28

Eddie Seng referma doucement son téléphone portable et faillit pousser un soupir, mais, de l’autre côté de la chambre d’hôtel surchauffée, Hali Kasim lui demanda :

— C’était quoi ?

Max avait déjà expliqué aux deux hommes ce qui se passait et ce dernier coup de téléphone avait duré moins de cinq secondes, mais à la tête que tirait Seng, Hali devina que les nouvelles n’étaient pas bonnes.

— Le président veut qu’on s’empare de Tariq Assad.

— Quand ? Ce soir ?

— Tout de suite.

— Pourquoi ?

— Je n’ai pas posé la question.

Il n’y avait ni climatiseur ni même l’eau courante dans la chambre minable qu’ils avaient louée au gang de Chinois, et les deux hommes étaient en caleçon. Tous deux étaient trempés de sueur, surtout Hali, qui en dépit de ses origines libanaises semblait plus souffrir de la chaleur que son compagnon.

— Ça paraît dingue, cette histoire, dit Hali, le visage ruisselant.

— D’après Juan, Assad est la clé de tout ça, alors dingue ou pas, il faut le faire.

— La clé ? Assad serait la clé ? Ce type n’est qu’un minable fonctionnaire corrompu.

Seng jeta un coup d’œil au spécialiste des communications de la Corporation.

— Raison de plus pour se demander pourquoi ils surveillent sa maison et son bureau au port. D’après Max, des membres du gouvernement libyen ont dit hier qu’ils le soupçonnaient d’être lié au groupe d’Al-Jama, même si ça paraît absurde. Assad mène une vie trop dissolue, trop voyante pour être un terroriste. Les terroristes n’entretiennent pas une demi-douzaine de liaisons féminines et ne risquent pas d’attirer l’attention de la police en acceptant des pots-de-vin.

Hali demeura un instant songeur.

— D’accord. Mais alors s’il n’est pas lié à Al-Jama, pourquoi les Libyens le recherchent-ils à ce point-là ?

— Pour les mêmes raisons que Juan. Il sait des choses à propos de toute cette histoire, mais personne ne sait quoi.

Hali se leva et glissa un Glock 19 dans un étui de cheville avant d’enfiler son pantalon.

— Voilà pourquoi je reste d’ordinaire sur le bateau. Là, j’ai un boulot facile. Je réponds aux appels radio. Si quelqu’un veut parler à un type à l’autre bout du monde, je les mets en relation. Pour les opérations à terre, il faut des téléphones cryptés qui ressemblent à des paquets de cigarettes, et moi ça me gonfle. Essayer d’enlever en plein jour un mec recherché par la police secrète libyenne, c’est pas vraiment mon truc.

Eddie adopta alors le ton d’un vieux sage chinois.

— Elargis ton appétit, ô sauterelle, et le monde entier viendra nourrir ton âme.

Seng n’était pas réputé pour son sens de l’humour. Non qu’il n’appréciât pas une bonne plaisanterie, mais il en était rarement l’auteur, aussi Hali éclatât-il d’un rire un peu trop tonitruant.

— Ne t’inquiète pas. D’après notre dernier rapport, Assad se trouvait chez sa maîtresse numéro trois. Les flics libyens ne sont pas là-bas. A l’heure qu’il est, il doit savoir qu’il est recherché, et celui qui lui offrira un refuge sera pour lui comme un envoyé du Ciel. On va tout simplement se pointer, lui expliquer qu’il n’a plus le choix et le ramener ici. C’est du gâteau.

La maîtresse d’Assad, épouse d’un juge, aux formes généreuses et qui semblait tout droit sortie d’un tableau de Rubens, vivait avec son mari dans un quartier de petits immeubles de trois ou quatre étages datant de plus d’un siècle. Fenêtres et balcons étaient protégés par des grilles en fer forgé et les toits plats abritaient une forêt d’antennes paraboliques, tandis que des boutiques occupaient tous les rez-de-chaussée.

