Bahiret el Bibane, Tunisie.
Alana n’avait cure du sable ou de la chaleur étouffante qui leur arrivait par vagues incessantes depuis le désert. C’étaient les mouches qui l’exaspéraient. Elle avait beau se tartiner la peau de crème et border soigneusement sa moustiquaire le soir, cette engeance ne désarmait pas. Après presque deux mois de fouilles, elle se rendait compte avec horreur que les ouvriers locaux ne semblaient même pas remarquer les horribles insectes. Pour se réconforter, elle avait tenté d’imaginer quelque terrible désagrément dans son Arizona natal que ces gens n’auraient pas supporté, mais elle n’avait rien trouvé de pire que les embouteillages.
Il y avait onze Américains et une cinquantaine de travailleurs locaux sur ce chantier de fouilles archéologiques, tous sous la houlette du professeur William Galt. Sur les onze Américains, six étaient des post-doctorants comme Alana Shepard. Les cinq autres étaient encore en troisième cycle à l’Université de l’Arizona. Il y avait huit hommes pour trois femmes, mais jusque-là, cela n’avait pas posé de problème.
En apparence, ils fouillaient un site romain à moins d’un kilomètre de la côte. On avait longtemps cru que ces bâtiments en ruine avaient abrité une résidence d’été du gouverneur Claudius Sabinus, mais la découverte d’un vaste temple d’une construction totalement inconnue changeait complètement la donne. Dans le camp des archéologues, on commençait à dire que Sabinus était le chef d’une secte, et, qu’étant donné l’époque de son gouvernorat, il aurait pu se convertir au christianisme.
Le professeur Bill (c’est ainsi que Galt aimait se faire appeler) se méfiait de telles conjectures, mais il ne pouvait empêcher son équipe d’en discuter à l’heure des repas.
Mais pour certains d’entre eux, tout cela n’était qu’une couverture. Alana et sa petite équipe de trois membres se trouvaient là pour des raisons bien différentes. Bien qu’également consacrée à l’archéologie, leur mission avait plus pour but d’assurer l’avenir que de découvrir le passé.
Jusqu’à ce jour, les choses allaient plutôt mal. Après sept semaines de fouilles, ils n’avaient toujours rien découvert, et ils commençaient à se dire qu’on les avait embarqués dans une entreprise délirante.
Elle se rappelait encore l’excitation éprouvée lorsqu’elle avait été approchée par Christie Valero, du ministère des Affaires étrangères, mais depuis un certain temps déjà, le désert avait consumé ce qui restait de son enthousiasme.
Alana Shepard n’était pas très grande, et en dépit de ses trente-neuf ans, on la prenait souvent pour une de ses étudiantes. Deux fois divorcée – la première fois, c’était une grave erreur commise à dix-huit ans, la deuxième une erreur encore plus grave avant ses trente ans – elle avait un fils, Josh, que la mère d’Alana gardait quand celle-ci travaillait sur le terrain.
Comme il était plus facile de garder les cheveux courts dans le désert, elle avait coupé sa frange au milieu du front et gardé à peine de quoi recouvrir la nuque. Anna n’était pas particulièrement belle, mais on la trouvait mignonne, un terme qu’elle affirmait détester mais qu’au fond elle adorait. Elle était titulaire d’un double doctorat de l’Université de l’Arizona en géologie et en archéologie, ce qui la qualifiait particulièrement pour ce travail, mais aucun des diplômes affichés sur le mur de son bureau à Phoenix n’aurait pu l’aider à trouver ce qui n’existait pas.
Avec son équipe, elle avait exploré le lit asséché de la rivière sur des kilomètres sans rien trouver d’anormal. Les gorges de grès creusées par la rivière des millions d’années auparavant étaient désespérément lisses jusqu’au moment de former ce qui avait été autrefois une chute d’eau.
Ils n’avaient pas jugé utile de poursuivre leurs recherches plus en amont. Lorsque la rivière coulait encore, deux siècles auparavant, les chutes auraient constitué un obstacle insurmontable.
Le bruit d’un marteau-piqueur tira Alana de sa rêverie. La machine était montée à l’arrière d’un camion et réglée horizontalement de façon à pouvoir attaquer la falaise de face. La pointe en diamant entamait facilement le grès friable. Mike Duncan, un géologue du Texas, habitué des champs de pétrole, manœuvrait la machine à l’arrière de la plate-forme. Ils utilisaient ce marteau-piqueur pour sonder d’anciens éboulements, à la recherche de grottes ou de cavernes. Après plus d’une centaine de trous semblables, ils n’avaient rien trouvé.
