANS VOUS DONT C'EST L'AAGE

ENTRER LA RONDE ET LE VOÏAGE

FOV S'ESPARGNANT QVI SE CROIT SAGE

CRIEZ À QUI VOVS VEVT BLASMER

 

HEVREVX CELUY QVI MEVRT D'AIMER

 

III  Ô IMPIE

 

Et dans une heure de faiblesse il rêva qu'il était assis près du jujubier tu sais celui dont une fois il est parlé comme pour t'arracher l'âme

Près du jardin de la Maroua

Un arbre mauve et roux au vent mauvais de la grand'route

Il se rappela ce qu'il est dit de celui qui oublie Allah et s'en fait oublier

Et peut-être que toute sa vie a failli de porter ses baies

Peut-être que ses pas se sont perdus faute de croire

Voilà que descend sur lui l'envergure d'un grand oiseau

Je le reconnais je le reconnais à force de l'avoir attendu

Ou ce n'était que l'ombre précédant l'homme

Quand il est entré dans la chambre avec la fatigue du voyage

Et j'entendais ses pieds nus sur les dalles brûlées

Il est entré dans la chambre il a chassé la servante

Et dit de cette voix qui vient de très loin dans le désert

Laissez-moi seul avec celui que j'ai créé

 

Te voilà donc ô Dieu qui me ressembles

Si bien que devant toi c'est me prosterner devant le miroir

Ou si tu es mon père pour cette parole dite

Alors raconte-moi le plaisir de ma mère à l'instant que tu m'as engendré

Avait-elle ces yeux renversés comme un vin de violettes

Et toi tu savais bien que tu brisais ta propre loi

Car elle était la femme d'un autre et je suis le fils du péché divin

J'ai passé ma vie à te renier

 

Écoute À l'heure où je m'échappe enfin crois-tu que la vérité ne soit pas sur ma lèvre Écoute

Je peux te le dire en face enfin que tu n'existes pas

S'il y avait un Dieu comment se pourrait-il que son image meure

Tu es le sable que disperse mon pied périssant

Mon triomphe est ce dernier souffle qui t'efface ainsi qu'une preuve donnée

Agite-toi tant que tu peux dans la chambre avant que je ne sois plus que silence

Agite-toi visiteur de la dernière minute

Toi qui viens pour remettre l'ordre et lever l'équivoque au sourire du mort

Toi qui confonds enfin la parole et tire du soupir ultime un avantage de voleur

Et si tu t'assieds alors sur ma poitrine tu peux bien

Peser de tout ton poids Néant ce n'est pas de lui que vont s'affaisser mes côtes

Ni ma bouche se tordre d'un nom qui n'est pas le tien

Est-ce que vraiment tu t'infliges peine à chaque homme

De venir ainsi donner sens à son départ et prendre ton jour de sa nuit

Ah tu ne peux pas comprendre en moi la raillerie

Et cette joie étrange que sans moi l'eau continue à couler dans le verger

Sans moi l'aube à venir s'accouder aux collines

 

J'ai moi passé ce monde sans avoir prouvé Dieu Comprends-tu

Cette fête à ma dernière oreille Je l'ai

Si longtemps si longtemps guetté ce moment de moi-même

Ce moment de me rejeter comme des vêtements d'être

À la fin si parfaitement nu

Seul avec ma mémoire où vont s'évanouir mes yeux d'avare

Sur tout ce que j'ai vu tout ce que j'ai aimé

Tout ce que j'ai gardé pour moi seul de ce monde

 

Et ne t'y trompe pas ce que tu prends pour la douleur

C'est encore une fois le cri de la chair qui te nargue

Ô mort ô Dieu de quelque nom que tu t'appelles

Tu peux garder pour toi ta peur ton paradis

 

Or encore une fois il a levé la pierre de ses paupières

Tout était à son ordinaire dans la maison

Quelqu'un chantait dans le jardin ou si c'était un feu de feuilles

Il se leva regarder toute chose en sa place et sourit

Puis sans prendre même soin de se vêtir il écrivit ce verset d'une sourate imaginaire Ô impie

Tu ne blasphémeras pas le nom du Seigneur puisqu'il n'existe point