Les trottoirs larges formaient un contraste saisissant avec l’étroitesse des chaussées, vestige d’une époque où le quartier était desservi par des carrioles à cheval et non par des voitures. Cet entrelacs de petites rues étroites donnait au quartier un caractère d’enclave paisible au sein d’une ville bourdonnante d’activité.

Les petits voyous chinois qu’ils avaient chargé de surveiller Tariq Assad avaient garé leur vieille camionnette bien en vue, devant l’immeuble, le capot levé et des pièces de moteur éparpillées sur le trottoir. Les passants, certains vêtus à l’européenne, d’autres en costume traditionnel, ne leur accordaient même pas un regard.

Eddie réussit à se garer devant une petite épicerie, un peu plus loin. Une odeur d’oranges flottait dans l’air.

Tout en faisant semblant de fouiller dans sa boîte à gants, il observait les lieux. Rien d’anormal, apparemment. Les deux vieillards jouant au backgammon à la terrasse d’un café semblaient bien inoffensifs. L’employé nettoyant une table à la devanture d’un magasin de meubles gardait les yeux baissés sur son travail et non sur les passants. Personne assis dans une voiture en cette après-midi torride. Et en dehors de celle qu’utilisaient les membres de la bande, aucune camionnette qui eût pu servir de base d’observation.

Au bout de la rue on apercevait un gros chantier de construction avec une grue qui hissait du matériel jusqu’au dixième étage de ce qui ressemblait à un futur immeuble de luxe d’acier et de béton. Là non plus, Eddie ne remarqua rien de suspect dans le ballet de camions qui allaient et venaient.

— Prêt ? demanda-t-il à Hali.

Celui-ci laissa échapper un gros soupir et gonfla les joues comme un joueur de trompette.

— Comment ça se fait que Juan, toi et les autres vous soyez aussi calmes ?

— Juan envisage tous les scénarios possibles et s’assure d’avoir un plan de rechange en cas d’imprévu. Moi ? Je ne réfléchis à rien du tout. Je me vide l’esprit et je réagis comme il le faut. Ne t’inquiète pas, Hali. Ça ira.

— Si tu le dis. Allez, on y va.

Ils ouvrirent chacun leur portière. Eddie ajusta ses lunettes noires, seul objet qu’il utilisait pour dissimuler ses traits asiatiques. Avec leurs pantalons baggy de couleur beige et leurs chemises à col ouvert, les deux hommes auraient pu passer inaperçus dans n’importe quelle ville du Moyen-Orient.

Alors qu’ils passaient devant la camionnette, Eddie glissa un téléphone jetable à l’un des membres de la bande.

— Allez vous mettre plus loin, murmura-t-il, et surveillez la Fiat rouge qu’on a laissée là. Le premier numéro en mémoire est le mien.

Le jeune Chinois ne fit même pas mine d’avoir entendu et claqua la portière de la camionnette. Eddie et Hali poursuivirent leur chemin sans ralentir l’allure.

La porte d’entrée de l’immeuble n’était pas fermée, mais un gardien en uniforme était assis sur un canapé dans le hall, et lisait un journal. Les deux hommes pénétrèrent dans le hall en riant comme si l’un d’eux venait de lancer une plaisanterie et ignorèrent la remarque que le gardien leur adressa en arabe, et que de toute façon ils n’avaient pas comprise.

Hali ne vit même pas son compagnon bouger.

Eddie se fendit comme un escrimeur, les doigts de la main droite tendus et atteignit le gardien à la gorge, juste sous la pomme d’Adam. Il aurait pu le tuer s’il l’avait voulu, mais la force du coup était volontairement mesurée. Le Libyen s’étrangla et Eddie lui porta une manchette à la base du cou. L’homme s’effondra sur son canapé.

Après avoir jeté un regard au dehors par la porte vitrée pour s’assurer que personne ne les regardait, Eddie et Hali tirèrent l’homme inconscient dans un petit local où un mur entier était recouvert de boîtes aux lettres.

— Combien de temps va-t-il rester évanoui ?

