30

Dun geste infiniment lent, Eric ôta la pierre qui depuis un quart d’heure lui meurtrissait les côtes. A côté de lui, il sentait la désapprobation que ce mouvement suscitait chez Linc. De l’autre côté se trouvaient Mark, Linda et Alana.

En dépit de tout ce qu’elle venait de vivre et des dangers que représentaient les terroristes, Alana avait tenu à les accompagner. Après un rapide examen, le Dr Huxley l’y avait autorisée.

En raison de son rang au sein de la Corporation, c’était Linda qui dirigeait cette opération, et, persuadée que Cabrillo aurait refusé, elle avait pris la décision sans le consulter.

Ils se trouvaient au sommet d’un escarpement dominant la vallée où Alana et son équipe avaient passé tant de semaines à rechercher la tombe de Suleiman Al-Jama. En dessous d’eux, des dizaines de terroristes venus du camp d’entraînement. Peut-être étaient-ils habiles dans l’art de tuer et de mutiler, mais ils se révélaient de bien piètres archéologues. Le chef de l’escouade n’avait aucune notion de ce qu’ils cherchaient et il avait envoyé ses hommes un peu au hasard retourner des pierres et fouiller les pentes à la recherche d’un indice permettant de localiser la tombe. A cette allure, ils devraient atteindre dans quatre ou cinq heures l’ancienne chute d’eau que l’équipe d’Alana avait découverte.

Le professeur Emile Bumford se trouvait au milieu des terroristes. Sans jumelles, qu’ils ne pouvaient utiliser par peur que le soleil ne se reflétât sur les lentilles, il était difficile de bien le distinguer, mais il ne semblait pas mort de peur. Il cherchait comme les autres, et bien qu’il se déplaçât lentement, il ne boitait pas et ne présentait pas de signe de blessures. Aucune trace du représentant du ministère tunisien des Antiquités ni de son fils. Payé pour trahir les Américains, il devait déjà être de retour à Tunis.

Pas de trace non plus du vieil hélicoptère Mi-8 qu’utilisaient les terroristes et l’équipe en conclut qu’il se trouvait en aval de la rivière et devait récupérer les chercheurs dès qu’ils avaient franchi une certaine distance.

Linc tapota la jambe d’Eric, signal pour eux de redescendre de l’escarpement. Il se laissa doucement glisser, suivi de Linda, de Mark et d’Alana. L’ancien SEAL, lui, demeura en position deux minutes de plus pour s’assurer que personne n’avait repéré leur mouvement.

Puis il les conduisit vers le sud pendant vingt minutes avant d’estimer qu’ils pouvaient parler en toute sécurité, ce qu’ils firent tout de même à voix basse.

— Qu’en pensez-vous ? demanda Mark.

— Je crois qu’il faut se demander ce qu’aurait fait Juan en pareil cas.

— Facile, répondit Eric. Descendre les méchants, trouver la tombe et se débrouiller ensuite pour coucher avec une Bédouine.

Alana réprima un éclat de rire.

— Non, sérieux, fit Linc. Nous savons où se trouvent les terroristes : d’ici quelques heures, ils atteindront les chutes. Les deux génies, là, vous avez une idée de l’endroit où pourrait se trouver cette tombe ?

— Il faudrait voir les chutes pour être sûrs, mais on a effectivement quelques idées sur la question.

C’était la première fois qu’Alana entendait parler de leur plan.

— Attendez un instant ! dit-elle vivement. Moi-même j’ai examiné ces chutes. Jamais un voilier n’aurait pu les franchir. La pente est trop raide. Presque verticale.

— Fais-nous confiance, répondit doucement Eric.

Linda regarda dans les yeux chacun des membres de l’équipe.

— Voilà le plan, dit-elle. Nous allons essayer de trouver cette tombe. Linc, je veux que tu restes en arrière et que tu gardes un œil sur ces gars-là. Préviens-nous par radio quand tu estimeras qu’ils sont à environ une heure des chutes, ça nous permettra de nous tirer. Des questions ?

Il n’y en eut pas.

Fatigués par leur marche depuis l’endroit où l’hélicoptère les avait déposés, les deux hommes et les deux femmes mirent un certain temps à franchir les dix kilomètres jusqu’aux chutes qui formaient un barrage sur cette rivière sans nom. Ayant marché tout le long au sommet du plateau, ils découvrirent les chutes depuis le haut. Linda ordonna à Alana de rester avec les hommes tandis qu’elle explorerait les lieux. Mark et Eric entreprirent alors d’examiner méticuleusement les falaises aux jumelles.