Elle observa la scène pendant plusieurs minutes tout en s’épongeant la gorge. Lorsque la machine eut percé la roche sur plus de dix mètres, Mike coupa le moteur dont le bruit décrut jusqu’à laisser entendre à nouveau le souffle du vent.
— Rien, dit-il d’un ton dégoûté.
— Je répète qu’on aurait dû percer d’autres trous sur la roche, là-bas, plus en aval, lança Greg Chaffee.
Au sein de leur équipe, le dénommé Greg Chaffee était l’œil du gouvernement. Agent de la CIA, se disait Alana sans vouloir trop approfondir la question. Chaffee n’avait aucun titre universitaire ni aucune qualification professionnelle justifiant sa présence parmi eux, aussi son opinion était-elle généralement de peu de poids. Mais au moins effectuait-il le travail qu’elle lui confiait, et en outre, il parlait couramment l’arabe.
Quatrième membre de leur petit groupe, Emile Bumford était spécialiste de l’empire ottoman, et plus particulièrement des Etats barbaresques. Alana le tenait pour un butor prétentieux. Il refusait de quitter le camp installé près des ruines romaines au prétexte que ses compétences ne seraient utiles qu’après une découverte.
Ce n’était pas faux, mais à Washington, le jour de leur rencontre avec la sous-secrétaire d’Etat Valero, il s’était vanté de sa longue expérience de terrain, affirmant même « adorer la sensation de la terre sous ses ongles ». Jusque-là, il n’avait guère eu l’occasion d’abîmer ses ongles manucurés, sauf les innombrables fois où il effaçait les plis de la saharienne qu’il portait avec affectation.
— Encore une de tes intuitions ? demanda Mike à Chaffee.
Ils partageaient un même goût pour les courses de chevaux et avaient plus confiance dans leurs pronostics respectifs que dans ceux des journaux spécialisés.
— Ça peut pas faire de mal, dit Chaffee en haussant les épaules.
— Ça ne servirait à rien non plus, rétorqua Alana, un peu plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu. Désolée, je ne voulais pas être désagréable. Mais là-bas, les falaises sont trop hautes et les pentes trop raides. Il n’aurait pas été possible de faire descendre des chameaux pour décharger un bateau.
— Sommes-nous même sûrs qu’il s’agisse bien de l’ancien lit de la rivière ? demanda Mike. On ne trouve pas de vastes cavernes dans le grès. Il est trop tendre. Le toit s’effondrerait avant que l’érosion ait pu la creuser suffisamment pour abriter un bateau.
Alana avait pensé la même chose. Ils devaient chercher du calcaire, tendre et solide à la fois, et susceptible d’abriter des cavernes. Le problème, c’est qu’ils n’avaient découvert que du grès et quelques escarpements en basalte.
— La lettre de Charles Stewart était très claire quand à la localisation de la base secrète d’Al-Jama, dit-elle. Rappelez-vous : Henry Lafayette y a vécu deux ans avant la mort du vieux pirate. D’après les images satellite, c’est le seul lit de rivière possible dans un rayon de cent soixante kilomètres de l’endroit indiqué par Lafayette.
— En tout cas, on a de la chance d’être du bon côté de la frontière libyenne, ajouta Greg.
Ses cheveux blonds et son teint clair le rendant particulièrement sensible au soleil, il portait des chemises à manches longues et un grand chapeau de paille. Ses chemises étaient toujours trempées de sueur au col et sous les bras, et il devait les laver tous les jours.
— Malgré la prochaine conférence de Tripoli, reprit-il, je ne crois pas que le vieux Mouammar Kadhafi apprécierait de nous voir faire des trous dans son jardin.
— Mon père travaillait sur les champs pétrolifères libyens avant que Kadhafi les nationalise, dit Mike.
Il était plus grand et plus mince que Greg, et, avait le cuir si tanné par une vie passée au grand air, que les petites rides autour de ses yeux ne disparaissaient jamais. Il avait aussi les mains calleuses comme de l’écorce de chêne et il mâchonnait une chique de tabac de la taille d’une balle de golf.