— Environ une heure. (Dans la poche de l’homme, il trouva une carte au nom d’Ali.) Viens. Assad est au troisième étage, côté rue, au coin.

Les deux hommes tirèrent leur pistolet et foncèrent dans l’escalier.

Sur le palier du troisième étage, Eddie ouvrit précautionneusement la porte. Le couloir, au sol recouvert de moquette, était éclairé par des appliques. Les six portes d’appartement étaient solides, en bois sculpté, témoignage d’un temps révolu où l’artisanat était à l’honneur. Heureusement, elles n’étaient pas munies de judas.

Il frappa doucement, respectueusement, à la porte de la maîtresse d’Assad. Quelques instants plus tard, on entendit une voix de femme.

— Ali, sayyidah, répondit Eddie.

Elle prononça encore quelques mots qu’Eddie ne comprit pas et il répondit la première chose qui lui passa par la tête :

— Al-Zajal, sayyidah.

Federal Express, madame. Il avait vu les camions colorés partout en ville.

« Recule », fit-il du bout des lèvres à l’intention de Hali, tandis qu’on entendait bouger une chaîne et deux verrous. Puis il ouvrit la porte d’un coup d’épaule, repoussant la femme sur le côté, et se baissa instinctivement au moment même où une balle, tirée par un pistolet muni d’un silencieux, passait juste au-dessus de son épaule.

La femme hurla. Eddie plongea derrière un canapé avant de se remettre à genoux.

— Tariq, ne tirez pas ! Arrêtez. Nous sommes venus vous aider.

Une vieille horloge accrochée au mur égrenait son tic-tac au milieu des sanglots étouffés de la femme.

— Qui êtes-vous ? demanda Tariq Assad.

— Il y a quelques jours, vous vous êtes arrangés pour que nous débarquions un gros camion sur le port.

— Les Canadiens ?

— Oui.

— Par qui m’avez-vous contacté ?

— Par l’Enfant.

— Vous pouvez vous relever.

Eddie se redressa lentement, et fit en sorte qu’Assad pût voir qu’il n’avait pas le doigt sur la détente de son pistolet.

— Nous sommes venus vous aider à vous enfuir.

Hali pénétra dans la pièce avec précaution. Assad l’observa pendant un moment puis reporta son attention à Eddie, qui avait ôté chapeau et lunettes noires.

— Je vous reconnais, dit Assad. Cette nuit-là vous étiez à la barre. Vous savez, depuis ce moment-là, j’ai l’impression de devenir fou. Je suis surveillé par de jeunes Chinois qui se conduisent de façon bizarre. J’imagine que c’est à vous que je dois ça.

— J’ai engagé des jeunes du coin pour vous surveiller, dit Eddie en glissant son pistolet dans sa ceinture.

Assad releva la grosse femme qui sanglotait. Elle s’essuya le nez d’un revers de main.

Avec ses sourcils broussailleux et ses cheveux grisonnants, Assad n’avait rien d’un Adonis, mais il ne manquait pas de charme et Eddie songea qu’il aurait pu avoir une maîtresse plus attrayante que cette femme d’allure bovine. S’il n’était animé ni par l’amour ni par le seul plaisir des sens, il devait rechercher des informations. Après tout, c’était la femme d’un juge.

Tandis que le Libyen lui murmurait des mots rassurants à l’oreille, Eddie étudiait l’appartement. Il y avait un canapé en cuir récent, une table basse au plateau en marbre sur laquelle étaient posés des magazines. Un coûteux tapis d’Orient recouvrait en partie le parquet et sur les étagères de la bibliothèques s’alignaient des livres reliés de cuir. Il remarqua aussi, accrochés aux murs, des broderies encadrées, probablement réalisées par la maîtresse des lieux. Une brise légère soufflait à travers les rideaux en mousseline et l’étage était assez élevé pour que le bruit de la rue ne fût plus qu’une vague rumeur.

Assad tapota l’ample croupe de sa maîtresse pour la renvoyer vers la chambre à coucher.

