Prologue

 

Sur une plage déserte des Virgin Islands, territoire britannique des Caraïbes, plusieurs années auparavant…

 

 

Ses mains tremblotaient. Il respirait vite, l’air se faufilait avec difficulté à travers sa gorge nouée. Il devait se ressaisir, il avait presque fini. Le trou était suffisamment large, mais c’était plus prudent de creuser encore un peu. Il paniquait, car il lui avait semblé avoir aperçu un reflet furtif à quelques dizaines de mètres, comme ceux provoqués par un objet métallique balayé par l’éclairage de la lune. Avec nervosité, il jetait de temps en temps un coup d’œil vers l’endroit où il pensait avoir décelé cet éclat lumineux. Mais plus rien, à nouveau la pénombre. La peur, sans doute, lui faisait voir ce qui n’existait pas.

Il trembla plus encore lorsque le trou devenu très profond était fin prêt à servir. Il l’avait creusé juste à la jonction entre le sable nu de la plage et la première rangée d’arbres de la forêt côtière. Il songea à ce paysage si magnifique le jour. Des cocotiers tellement vertigineux, que certains ayant trop grimpé vers les cieux avaient dû se résoudre à se courber vers le sol, se couchant presque à l’horizontale. L’avant-veille, il s’était amusé à marcher sur l’un d’eux.

Devant cette crique recouverte par un tapis doré, des eaux limpides et poissonneuses s’étalaient jusqu’à l’horizon. Et surtout aucune habitation, aucune trace de vie humaine, même pas la case transitoire d’un pêcheur. Le paradis ici-bas. Il n’avait jamais imaginé qu’il reviendrait sur ces lieux pour faire ce qu’il était en train de faire…

Ce décor d’Éden contrastait avec la forme oblongue qui gisait un peu plus loin, et que la mer venait parfois caresser comme du bout de ses doigts humides. Cette masse, il ne l’avait plus regardée depuis qu’il avait enfoncé dans la terre sablonneuse son premier coup de pelle. Il s’était concentré, sans relâche. Il était chronométré. Maintenant qu’il avait fini de creuser, il l’observa à nouveau. N’importe qui pouvait deviner ce que la bâche bleue enroulait. Les liens qui avaient servi à maintenir celle-ci rendaient encore plus facile l’identification de son contenu. On imaginait bien la tête, le tronc puis les jambes et au bout les pieds qui pointaient vers le haut. C’était autour de ces différentes parties du corps qu’il avait noué les cordes.

Il enfonça la pelle juste à côté de la tombe improvisée, courut vers la masse inerte comme si tout à coup le temps lui manquait. Il la tira jusqu’au trou, laissant derrière lui une longue traînée dans le sable. Il poussa le cadavre jusqu’à ce qu’il tombe tout au fond. Lui qui n’avait peut-être jamais mis un pied dans une église, exécuta un signe de croix. Un réflexe ou un instinct sorti d’on ne sait où. Mais ce geste, parce qu’il réveillait sans doute les consciences, fit jaillir des larmes. Il sanglota. Il hésita, mais il devait placer correctement le mort, par respect pour celui-ci, même s’il l’avait quelque part cherché. Comment avait-il osé abuser d’elle ? Il sauta dans le trou, allongea dignement le corps, lui toucha la tête en dernier geste d’adieu. Il répéta plusieurs fois comme s’il devait lui-même se convaincre : « c’était un accident, c’était un accident ».

La vie ne tenait souvent qu’à un fil.

Il dut faire quelques efforts pour sortir de cette tombe clandestine et il paniqua un peu de ne pas pouvoir y parvenir. C’eût été ridicule de rester coincé là-dedans comme un animal pris dans un piège. Au moment où il réussit à hisser le haut de son corps, il vit une paire de pieds nus, près de ses mains. Il leva les yeux, bien que surpris, il fut soulagé :

— Ah, c’est toi. Mais je pensais que tu ne voulais pas venir m’aider.

— Oh que si !

L’homme aux pieds nus attrapa la pelle. Il n’aimait pas ce qu’il devait faire, mais il n’avait pas le choix.