Jusqu’à présent, la croissance urbaine ne s’est pas accompagnée, en Afrique, d’une rupture des liens entre les nouveaux citadins et les campagnes. Au contraire, les ménages mobilisent à la fois les ressources rurales et urbaines, en développant des stratégies leur permettant de conserver « un pied dedans, un pied dehors », selon l’expression proposée par J.-L. Chaléard et A. Dubresson. En Côte d’Ivoire, au Ghana, au Cameroun ou en Ouganda, l’économie de plantation attire petits et grands investisseurs urbains (entrepreneurs, cadres, fonctionnaires) cherchant à compléter et diversifier leurs sources de revenus. L’acquisition de biens fonciers et l’investissement dans des exploitations agricoles sont aussi des moyens de préparer des retraites, envisagés parfois sous la forme d’un « retour » à la campagne. Du côté des ruraux, les investissements en ville (immobilier ou transport) répondent, pour ceux qui en ont les moyens, à des stratégies de long terme analogues. Pour le plus grand nombre, la recherche de revenus complémentaires en ville est liée à la transformation des économies agricoles, qui ne contribuent plus qu’à 15,6 % du PIB en Afrique subsaharienne. C’est le cas, par exemple, des éleveurs Massai de Tanzanie : la crise de l’élevage pastoral (réduction des ressources foncières et sécheresses) les pousse à trouver des emplois saisonniers de gardiennage à Dar es-Salaam.
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Dès les années 1980, l’explosion de la consommation urbaine a encouragé les agriculteurs à s’orienter vers les produits vivriers. Si une part importante des céréales consommées aujourd’hui dans les villes africaines est importée (blé en Afrique du Nord, riz en Afrique de l’Ouest), les produits animaux, les racines et tubercules, les légumes et condiments proviennent majoritairement des campagnes voisines. Des produits alimentaires viennent aussi des villes : les ménages ruraux d’Afrique de l’Ouest achètent déjà la moitié des aliments qu’ils consomment. Ce sont surtout les produits manufacturés, pour l’essentiel importés, qui sont l’objet de flux commerciaux des villes vers les campagnes, au potentiel de consommation croissant.
Depuis les années 2000, une nouvelle phase de développement des transports (densification des réseaux routiers, augmentation du nombre de véhicules) a stimulé les relations villes-campagnes. Si des situations d’enclavement extrême persistent encore sur le continent, la majorité des campagnes est désormais assez bien reliée aux centres urbains par des services de transport en commun réguliers, qui répondent à une demande croissante : le commerce, la scolarisation, l’accès aux soins, les mariages, les funérailles, les fêtes religieuses, etc., sont autant de motifs de déplacements pour des familles dispersées entre villes et campagnes.
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L’imbrication croissante des sociétés et des économies rurales et urbaines tend à produire de nouvelles formes de territorialité. D’un côté, l’accélération des mobilités entre villes et campagnes et la banalisation de la multirésidentialité contribuent à l’hybridation des modes de vie. D’un autre côté, les limites physiques entre rural et urbain sont rendues floues par l’extension des aires urbanisées et l’émergence de bourgs et petites villes (urbanisation « par le bas ») qui accompagne la densification des campagnes. Ainsi, en périphérie de Bamako, les marchés ruraux et les services de transport contribuent à la fois à l’extension du rayonnement de la capitale et à l’émergence de centres secondaires polarisant les territoires ruraux.
Les pouvoirs publics n’ont pas anticipé cette transformation et les politiques économiques ou d’aménagement du territoire, fondées sur une différenciation statistique et statutaire du rural et de l’urbain, sont de moins en moins opératoires. En promouvant une meilleure distribution spatiale des attributs de la centralité, la décentralisation participe toutefois d’un rééquilibrage territorial et d’une perception plus inclusive du développement.
Les activités non agricoles
Dans le cadre du programme RuralStruc, des enquêtes ont été menées entre 2006 et 2010 auprès de ménages ruraux dans 19 régions de 6 pays. Les résultats montrent que les activités non agricoles liées à la proximité d’une ville ou à un processus de densification rurale forment, dans certaines régions, plus de 50 % des revenus des ménages. Pour l’essentiel, il s’agit du commerce, de l’artisanat, des métiers de services (coiffure, restauration, etc.), le tout formant la vaste catégorie d’auto-emploi.