Terres vacantes et accaparements fonciers
La flambée des prix des produits alimentaires de 2008 a amplifié une dynamique de grands investissements fonciers en Afrique, présentée comme une des dernières frontières agricoles du monde. Ceux-ci ont des origines diverses qui reflètent la nouvelle configuration mondiale mettant en concurrence pays développés et émergents. Au-delà des mobilisations sociales qu’ils suscitent, ces investissements posent la question des modèles de développement.
Les terres africaines, dernière frontière ?

La course aux ressources naturelles constitue une dimension des politiques néolibérales mises en place par les États depuis les années 1990 : fiscalité faible, simplicité des procédures et sécurisation juridique des investissements. En Afrique, elle est légitimée par le discours de la Banque mondiale ou de la FAO, pour qui le continent offrirait un des derniers potentiels mondiaux de terres arables non mises en valeur, n’attendant que capitaux et savoir-faire.

Les acteurs des acquisitions de vastes étendues de terres sont divers. On y trouve à la fois des entreprises privées et des fonds souverains, originaires de puissances agricoles d’Europe et d’Amérique du Nord ou de pays émergents d’Asie (Inde, Malaisie, Singapour) et du Moyen-Orient, qui anticipent la hausse des besoins alimentaires mondiaux. Ils sont aussi parfois africains, cas de la Libye d’avant 2011  –  100 000 ha auprès de l’Office du Niger malien –, et surtout de l’Afrique du Sud, dont les différents opérateurs (fermiers indépendants et groupes agro-industriels intégrés) sont présents dans 28 pays, notamment en Afrique australe et centrale (Mozambique, Zambie, RDC). Un petit nombre de pays concentre l’essentiel des transactions en nombre et en superficie : il s’agit souvent de grands pays en situation post-conflit (Éthiopie, Soudan, Mozambique, Angola), dont les régimes autoritaires sécurisent ces investissements.

L’ « accaparement » (land grabbing), dénoncé à propos de projets mondialisés portant sur des centaines de milliers d’hectares, est aussi souvent associé à la prise de contrôle de terres par des entrepreneurs nationaux ayant prospéré dans le commerce ou l’industrie, et qui bénéficient d’un capital social et politique important. Ces dynamiques diffuses ont moins de visibilité que les précédentes.

Afin de lever l’opacité qui entoure ces transactions agricoles de grande envergure, un collectif de chercheurs et d’ONG a organisé la base de données landmatrix, qui permet de rendre publique l’information et favorise le plaidoyer en faveur des droits fonciers de l’agriculture familiale.

 

 

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Un modèle de développement agricole contesté

En soutenant les investissements agricoles étrangers, les États espèrent une augmentation rapide de la production agricole (par l’importation de technologies modernes) et des retombées en termes d’emploi et de ressources publiques. La sécurisation foncière de la grande agriculture d’entreprise sert une idéologie de la modernisation censée bénéficier à l’ensemble de l’agriculture et de l’économie, les exploitations familiales étant supposées profiter des innovations dans les modes de production.

Cependant, ces investissements fonciers importants soulèvent de nombreuses critiques. Les ONG soulignent les risques en termes de sécurité alimentaire et d’inégalités sociales. Car l’orientation des productions est plus souvent l’exportation (palmier à huile) que le marché intérieur, les cultures industrielles (agrocarburants) plutôt que les cultures vivrières. Dans la zone de l’Office du Niger, au Mali, des investisseurs ont acquis facilement des baux emphytéotiques (99 ans), alors que les paysans installés depuis plusieurs générations n’ont aucune sécurité foncière et des exploitations trop petites. Ils paient l’eau plus cher que les agro-industriels et sont incités à cultiver des légumes plutôt que du riz pour réserver l’eau aux investisseurs, au détriment de la sécurité alimentaire. L’attribution puis la clôture de vastes domaines excluent aussi les éleveurs, relégués loin des meilleurs pâturages. La prolétarisation dans les grandes exploitations semble l’horizon des paysans riverains les plus vulnérables.

Ces grands projets agricoles ont cristallisé des contestations importantes. À Madagascar, où la question foncière revêt une grande sensibilité, un projet d’implantation du coréen Daewoo (2008-2009), pour produire du palmier à huile et du maïs, a causé des troubles qui ont conduit à la chute du président Ravalomanana. Le projet fut annulé. Dans la vallée du fleuve Sénégal, l’entreprise italienne Senethanol, qui visait la production d’agrocarburants pour le marché européen, fut confrontée en 2011 à une révolte à Fanaye, dans la moyenne vallée, sur fond de rivalités politiques locales. Elle s’est finalement installée dans le Delta, en 2012, dans une aire protégée (Ndiaël) déclassée par l’État, grâce à une stratégie de responsabilité sociale et environnementale qui a permis, pour l’heure, son acceptation locale.

 

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Atlas de l'Afrique
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