D’en haut, le lit de l’ancienne rivière apparaissait dans toute son étendue, ce que n’avaient jamais pu voir Alana et son équipe. De l’amont jusqu’à la première cascade, un bassin naturel occupait toute la largeur de la rivière, formé de rochers qui avaient résisté depuis des lustres à l’érosion. Un mur construit de main d’homme courait sur toute sa longueur. A la différence du lit de la rivière, lessivé par le courant puissant qui courait autrefois entre ses berges, le sol du bassin était recouvert de grosses pierres arrondies.

D’en haut, l’on pouvait également apercevoir les fondations d’un autre mur, depuis longtemps disparu qui s’étendait depuis la base de la première chute vers l’aval sur une trentaine de mètres.

En découvrant les pierres arrondies, Alana emprunta ses jumelles à Eric et les observa plusieurs minutes, comme si elle s’attendait à les voir bouger.

— C’est du basalte, déclara-t-elle en lui rendant les jumelles. Même chose pour le mur.

— Et alors ?

— C’est la première fois que je vois autre chose que du grès dans ce patelin ingrat. Cela veut dire qu’il y a eu dans le coin une certaine activité volcanique.

— Ce qui veut dire ? demanda Mark.

— Qu’il y a peut-être des cavernes.

— Là, il n’y a aucun doute.

— Mais ça ne change rien, ajouta-t-elle, comme déçue. Al-Jama n’aurait jamais pu hisser son bateau au-dessus des chutes. Point final.

— Vous regardez cet endroit avec un œil de géologue, pas d’ingénieur. (Il se tourna vers Eric.) Où, à ton avis ?

— Il en faudrait sur les deux rives. La rivière est trop large pour qu’il n’y en ait qu’un seul. (Il montra une saillie plate juste au-dessus de la berge.) Ici pour notre côté, et ce promontoire, qui doit être six mètres plus haut, de l’autre côté.

— Je suis d’accord avec toi.

— Mais de quoi parlez-vous ? demanda Alana.

Jusque-là, elle avait vu les membres de la Corporation comme des soldats et ne savait que penser d’Eric Stone et de Mark Murphy. Pour elle, c’étaient avant tout des maniaques de la technique, pas des mercenaires, et ils semblaient utiliser un jargon connu d’eux seuls.

— Des mâts de charge, dirent-ils d’une même voix.

Et Eric ajouta :

— On va vous montrer.

Ils gagnèrent la saillie qui devait se trouver à quelques dizaines de centimètres au-dessus de l’eau, même lorsque le niveau de la rivière était le plus élevé. Elle se trouvait presque au même niveau que la première falaise et suffisamment grande pour accueillir un autobus. Les deux hommes scrutèrent le sol. Lorsque quelque chose attirait son regard, l’un des deux s’accroupissait pour balayer la poussière recouvrant le grès.

— Ça y est, s’écria soudain Mark.

Il ôta le sable remplissant un trou parfaitement circulaire foré dans la roche. Il eut beau s’allonger et enfoncer le bras jusqu’à l’épaule, il ne parvint pas à en atteindre le fond.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Alana.

— C’est là qu’ils ont planté le mât de charge, répondit Mark. Probablement un tronc d’arbre. Il devait y avoir une bôme attachée qui pouvait atteindre le milieu de la rivière. Comme vous le voyez d’après le trou, la bôme était massive et devait être capable de soulever plusieurs tonnes. Il y en avait forcément un deuxième sur l’autre rive.

— Je ne comprends pas. A quoi pouvaient-ils servir ?

— Avec ça, ils pouvaient déposer des pierres dans la rivière…

— Non, pas des pierres, rétorqua aussitôt Eric. On en a déjà parlé. Ils ont dû utiliser des paniers tressés ou peut-être de gros sacs en toile à voile remplis de sable. Comme ça, le sable pouvait être ensuite emporté par le courant.

— C’est bon, concéda Mark, un peu agacé.

Alana avait beau avoir une dizaine d’années de plus que lui, elle était fort attirante, et l’étalage de son intelligence représentait pour Mark son arme principale avec les femmes.