— C’est une brave fille, dit-il avant même qu’elle ait quitté la pièce. Pas très maligne, c’est vrai, mais une véritable tigresse là où il faut.

Eddie et Hali réprimèrent un frisson.

— Puis-je vous offrir un verre, messieurs ? proposa Assad lorsque la porte de la chambre se fut refermée. Le juge aime bien le gin, mais j’ai apporté du whisky écossais. Oh, et puis je vous prie de m’excuser de vous avoir tiré dessus. J’ai cru que c’était lui.

— Je crois que vous pouvez cesser votre petite comédie, monsieur Assad.

Quelques secondes de silence suivirent les paroles d’Eddie. Exposé à découvert depuis quelque temps, il se demandait visiblement si ces deux inconnus allaient lui permettre de s’en sortir. Il sembla se détendre.

— Bon, d’accord, j’arrête la comédie. De toute façon, je suis grillé, alors ça n’a plus d’importance. Qui êtes-vous ? De la CIA ? C’est ce que j’ai pensé quand j’ai fait votre connaissance, sur le bateau.

— Pas loin, en tout cas, répondit Eddie. Je vous présente Hali Hakim. Moi, c’est Eddie Seng.

— Vous êtes en Libye pour découvrir ce qu’est devenue votre secrétaire d’Etat ?

— Oui. Mais la mission s’est également transformée en traque de Suleiman Al-Jama.

— Je m’en doutais. Son organisation est une véritable pieuvre, avec des tentacules à tous les niveaux de l’appareil d’Etat. Ils travaillent dans l’ombre et infiltrent petit à petit les institutions au niveau le plus élevé.

— Qui êtes-vous et que faites-vous ici ?

— Je m’appelle Lev Goldman.

Eddie eut l’impression de recevoir un coup de poing dans le ventre.

— Mon Dieu, le Mossad. On a appris que vous étiez ici depuis cinq ans.

— Non, c’est seulement ma couverture qui est là depuis tout ce temps. Moi, je suis arrivé à Tripoli il y a dix-huit mois. Tel-Aviv soupçonnait Al-Jama de vouloir investir lentement un pays d’Afrique du Nord. Ils ont envoyé des agents sous couverture au Maroc, en Algérie, en Tunisie et ici. Quand il est devenu évident que la cible était la Libye, les autres agents ont été retirés, mais moi je suis resté.

— Et ces femmes ?

Goldman baissa encore plus la voix.

— Des épouses esseulées de gens importants. C’est une ruse vieille comme le monde.

— Et votre travail, au port ?

— Je suis au courant de tout ce qui rentre et sort. Armes, équipements, tout ce qu’Al-Jama amène ici. Y compris un Hind modifié qu’ils ont acheté aux Pakistanais. Il a été utilisé dans les hautes montagnes du Cachemire, et peut monter bien plus haut que n’importe quel hélicoptère. Je ne comprenais pas pourquoi ils en avaient besoin, jusqu’au jour où j’ai appris que l’avion de Fiona Katamora s’était écrasé.

— Des membres de notre équipe l’ont détruit, dit Eddie. Ils ont aussi sauvé une centaine de personnes qui travaillaient auparavant pour le ministère libyen des Affaires étrangères.

— Quand Ali Ghami a été nommé ministre, on a parlé de purges, même si la presse évoquait des départs à la retraite ou des transferts dans d’autres ministères. Mais c’est encore un Etat policier, et les gens ont appris à ne pas remettre en question une version officielle.

— Ecoutez, on pourra parler de tout ça plus tard. Il faut qu’on vous fasse sortir d’ici. La police secrète surveille votre bureau et votre domicile.

— A votre avis, pourquoi est-ce que je me cachais ici ?

— Vous avez un plan pour vous échapper ?