— Il me disait toujours que les Libyens sont les gens les plus gentils du monde, ajouta-t-il.
— Les gens, oui. Le gouvernement, pas vraiment, dit Alana en buvant une gorgée d’eau chaude à sa gourde. Même s’ils accueillent une conférence de paix, je ne crois pas qu’ils aient changé de politique. (Elle se tourna vers Greg Chaffee.) Est-ce que la CIA ne pense pas que la Libye, un moment, a donné asile à Suleiman Al-Jama, le terroriste qui a pris le nom du pirate dont nous recherchons la cachette ?
Il ne mordit pas à l’hameçon.
— Ce que j’ai lu dans la presse, c’est qu’Al-Jama a cherché à entrer dans le pays mais qu’il n’y a pas été autorisé.
— Ça fait des semaines qu’on fouille ce lit de rivière sans rien trouver, dit Mike d’un air dégoûté. Cette mission n’est qu’une perte de temps.
— Les huiles semblent penser le contraire, répondit Alana sans grande conviction.
Elle songea alors à sa rencontre à Washington avec la sous-secrétaire d’Etat Christie Valero. Ce jour-là, dans le bureau du ministère, dans le quartier de Foggy Bottom, elle avait découvert l’un des hommes les plus grands qu’elle eût jamais vu. Son nom, déjà, était inoubliable puisqu’il s’appelait Saint Julian Perlmutter ; il lui rappelait Sydney Greenstreet, sauf que le vieil acteur lui avait toujours semblé sinistre et que Perlmutter était un gros homme jovial. Ses yeux étaient aussi bleus que ceux d’Alana étaient verts. Christie Valero, elle, était une petite femme blonde, jolie, de quelques années plus âgée qu’Alana. Les murs de son bureau s’ornaient de photos de tous les endroits où elle avait été en poste pendant vingt ans de carrière, toujours au Moyen-Orient.
Christie Valero se leva pour accueillir Alana, mais Perlmutter lui serra la main sans quitter le canapé.
— Merci d’avoir accepté de nous rencontrer, dit Christie.
— Ce n’est pas tous les jours qu’on me propose d’être reçue par une sous-secrétaire d’Etat.
— Il y en a treize à la douzaine dans cette ville, fit Perlmutter en riant. Allumez une lampe dans une fête et vous les verrez s’enfuir comme des cafards.
— Encore une blague comme ça, dit Christie, et je te fais interdire de tous les dîners d’ambassade.
— Ça, c’est un coup en dessous de la ceinture, dit Saint Julian avant d’éclater de rire. Je dirais même que ça touche directement la ceinture.
— Docteur Shepard…
— Je vous en prie, appelez-moi Alana.
— Entendu, Alana, eh bien voilà : nous sommes face à une affaire où vos talents nous seraient d’un grand secours. Il y a quelques semaines de cela, Saint Julian est tombé sur une lettre écrite dans les années 1820 par un amiral du nom de Charles Stewart. Dans cette lettre il raconte l’histoire incroyable d’un marin qui a survécu alors qu’on l’avait cru tué lors d’une bataille navale le long des côtes barbaresques, en 1803. Il s’appelait Henry Lafayette.
Christie Valero lui raconta alors le rôle joué par Lafayette dans l’incendie du Philadelphia et sa disparition dans la mer après l’attaque contre le Saqr. A ce moment-là, Saint Julian reprit la suite du récit.
— Lafayette et Suleiman Al-Jama ont gagné le rivage. Henry a ôté la balle à mains nues et a enduit la blessure de sel gratté sur un rocher. Le capitaine pirate a déliré de fièvre pendant trois jours, mais il a fini par s’en tirer. Heureusement pour eux, Henry a réussi à recueillir de l’eau de pluie et il avait l’habitude de trouver de la nourriture sur les rivages.
« Il faut également savoir que cet Al-Jama n’était pas devenu pirate par cupidité mais par haine des infidèles.
— C’est de lui que Suleiman Al-Jama tire son nom ? demanda Alana en faisant ainsi référence au terroriste contemporain.
— Oui.
— Je ne savais pas qu’il y en avait eu un autre, autrefois.
— Il l’a choisi en toute connaissance de cause. Pour beaucoup d’islamistes, le premier Al-Jama fait figure de héros et de guide spirituel. Avant de devenir pirate, il avait été imam. Nombre de ses écrits lui ont survécu et sont toujours étudiés avec beaucoup d’attention parce qu’ils justifient les attaques contre les non-croyants.