— Ils descendaient de gros sacs de sable sur le mur construit sous la première cascade pour diviser le cours de la rivière. Comme ça, ils pouvaient endiguer le flot sans le retenir complètement, car ce genre de barrage n’aurait pas tenu avec la force du courant.

« Tandis que le Saqr était retenu dans une sorte de bassin d’écluse, ils le remplissaient d’eau jusqu’à ce que le bateau s’élève au niveau du deuxième bassin, celui créé par la nature et qui avait probablement inspiré les ingénieurs de Suleiman.

— Ils répétaient ensuite le processus, ajouta Eric, et amenaient le Saqr sur le cours supérieur de la rivière.

— Vous avez découvert tout ça sans même avoir vu les lieux ? demanda Alana avec une admiration non dissimulée.

Mark voulut répondre en bombant le torse, mais Eric fut plus rapide.

— L’écluse est la seule chose qui pouvait correspondre à ce que Henry Lafayette qualifiait de « dispositif ingénieux ». A partir de là, nous avons étudié des images-satellites pour vérifier notre hypothèse.

— Impressionnant, leur dit Alana. Et je m’en veux un peu. J’ai contemplé cet amas de rochers pendant des heures sans rien y voir.

Mark s’apprêtait à utiliser cette dernière remarque pour se faire valoir mais Linda fit son apparition, si silencieuse que personne ne l’avait entendue approcher.

— Vous devriez faire attention à ce qui vous entoure, les gars. Je ne cherchais même pas à être discrète. Qu’avez-vous trouvé ?

— Ce dont on se doutait, dit Mark en coulant un regard en direction d’Eric. Au cours d’une sécheresse, alors que la rivière avait presque cessé de couler, les gens d’Al-Jama ont transformé les chutes en écluse de façon à pouvoir hisser le navire dans un endroit où personne n’irait jamais le chercher.

— Donc la grotte est en amont ?

— Certainement.

— Alors on y va, dit Linda.

Par radio, elle informa Linc de leur décision en lui précisant qu’ils risquaient de perdre le contact en raison de la distance et de la topographie. Il devait être trop près des terroristes pour répondre, et il se contenta de deux petits clics pour signifier qu’il avait bien reçu le message.

Ils se mirent en route en direction du sud, marchant à mi-pente pour que leurs silhouettes ne se détachent pas sur l’horizon, mais également pour se protéger du vent qui venait de se lever. Cette partie du désert pouvait ramener chacun à l’insignifiance. Le ciel cuivré semblait peser sur leurs épaules et la chaleur torride ralentissait leur progression. Chaque marcheur emportait de l’eau pour une journée, ils n’avaient donc aucune crainte à avoir de ce côté-là, mais sur les quatre, trois avaient à peine dormi et la tension nerveuse des derniers jours commençait à se faire sentir.

Les membres de la Corporation considéraient tout cela comme leur devoir, quant à Alana, elle n’aurait pu y renoncer sauf à être hantée pour le restant de ses jours par l’image de Mike Duncan gisant sans vie sur le sable du désert, du sang coulant par un trou dans son front. Elle était archéologue et mère de famille, et sa place ne semblait pas au milieu d’eux, mais elle sentait que dans le cas contraire, elle n’aurait jamais pu se regarder à nouveau dans une glace.

Ceux qui avaient tué Mike et l’avaient enlevée avaient enfreint les règles qui régissaient sa vie, et elle voulait tout simplement se venger.

Trois kilomètres après les chutes, le lit de la rivière se modifia. Les berges de grès laissèrent place à un calcaire gris plus léger qui avait dû se trouver en mer des millions d’années auparavant.

— Ça doit être là, dit Alana. Il y a souvent des grottes et des cavernes dans le calcaire.

Mark tapota le bras d’Eric et lui montra un endroit de l’autre côté du lit à sec.

— Qu’en penses-tu ?

A cet endroit, un glissement de terrain avait arraché une partie de la berge et déversé des tonnes de rochers dans le lit de la rivière. Cet effondrement s’étendait sur quarante-cinq mètres de long, et derrière lui la rive était notablement plus haute qu’ailleurs.

— C’est ça ! s’écria Eric. Ils ont fait sauter l’entrée de la grotte du côté de la rivière et l’ont bouchée. Derrière cet amas de pierres se trouve le vaisseau d’Al-Jama, le Saqr, sa tombe et peut-être même le joyau de Jérusalem.

