Il ne nous est rien parvenu des chants nombreux qu'au long de sa vie Kéïs Ibn-Amir an-Nadjdî, qu'on appelle Medjnoûn Elsa ou Al-Zâ (ce qui est barbare, le zeïn comme le sîn étant lettres solaires, et donc l'on devrait dire Es-Sâ ou Az-Zâ, d'où probablement la supposition que ce nom étrange pourrait être un camouflage de celui de la déesse préislamique Al-Ozza...) il ne nous est rien parvenu des chants que le Medjnoûn égrena par les rues, les champs, les vallées, ou dans ses variables demeures, non plus que ne sont transcrites les prières de l'homme pieux, si beaux que soient les noms qu'il donne à Dieu. Cependant, lorsque déjà par l'usure de son corps on put voir la trame de son existence, les cordes de son âme comme un luth qui a traîné sur toutes les pierres marquées de ses genoux, il advint qu'aux pas du Medjnoûn un gamin s'attacha dont les parents n'étaient point connus, et qui prit soin du vieil homme, pour lui collectant les offrandes de ceux qui l'ont entendu chanter, lavant le seuil de sa maison, lui portant l'eau, prenant soin de ses vêtements et des étoffes de son lit.
Le diseur de zadjal se fit habitude de ne le pas remarquer, l'appelant Zaïd, qui fut le seul nom qu'on connût à l'enfant. Ainsi Zaïd devint son ombre et son serviteur, silencieux et rapide, ayant la couleur de l'olive et la prestesse du lézard. Comment il apprit à écrire, et non seulement l'arabe, mais toute sorte de langages, on suppose que cela lui vint à la fois d'une famille de lettrés juifs qui habitaient au voisinage du Medjnoûn, et d'un talent précoce et singulier, peut-être d'origine surnaturelle. Toujours est-il qu'on le voyait assis calligraphiant à merveille ce qu'une mémoire surprenante lui avait permis de retenir des improvisations de son Maître, et jamais il ne lui en demandait correction, car le Medjnoûn tenait l'écriture faite pour un seul nom qu'il ne traçait que sur les murs.
C'est à Zaïd que nous devons presque les seuls chants notés d'An-Nadjdî. Les titres qu'ils portent sont du scribe, lequel les inventait pour faciliter référence aux gens de savoir en demandant la copie, qu'il faisait sur ce papier de chanvre et de lin nommé chatibi d'après la ville qui le fabrique, et l'enfant en apportait l'argent à l'al-Baiyazin, dans une écuelle d'argile. Il y a eu des hommes de science par la suite pour s'étonner que Zaïd n'ait jamais fixé les zadjal ou autres poésies qu'An-Nadjdî consacra, comme il est de connaissance commune, à l'histoire de Grenade et à ses malheurs, mais seulement ceux-là qui disent d'Elsa et de l'amour d'elle. Quand Zaïd plus tard tomba dans les mains de l'Inquisition, il fut torturé afin de lui arracher explication de cette singularité. Tout ce qu'on obtint de lui, qui n'avait semblance d'aveu, fut que l'écriture n'est point faite pour ce qui passe, mais pour ce qui demeure. Et comme on lui avait mis la main dans le feu, s'indignant qu'infidèles qu'ils fussent les Rois de Grenade lui semblassent moins qu'Elsa dignes de mémoire, il cria de douleur que, suivant l'enseignement de son Maître, l'avenir de l'homme est la femme, et non pas les Rois.