— On a un portrait de lui exécuté avant son premier voyage en mer, dit alors Christie Valero. On trouve souvent des reproductions de ce tableau dans des caches de terroristes. Dans tout le monde musulman, il a une stature de guide pour les terroristes. Pour eux, c’est le premier djihadiste, le premier à avoir combattu l’Occident.
— Excusez-moi, mais en quoi puis-je vous être utile ? demanda Alana, plutôt troublée. Je suis archéologue.
— J’y arrive, répondit Saint Julian. Et j’essayerai d’être bref.
« Bon, Lafayette et Al-Jama semblaient venir de deux planètes différentes, mais il y avait entre eux un lien étrange. Vous voyez, Lafayette avait sauvé deux fois la vie d’Al-Jama. La première fois en l’amenant jusqu’au rivage, la deuxième en soignant sa blessure par balle. C’était une dette que le musulman ne pouvait ignorer. En outre, Henry, qui était Canadien français, ressemblait énormément au fils qu’Al-Jama avait perdu longtemps auparavant.
« Ils se retrouvaient dans le désert à au moins cent soixante kilomètres de Tripoli. Suleiman savait que s’il ramenait Henry là-bas, le pacha le ferait emprisonner avec l’équipage du Philadelphia, ou, pis, le ferait exécuter pour l’incendie du navire.
« Pourtant, il y avait une autre solution. Al-Jama ne lançait pas seulement ses expéditions depuis la ville, mais aussi depuis une base secrète dans le désert, très loin à l’ouest. Il partait souvent de là, pour éviter le blocus naval. Il pensait qu’après avoir défait le Siren, ses hommes voudraient le retrouver dans ce repaire.
« Alors ils se sont mis en route vers l’ouest. La plupart du temps, ils suivaient le rivage, mais parfois, ils étaient forcés de faire des crochets par l’intérieur des terres. Henry ne savait pas combien de temps cela leur avait pris. Probablement quatre semaines, et ils ont dû vivre l’enfer. Ils manquaient d’eau, et plus d’une fois ils ont cru tous deux mourir de soif. « L’eau, l’eau partout,/et pas une goutte à boire. » Coleridge avait raison. Ils ont été sauvés par les rares chutes de pluie et par l’eau des coquillages qu’ils ramassaient.
« Il s’est aussi passé quelque chose de curieux. Les deux hommes ont commencé à nouer une amitié. Al-Jama parlait un peu l’anglais, et Henry a réussi à apprendre l’arabe très rapidement. Je ne connais pas le thème de leurs discussions, mais apparemment ils parlaient beaucoup. Lorsqu’ils sont arrivés enfin à la cachette, Al-Jama ne maintenait plus Henry en vie par obligation mais parce qu’il aimait sincèrement le jeune homme. Plus tard, il l’appellera “mon fils”, et Henry l’appellera “père”.
« Dans la base secrète, ils ont retrouvé le Saqr, mais les hommes, qui croyaient leur capitaine disparu, étaient retournés chez eux, le long de la côte barbaresque. Dans son rapport au ministère de la Marine, Charles Stewart raconte qu’à la fin de la bataille, le Saqr brûlait et était sur le point de couler, mais visiblement, il était parvenu à s’échapper.
« D’après Henry Lafayette, la cachette était bien approvisionnée et un vieux serviteur s’occupait d’eux. De temps à autre, une caravane de chameaux apportait de la nourriture en échange de produits des pillages entreposés là. Cependant, il leur avait fait promettre de ne pas dire à ses hommes qu’il était encore en vie.
— Le produit des pillages ? demanda Alana.
— Les mots exacts de Henry étaient “une montagne d’or”, répondit Perlmutter. Le bruit courait qu’Al-Jama était même en possession du joyau de Jérusalem.
Alana se tourna vers la sous-secrétaire d’Etat.
— Vous voulez m’envoyer à la chasse au trésor ?
Christie Valero acquiesça.
— D’une certaine façon, oui, mais ce ne sont ni l’or ni un joyau mythique qui nous intéresse. Que savez-vous des fatwas ?
— N’est-ce pas une sorte de proclamation à l’intention des musulmans ?