Mais leur excitation ne tarda pas à retomber.

— Impossible de remuer une telle quantité de pierres sans matériel de chantier, dit Alana, et il faudrait de toute façon plusieurs semaines.

— Mais nous, on est là, fit Mark le plus sérieusement du monde.

— Que voulez-vous dire ?

— La porte de derrière, répondirent Eric et Mark à l’unisson.

Il leur fallut dix minutes pour descendre dans le lit de la rivière et passer sur l’autre rive pour se retrouver en haut de l’éboulis. L’arrière de la colline, face au désert, formait un ensemble de rigoles et de ravines qui avaient subi l’érosion depuis que le Sahara n’était plus la luxuriante jungle subtropicale d’autrefois. Ils se séparèrent en deux groupes pour mener leurs recherches et trouvèrent presque aussitôt la première entrée de la caverne.

Eric tira une lampe-torche de la poche de sa manche et s’engagea dans l’ouverture large à peu près comme un corps d’homme. Trois mètres plus loin, après un coude à angle droit, se dressait une muraille de roche.

Linda et Alana, elles, trouvèrent une deuxième caverne, qui se prolongeait un peu plus loin avant de se terminer, elle aussi, par un cul-de-sac. La troisième était plus petite : Mark et Eric durent marcher à quatre pattes. Elle s’enfonçait profondément sous la colline, formant plusieurs coudes suivant les méandres de la roche. Parfois, ils pouvaient se redresser et marcher normalement, puis ils étaient obligés de ramper. Eric utilisa un morceau de craie pour marquer les murailles lorsque la caverne commença de se diviser en plusieurs embranchements.

— Qu’en pensez-vous ? demanda Eric au bout d’un quart d’heure, en montrant une inscription en lettres arabes gravée sur une paroi. C’est du genre « Kilroy était ici », mais version Al-Jama ?

— Ça doit être quelque chose comme ça, répondit Mark. Il va nous falloir de l’aide pour explorer toutes ces galeries.

Il tenta de joindre Linda par radio mais ils étaient trop profondément enfoncés sous terre.

— Pierre, feuille ou ciseaux ?

Ils firent leur choix. La feuille recouvrant la pierre, Mark retourna à la surface en grommelant.

Eric coupa la lumière pour économiser la batterie, mais lorsqu’il sentit peser sur lui le poids de l’obscurité, il se hâta de la rallumer. Il lui fallut ensuite quelques respirations pour se calmer et, les yeux fermés, éteindre à nouveau la lumière.

Il attendit ainsi une demi-heure avant d’entendre les autres progresser dans le boyau.

Mark pouffa en éclairant de sa lampe le visage d’Eric.

— Dis donc, t’es blanc comme un linge.

— J’ai jamais aimé les petits espaces clos, reconnut Eric. Quand il y a de la lumière, ça va encore, mais dans le noir…

En temps normal, Mark aurait poussé plus loin la raillerie, mais il tint compte de leur situation à tous.

— T’inquiète pas, mon vieux.

Linda dressa alors un plan d’exploration du réseau souterrain de grottes et de galeries. A chaque fois qu’ils arriveraient à un embranchement, une équipe irait à gauche, l’autre à droite. Dix minutes plus tard, quelle que soit la découverte, ils se retrouveraient à l’embranchement. Le chemin le plus prometteur serait alors exploré ensemble.

Pendant une heure, ils fouillèrent chaque passage. Leur travail était rendu particulièrement pénible par la quantité d’armes et de munitions qu’emportaient avec eux les trois membres de la Corporation. Ils s’écorchaient mains et genoux aux arrêtes rocheuses, et, dépourvus de casque, se cognaient de temps en temps la tête au plafond des galeries. Eric, par exemple, avait appliqué un tampon de gaze à la naissance des cheveux et du sang avait séché sur son front.

Soudain, Eric braqua sa lampe-torche sur le plafond. D’abord, il prit les centaines de concrétions pendantes pour des stalactites, puis s’aperçut que l’une d’entre elles portait un pantalon.

— Oh, mon Dieu, s’écria-t-il, horrifié.

Alana leva les yeux et poussa un cri.