— Deux, mais je m’attendais à un avertissement de la part de certains de mes contacts. Maintenant, j’en suis réduit aux expédients. J’avais prévu de coincer le juge à son retour du travail et de lui voler sa voiture. J’ai un appareil électronique qui transmet ma position à un satellite israélien. J’ai reçu l’ordre de me rendre dans le désert, au sud, le plus loin possible, et d’attendre mon extraction par un hélicoptère militaire déguisé en appareil d’une organisation humanitaire qui travaille au Tchad pour les réfugiés du Darfour.

— On peut vous faire quitter le pays plus rapidement et de façon plus sûre, mais il faut qu’on parte tout de suite.

Eddie n’avait pas plutôt prononcé ces mots que la sonnerie de son téléphone retentit. Il écouta quelques secondes sans répondre avant de couper la communication.

— Trop tard. Nos gars viennent de nous signaler l’arrivée dans le coin d’une camionnette de police. Ils ont aussi entendu un hélicoptère. Ils vont établir un large périmètre avant de venir.

— J’ai repéré une sortie secrète, mais de toute façon, ça ne nous amènera pas assez loin. J’avais ça au cas où le juge rentrerait chez lui plus tôt que d’habitude.

Eddie prit rapidement la décision.

— Nous allons nous séparer. Hali, reste avec Lev. Allez dans une ambassade, mais pas la nôtre. Essayez la Suisse ou un autre pays qui ne fait pas partie de la coalition. Vous serez en sûreté jusqu’à ce que les choses se calment.

— Et vous ?

— Moi, Lev, je serai l’appât. Dites-moi, où est la salle de bains principale ?

— Par là, dit-il en montrant la porte de la chambre, à présent fermée.

Les trois hommes se ruèrent dans la chambre. Lev et la femme du juge parlèrent pendant quelques instants : il s’efforçait de la rassurer, tandis que de son côté, elle l’accusait de Dieu sait quoi. Eddie, lui, se rendit directement à la salle de bains et fouilla dans tous les tiroirs avant de trouver ce qu’il cherchait.

D’abord, il se frisa les cheveux pour qu’ils ressemblent à ceux de Goldman, puis les saupoudra de talc pour leur donner un aspect poivre et sel. Il se donna ensuite un coup de noir entre les sourcils, puis, avec du papier toilette, il s’étala du mascara sur le visage pour imiter son côté mal rasé.

Voyant ce qu’Eddie était en train de faire, Goldman lui donna sa chemise et prit la sienne à sa place.

L’agent israélien les conduisit ensuite dans une penderie, et, ignorant les questions insistantes de la femme du juge, écarta quelques vêtements accrochés à des cintres. Puis il déplaça un casier à chaussures, révélant un morceau de bois fixé contre la paroi ; lorsqu’il retira ce morceau de bois, apparut un espace ouvert au fond duquel on devinait le lattis et le plâtre de l’appartement voisin. Ce puits était éclairé d’en haut par deux vasistas crasseux.

— Cet espace résulte de la conversion en appartements d’anciens bureaux, expliqua Lev. Je l’ai découvert sur les plans de l’immeuble. En bas, j’ai découpé une autre ouverture qui donne sur le garage.

— Bon, vous deux vous descendez, dit Eddie. Hali, tu iras ensuite à notre voiture et tu prendras Lev au garage. Le cordon de police ne devrait pas être encore très étoffé, et avec un peu de chance, la police s’occupera surtout de moi.

— Si c’est la police, dit Goldman. N’oubliez pas qu’Al-Jama dirige un Etat fantôme au sein même de celui de Kadhafi.

— Quelle importance ? dit Hali en s’engageant dans l’ouverture.

Un pied sur chaque paroi, il entama sa descente, faisant ployer le lattis et soulevant un épais nuage de poussière blanche. Des morceaux de plâtre se détachèrent et tombèrent en bas du puits.

Goldman dut se déprendre de l’étreinte de sa maîtresse. Son maquillage coulait sur ses joues rebondies et sa croupe imposante s’agitait à chacun de ses sanglots.

— Ah, les femmes ! dit-il en réussissant finalement à se glisser dans le puits à la suite de Hali.