— Exactement. Suivant qui les a émises, elles ont une influence énorme dans le monde musulman. Au cours de la guerre entre l’Iran et l’Irak, l’ayatollah Khomeiny en a publié une autorisant les soldats à se faire sauter lors d’attaques suicides. Vous devez savoir que le Coran interdit formellement le suicide, mais les troupes de Saddam Hussein étaient en train de vaincre celle de Khomeiny et la situation était désespérée. Il a alors décrété qu’il était licite de se faire exploser si l’on entraînait des ennemis avec soi. Sa stratégie a été couronnée de succès, un peu trop à notre goût. Les Iraniens ont fini par repousser les troupes irakiennes et par obtenir un cessez le feu, mais sa fatwa est demeurée en vigueur, et elle est toujours utilisée pour justifier des attentats-suicides, de l’Indonésie à Israël. Si elle pouvait être combattue par un religieux doté d’une même autorité, on pourrait assister à une diminution drastique des attentats-suicides dans le monde entier.
Alana commençait à comprendre.
— Suleiman Al-Jama ?
Saint Julian se pencha en avant, faisant craquer le cuir du canapé.
— D’après ce qu’a dit Henry Lafayette à Charles Stewart, après son retour aux Etats-Unis, Al-Jama a complètement changé de position vis-à-vis des chrétiens. Avant d’être sauvé par Henry, il n’avait jamais parlé à aucun chrétien. Henry lui a lu la Bible qu’il portait toujours sur lui, et Al-Jama a commencé à s’attacher aux similitudes entre les deux religions plutôt qu’à leurs différences. Dans les deux années qui ont précédé sa mort dans sa cachette, il a étudié le Coran comme il ne l’avait jamais fait auparavant et a beaucoup écrit sur la façon dont la chrétienté et l’islam devraient coexister en paix. Voilà pourquoi, à mon avis, il ne voulait pas que ses marins sachent qu’il avait survécu à la bataille navale, parce qu’ils auraient voulu lancer de nouvelles expéditions, et que lui ne le voulait pas.
Christie Valero l’interrompit.
— Si ces documents existent, ils constitueraient une arme formidable dans la guerre contre le terrorisme, parce que cela saperait les justifications que se donnent la plupart des fanatiques. Les tueurs qui ont suivi aveuglément les directives d’Al-Jama sur le meurtre des chrétiens seraient tenus de prendre en compte, ne fût-ce que pour une question d’honneur, ce qu’a écrit le vieux pirate à la fin de sa vie.
« Je ne sais pas si vous savez, reprit-elle, que dans deux mois doit se tenir une conférence de paix à Tripoli, en Libye. Ce sera la plus grande conférence de ce genre dans toute l’histoire de l’humanité, et peut-être une occasion unique de mettre un terme définitif à toutes les guerres. Toutes les parties envisagent de faire des concessions importantes, et les Etats pétroliers sont disposés à verser des milliards de dollars d’aide au développement. J’aimerais tellement que la secrétaire d’Etat puisse lire un écrit d’Al-Jama sur la réconciliation. Ce serait un pas important en faveur de la paix.
Alana fit la grimace.
— Est-ce que ça ne serait pas surtout symbolique ?
— Sans aucun doute, répondit Saint Julian. Mais une grande part de la diplomatie tient à la symbolique. Les parties en conflit cherchent une réconciliation. Entendre un imam révéré, un homme qui a inspiré tant de violence, changer ainsi d’opinion, serait un coup diplomatique formidable, et permettrait d’assurer le succès de cette conférence.
Alana se rappelait son enthousiasme à l’idée de contribuer ainsi à la stabilité du Moyen-Orient, mais à présent, après des semaines de recherches infructueuses, elle se sentait fatiguée, sale et inutile. Elle se releva. Fin de la pause.
— Allez, les gars. Il nous reste encore environ une heure avant de retourner aux ruines romaines et de nous entretenir avec le chef des fouilles.
Pour pouvoir poursuivre son travail avec le reste de l’expédition, il était en effet explicitement convenu qu’Alana et ses équipiers devaient rentrer au camp tous les soirs. C’était compliqué, mais les autorités tunisiennes refusaient de laisser quiconque seul dans le désert.
— Autant aller vérifier l’intuition de Greg, ajouta Alana, parce que finalement, la géologie ne nous apprend pas grand-chose.