Des dizaines de paires de jambes momifiées pendaient du plafond, certaines ne laissant apparaître que les chevilles, d’autres les mollets et les cuisses, comme jaillissant du sein même de la roche. Un corps était penché sur le côté, à moitié pris dans la pierre, tandis qu’un autre pendait de façon grotesque, le cou tordu de telle façon que l’arrière du crâne était caché et que le visage cadavérique les contemplait à travers ses orbites vides.

Il y avait également des pattes d’animaux, notamment de chameaux et de chevaux, reconnaissables à leurs sabots. La sécheresse de l’air avait retardé la putréfaction, en sorte que la peau pendait sur les os comme du parchemin et que les vêtements étaient demeurés intacts.

Mark observa le sol, s’accroupit puis se redressa en tenant à la main une sandale en cuir qui s’effrita presque aussitôt.

— Qu’est-ce qui leur est arrivé ? Comment est-ce qu’ils ont pu se fondre comme ça dans le rocher ?

Passé le choc initial, Eric entreprit d’examiner le plafond avec attention. A la différence du reste de la grotte, il était ici noir et brillant sous une couche de poussière.

— Bouchez-vous les oreilles ! lança-t-il en amenant son fusil d’assaut à son épaule.

Le bruit du coup de feu fut particulièrement assourdissant dans cet espace confiné.

La balle avait détaché un morceau de plafond. Il le retira complètement puis l’examina avant de le passer à Mark.

— Complètement solidifié, dit-il. Quand la grotte en dessous du puits s’est effondrée, ils sont restés suspendus.

— Bien sûr, dit Alana en examinant à son tour le morceau de roche.

— Un petit peu d’explications pour les ignorants, dit Linda sans même prendre la peine d’examiner le fragment.

— Au-dessus de nous se trouve le fond d’un puits de goudron, répondit Eric.

— En fait, ce sont des sables bitumeux, corrigea Alana.

— Pendant les mois d’été, avec la chaleur, ils s’amollissaient au point de piéger des animaux. Je pense que ces gens-là y ont été jetés, ce qui était une forme d’exécution. Puis, à un moment donné au cours des deux cents dernières années, le fond du puits s’est effondré, ce qui explique tous ces gravats sur le sol, et les victimes sont apparues.

— Je me rappelle ce que m’avait dit un jour Saint Julian Perlmutter, quelques jours après notre première rencontre, dit soudain Alana. Il venait de découvrir des informations supplémentaires sur une croyance locale touchant à la tombe d’Al-Jama. On disait qu’il était enterré sous « le noir qui brûle ». Voilà pourquoi on nous faisait creuser dans une mine de charbon abandonnée. Les terroristes croyaient que ce « noir » c’était du charbon, mais en fait c’était ça : des sables bitumeux.

Eric lui prit des mains le fragment de goudron durci et alluma en dessous la flamme d’un briquet. Il s’enflamma en quelques secondes et il le jeta sur le sol. Sans un mot, ils le regardèrent se consumer.

Linda finit par le repousser du bout du pied.

— Je dirais qu’on approche.

Mais une nouvelle heure d’exploration ne leur permit pas de découvrir la tombe.

Eric et Mark venaient de se séparer des femmes à un nouvel embranchement. Alors qu’ils approchaient l’extrémité en cul-de-sac d’une portion droite et facile d’une galerie située juste sous le lit de la rivière, Eric s’immobilisa pour boire à sa gourde avant de rebrousser chemin. La galerie se terminait par une pente qui rejoignait le plafond, mais quelque chose l’intrigua et il grimpa jusqu’à ce que son visage ne se trouve plus qu’à quelques centimètres de la roche.

Il distingua alors une fente d’à peine un millimètre de large qui parcourait toute la largeur de la galerie. Il tira le briquet de sa poche et lança par-dessus son épaule :

— Eteins ta lampe.

— Quoi ? Pourquoi ?

— Vas-y, pose pas de questions.

Il alluma le briquet et approcha la flamme de la rainure. Il y avait forcément un espace libre derrière parce qu’un courant d’air faisait vaciller la flamme. Il ralluma alors sa lampe et examina soigneusement la rainure, centimètre par centimètre. Le travail avait été réalisé avec le plus grand soin, car le minuscule espace était à peine visible.

— Ça a été fait à la main, annonça-t-il. On dirait une sorte d’énorme balançoire à bascule. Viens me filer un coup de main.