Eddie les suivit à son tour, mais au lieu de descendre, il se déplaça latéralement pendant un moment de façon à ne pas faire tomber de plâtre sur ses deux compagnons et se mit ensuite à grimper. Il n’y avait qu’un seul étage, et en dépit de la chaleur suffocante régnant dans ce puits, il ne lui fallut que quelques minutes pour se retrouver sous l’un des vasistas.

Au bruit que faisait le rotor de l’hélicoptère, il se dit qu’il disposait encore de quelques secondes. Le mastic maintenant les carreaux à l’armature métallique étaient devenus durs comme de la pierre sous l’effet du soleil et céda à la première pression.

Une ombre passa sur le vasistas. L’hélicoptère.

Il poussa l’un des grands carreaux. Le bruit de l’hélico redoubla, et en dépit du soleil de midi, un frisson glacé le parcourut.

Il roula sur le toit plat recouvert de goudron et se releva. L’hélicoptère survolait des immeubles un peu plus loin, à quelques dizaines de mètres d’altitude. Eddie dut attendre presque une minute avant d’être repéré. Le gros engin bascula sur le côté et fonça dans sa direction. La porte latérale était ouverte et un tireur d’élite braquait sur lui un fusil à lunette.

Eddie se mit à courir vers le mur séparant son immeuble de l’immeuble voisin, et ses semelles collaient un peu sur le goudron chaud. Le mur s’élevait à hauteur de poitrine et était surmonté de tessons de bouteille. Mais à la différence du fil de fer barbelé qui ne perd jamais son tranchant, le verre avait été poli par le vent au cours des décennies. Il se hissa sans difficulté par-dessus et atterrit de l’autre côté.

Constitué d’une vaste étendue de gravier mêlé à du goudron, ce toit était presque semblable au précédent, et offrait au regard un logement d’ascenseur, des dizaines de paraboles pour satellites et de vieilles antennes de télévision.

L’hélicoptère survola le toit à basse altitude et Eddie fit en sorte que le tireur voie son visage et le prenne pour Tariq Assad. La réponse vint une seconde plus tard sous forme d’une rafale d’arme automatique à ses pieds.

Maintenant que la police était occupée à traquer son suspect sur le toit, Hali et Goldman pouvaient s’échapper en toute discrétion.

Eddie se mit à courir vers l’arrière du bâtiment, en zigzag pour éviter les rafales du tireur d’élite, et faillit basculer dans le vide en se rendant compte qu’à la différence de l’autre immeuble, celui-ci ne disposait pas d’un véritable escalier de secours, mais seulement d’une échelle d’incendie. S’il se risquait sur ces barreaux métalliques scellés dans la maçonnerie, il constituerait une cible de choix.

Il jeta un coup d’œil derrière lui. En revenant en arrière, il se plaçait directement sous le feu de l’hélico. Il sauta par-dessus le mur sur le bâtiment voisin, s’écorchant la main au passage. Tous les tessons de bouteille n’étaient pas usés de la même façon.

Des balles ricochèrent sur le toit à côté de lui, arrachant des bouts de goudron qui lui brûlèrent le visage. Il sortit son pistolet et riposta, forçant le pilote à battre en retraite, au moins pour un instant.

Il se rua alors vers l’immeuble d’à côté, sauta par-dessus le muret et faillit tomber dans le vide. Ce bâtiment faisait un étage de moins que les précédents et donnait ensuite sur l’immeuble en construction. Dressé sur la pointe des pieds, il chercha du regard un escalier de secours et n’en vit pas. Il n’y avait pas même de local pour une machinerie d’ascenseur.

Il s’apprêtait à rebrousser chemin pour trouver un autre moyen de s’enfuir lorsque le tireur d’élite le prit à nouveau pour cible. Des balles arrachèrent des morceaux de brique et de mortier, forçant Eddie à sauter. Il atterrit en roulé-boulé, mais le fait d’avoir survécu à une chute de trois mètres ne signifiait pas pour autant qu’il était tiré d’affaire.