Chapitre 4
« On trouve plus de certitude sur un visage que dans les paroles. »
De Massa Makan Diabaté, Une hyène à jeun
Gustavia, 10 h 15. La température, après seulement une heure de traversée, avait augmenté. Maxence Rousseau prit la main de sa femme tandis qu’ils se dirigeaient vers l’escalier métallique menant au pont inférieur. Bientôt, ils mettraient enfin un pied à terre. Il aimait toujours être aux petits soins avec elle. Pour la satisfaire, ne s’était-il pas renseigné sur la météo afin d’être certain que la mer serait clémente ce jour ? Harmony pouvait vite souffrir de mal des transports : en voiture en tant que passagère, en bus, et surtout en bateau. Elle l’avait déjà prouvé sur le ferry qui faisait la liaison entre Milwaukee et Muskegon, situé sur la rive est du lac Michigan. Il aurait cependant été contrarié si la mer avait été mauvaise, car il préférait réaliser cette excursion ce jour-là.
Le temps de traversée entre Oyster Pond et Gustavia n’était que de quarante-cinq minutes, voire moins dans le sens inverse, mais les creux pouvaient être redoutables surtout en ces jours de décembre. Prévoyant, il avait également réservé la veille les billets aller-retour. Après une vingtaine de mois de vie commune, il connaissait les petites habitudes et vicissitudes de son épouse. Elle ne supportait pas les imprévus « prévisibles ». Elle n’aurait pas toléré se voir refuser d’embarquer et de devoir retourner bredouilles tels des enfants punis de récréation.
Clic, clic, clic, clic, clic…
Harmony persévérait, d’une seule main, à mitrailler avec son iPhone leur arrivée à Gustavia. C’était un léger désaccord entre eux. Maxence préférait profiter de l’instant, observer de ses propres yeux plutôt que de devoir s’occuper d’un écran de téléphone. Découvrir Saint-Barth était l’un des objectifs prioritaires pour sa femme et elle n’allait pas en perdre une seule miette. Par souci d’équilibre budgétaire, comme il aimait à plaisanter en prenant l’intonation d’un homme politique, ils ne dormiraient pas sur place. Le prix de la nuitée, quel que soit le type de logement, demeurait largement plus onéreux qu’à Saint-Martin. De plus, les fêtes de fin d’année frappaient à la porte ; dormir à Saint-Barth aurait été indécent, un coup de sabre dans leur budget, selon les termes exacts de sa femme. En lot de consolation, depuis la terrasse de leur chambre d’hôtel, ils bénéficiaient d’une vue panoramique sur la silhouette fantastique de cette île qui abritait en toute discrétion des villas pour stars, oligarques russes et autres fortunés.
Harmony se prit tout à coup en selfie, puis se colla à lui pour tenter d’immortaliser leurs visages, joue contre joue, avec un sourire écarlate. Des complexes, elle en avait, mais de sa dentition, elle en était fière. C’était vrai qu’il était beau, son sourire. Des dents solides, alignées à la perfection, même si elle avait dû recourir récemment à un blanchiment, séquelles de ses excès de café.
Mais elle n’eut pas le temps de les photographier tous les deux, Maxence s’était déjà dégagé de l’objectif.
— Non, pas mon visage ! Combien de fois dois-je te rappeler que je ne veux pas ? Prends juste mes lèvres, si tu veux. Mes lèvres, elles sont toujours potables, mais pas le reste…
Maxence montra une mine irritée, mais son sourire reprit vite le dessus. Elle avait tenté encore une fois sa chance au cas où il aurait changé d’avis. Elle n’insista pas. Elle savait combien il avait horreur d’être immortalisé en photo. Il se trouvait trop cerné, le nez trop long, ou encore les cheveux mal coiffés. Il y avait toujours quelque chose qui ne lui convenait pas. Elle l’avait déjà taquiné en lui disant qu’il réagissait comme ces femmes coquettes qui refusaient d’être photographiées sans maquillage.
Ce n’était pas demain la veille qu’elle pourrait encadrer son portrait et le voir trôner sur son bureau du dixième étage de sa tour de verre. Maxence avec ce visage carré, ses cheveux bruns mi-longs avec de rares mèches grises sur les tempes qu’on ne pouvait deviner qu’en s’approchant de très près. Peut-être n’avait-il pas cette beauté fatale qu’avaient certains hommes et qui faisait tomber les femmes à la renverse. Mais il avait des yeux magnifiques. Des yeux bleus semblables au ciel de la Floride, là où tout avait commencé. Un regard qui avait fait chavirer sa future épouse dans cet hôtel de Miami. La ville était devenue leur endroit fétiche, le point de départ de leur idylle. Dès qu’ils entendaient ce nom, leurs pupilles s’illuminaient. Miami servait de mythe fondateur dont les couples avaient tant besoin. Une histoire à laquelle les amoureux se raccrochaient lorsqu’ils dérivaient.
Miami où elle était si seule, enfin presque. Il y avait son frère, mais ça ne comptait pas, il ne comptait plus… Maxence avait eu raison de l’obliger à arrêter tout ça. Son frère l’avait fait sombrer dans une mélancolie inquiétante.
Le bateau entama sa manœuvre d’amarrage. Ils s’embrassèrent pour marquer l’évènement.