Ils s’avancèrent le plus loin qu’ils purent, le dos appuyé au plafond.

— A trois, dit Eric. Un… deux… trois.

Ils poussèrent ensemble de toutes leurs forces. Au début, il ne se passa rien. Puis, imperceptiblement, le sol sous leurs pieds se mit à céder. Lorsqu’ils relâchèrent leurs efforts, il se remit en place.

— On recommence. Plus fort.

A la deuxième tentative, la grosse pierre s’abaissa d’environ deux centimètres et demi, mais l’ouverture fut suffisante pour qu’Eric entrevoie une vaste pièce en dessous. Il glissa son briquet dans la fente, mais le poids était trop important et le plastique fut écrasé.

— Je crois qu’à quatre on devrait y arriver. Il y a suffisamment de place pour qu’on se tienne tous côte à côte.

Quelques minutes plus tard, ils retrouvèrent Linda et Alana, assises, qui partageaient une barre protéinée.

— J’ai peur de me répéter, dit Linda, la bouche pleine, mais on est encore arrivées dans un cul-de-sac.

— Je crois qu’Eric et moi on a trouvé quelque chose.

Une fois sur place, en haut de la rampe, ils se placèrent l’un à côté de l’autre, les épaules contre le plafond de la galerie.

— On y va ! ordonna Linda.

La pierre crissa contre la pierre et la pente s’abaissa doucement. Bientôt, la rainure se mua en ouverture, découvrant l’entrée d’une pièce partiellement recouverte de briques. Ils redoublèrent d’efforts et bientôt, la rampe fut parfaitement horizontale.

— Vous savez qu’une fois là-dedans, on ne pourra pas revenir en arrière, dit Linda, le visage ruisselant de sueur.

— Je sais, dit Mark. Allez, on continue à pousser.

La plaque de pierre commença de s’incliner dans la salle aux murs de brique. Ils se tenaient à présent au rebord, tous les muscles tendus pour ne pas glisser. Ils n’étaient plus très éloignés du sol couvert de sable. Lorsque la hauteur lui parut suffisante, Linda s’écria :

— Prêts ? On saute !

Ils sautèrent tous les quatre en même temps et tombèrent dans le sable mêlé de poussière. Derrière eux, la lourde dalle se referma avec un bruit de tonnerre. En dessous, il y avait un espace comme un recoin sous une volée de marches. Le point d’appui était en fait une grosse poutre appuyée sur des blocs de pierre entaillés. Dans le creux où le rocher rejoignait le sol, se trouvait un autre petit machin en bois dont on ne voyait pas la fonction.

Dès que l’écho de la lourde pierre se fut dissipé, un nouveau bruit se fit entendre au-dessus d’eux. Eric braqua sa lampe sur le plafond, six mètres au-dessus d’eux, au moment même où du sable se mit à couler à travers des dizaines d’ouvertures.

— C’est une blague ! s’écria Mark.

Le morceau de bois actionnait une trappe qui s’ouvrait lorsque la dalle revenait à sa position initiale.

Ils promenèrent les faisceaux de leurs lampes tout autour de la salle, qui faisait environ un mètre carré. Trois des murs étaient constitués par la roche naturelle, en grès, mais le quatrième était fait de briques assemblées au mortier. Ignorant le rocher, ils concentrèrent leur attention sur les briques, mais ne découvrirent ni trous ni ouvertures d’aucune sorte, ni aucun mécanisme permettant de s’échapper.

Au cours des cinq minutes que dura leur inspection, le sable atteignit soixante centimètres de hauteur. Linda tira son couteau de son étui et se mit à attaquer le mortier entre les briques. Bientôt, elle parvint à détacher une brique du mur, révélant une autre couche identique. Il pouvait aussi bien y en avoir une dizaine l’une derrière l’autre.

— Il va falloir essayer de lever cette pierre par en dessous, dit Linda.

Par inadvertance, elle recula d’un pas et dut secouer la tête pour en ôter le sable.

Il y avait trois ouvertures devant l’alcôve qui était déjà remplie de sable.

— Avec tout ce sable qui coule, rétorqua Eric, on sera ensevelis avant d’avoir pu l’ouvrir.

— On est piégés, dit Alana, prise de panique. Qu’est-ce qu’on va faire ?

Eric regarda Mark, mais pour la première fois, aucun des deux hommes n’avait de réponse.