84.

 

La tâche censée demander douze heures de travail continu leur en prit un peu plus de dix-huit. Il était beaucoup plus délicat de trier, de séparer et de découper les quarante-huit missiles qu’Orphu et Mahnmut n’auraient pu l’imaginer. La coque de certaines ogives s’était totalement effritée, mettant à nu les multiples berceaux gainés de plastique et les champs de confinement, auxquels la radiation de Cerenkov conférait un bel éclat bleuté.

Le spectacle aurait été fascinant pour tout autre observateur que les occupants silencieux de la Reine Mab : les projecteurs ventraux de La Dame noire, accroupie au-dessus de l’épave du sinistre submersible, illuminaient un monde de vase, d’anémones de mer, de câbles déchiquetés, de fils électriques arrachés et de missiles et d’ogives meurtriers sous leur gangue de mousse. Plus éblouissantes encore que la lumière moirée du jour provenant de la Brèche, que les faisceaux halogènes des projecteurs braqués sur l’espace de travail, que le soleil lui-même, les torches à six mille degrés que manipulaient Orphu et Mahnmut, l’un privé de la vue et l’autre aveuglé par la vase, dansaient comme des scalpels de feu.

Treuils, chaînes et poulies étaient en place et tournaient à plein régime, les deux moravecs et La Dame noire supervisant l’acheminement de chaque ogive multiple dès qu’elle était dissociée de son missile. La soute du sous-marin européen de Mahnmut n’était jamais vraiment vide ; elle se remplissait à la demande d’une mousse programmable qui formait un capitonnage structuré en nid-d’abeilles afin de résister à la pression en l’absence de cargaison, et qui pouvait se couler et se solidifier autour de tout type de chargement – y compris Orphu d’Io quand il logeait dans cette section du bâtiment. Cette mousse s’adaptait à présent pour former un coussin sous chacune des ogives à mesure que Mahnmut et Orphu les mettaient en place à grand renfort de jurons.

À un moment donné, alors qu’ils avaient accompli un peu plus de la moitié de leur pénible tâche, Mahnmut fit semblant de donner une tape affectueuse au champ de confinement de l’ogive qui disparaissait sous sa gangue de mousse et déclama :

Quelle est votre substance, en quoi fûtes-vous fait Pour voir se fondre en vous tant d’étranges images ?

— Ton vieil ami Will ? demanda Orphu comme les deux moravecs replongeaient dans la vase pour s’attaquer à l’ogive suivante.

— Oui, répondit Mahnmut. Sonnet cinquante-trois. Environ deux heures plus tard, après qu’ils eurent logé une énième ogive rayonnante dans la soute maintenant bien encombrée – ils maintenaient la plus grande distance possible entre les trous noirs –, Orphu fit remarquer :

— Cette opération de sauvetage va te coûter ton sous-marin. Je suis vraiment navré, Mahnmut.

L’Européen hocha la tête, comptant sur le radar de son ami pour capter ce mouvement. Dès qu’Orphu avait exposé son plan, Mahnmut avait compris qu’il signifiait la perte de sa chère Dame noire – il n’était pas question de décharger les ogives une fois qu’elles seraient sécurisées dans la soute du sous-marin afin de les confier à un autre transporteur. Dans le meilleur des cas, un vaisseau spatial attendrait les moravecs en orbite basse, et il prendrait en charge La Dame noire et sa meurtrière cargaison pour les conduire le plus loin possible de la Terre, avec prudence et célérité.

— Et moi qui me réjouissais de le retrouver, dit Mahnmut, avec des accents pathétiques qu’il fut le premier à percevoir.

— On t’en construira un autre, le rassura Orphu.

— Ce ne sera jamais pareil.

Mahnmut avait passé plus d’un siècle et demi à bord de ce sous-marin.

— Non, fit Orphu. Après cela, plus rien ne sera jamais pareil.

Au bout des dix-huit heures d’opération, lorsque la dernière grappe de trous noirs embryonnaires nimbée de bleu fut chargée et logée dans son nid de mousse et que les écoutilles de La Dame noire se furent refermées, les deux moravecs, flottant au-dessus de l’épave du « boomer », se rendirent compte qu’ils étaient dans un état d’épuisement quasi total, tant nerveux que physiologique.

— Devons-nous examiner plus avant cette Épée d’Allah et y prélever un quelconque échantillon ? s’enquit Orphu.

— Pas pour le moment, répondit le prime intégrateur Asteague/Che depuis la Reine Mab, rompant un silence radio qui durait depuis dix-huit heures.

— Je ne veux plus jamais revoir cette putain de carcasse, déclara Mahnmut, trop vanné pour surveiller son vocabulaire. C’est une obscénité.

— Amen, fit le centurion en chef Mep Ahoo depuis la navette qui tournait au-dessus d’eux.

— Comptez-vous nous raconter ce qu’il est advenu d’Odysseus et de sa copine durant les dix-huit dernières heures ? demanda Orphu.

— Pas pour le moment, répéta le prime intégrateur Asteague/Che. Apportez-nous ces ogives. Et soyez prudents.

— Amen, répéta Mep Ahoo, sans la moindre trace d’ironie dans la voix.

Suma IV était un excellent pilote, il fallait bien le reconnaître – ce qu’Orphu et Mahnmut firent de bonne grâce. Il réussit à immerger partiellement la navette, de sorte que La Dame noire n’eut pas besoin de faire surface pour gagner sa vaste soute. Puis il évacua l’eau de mer de celle-ci, la remplaçant simultanément par un rembourrage de mousse, afin que le sous-marin et sa cargaison irradiante soient enchâssés dans une couche protectrice supplémentaire.

Orphu d’Io avait grimpé sur la coque de la navette dès le début de cette manœuvre, mais Mahnmut attendit le dernier moment pour quitter son envirobulle, tenant à accompagner La Dame noire pour superviser avec elle cette phase des plus délicates. Il songea qu’il aurait dû échanger quelques paroles avec sa nef avant de se séparer d’elle à jamais, mais il ne put que lancer un Adieu, ma Dame à son IA, une émission par faisceau cohérent dont elle n’accusa même pas réception.

La navette s’éleva doucement au-dessus de l’océan, achevant d’évacuer son surplus d’eau salée, et Mahnmut consacra ses ultimes réserves de force – mécanique et organique – à se traîner sur sa coque puis à se glisser dans la plus petite des deux écoutilles permettant d’accéder à la cabine passagers.

Dans d’autres circonstances, la confusion qui régnait dans celle-ci aurait été du plus haut comique, mais Mahnmut n’avait pas précisément le cœur à rire. Même en rétractant tous ses manipulateurs et toutes ses antennes, Orphu était à peine parvenu à s’insinuer dans la plus grande des écoutilles, et sa masse envahissait l’espace naguère occupé par vingt soldats rocvecs engoncés dans leur filet de sécurité. Lesdits soldats s’empilaient à présent dans l’étroite coursive menant au cockpit, leurs armes occupant les recoins que n’encombraient pas leurs membres barbelés, et Mahnmut dut ramper sur leurs carapaces chitineuses pour rejoindre Mep Ahoo et Suma IV dans le poste de pilotage.

Suma IV était passé en pilotage manuel et utilisait l’omnicontrôleur pour assurer l’équilibre de la navette et de sa cargaison, virevoltant sur son clavier à tuyères comme, jadis, l’eût fait un pianiste de concert humain.

— Plus de sangles de sécurité, annonça-t-il à Mahnmut sans se retourner. Nous les avons toutes réquisitionnées pour sécuriser votre ami dans la cabine passagers. Veuillez déployer le dernier siège et vous arrimer à la coque par liaison magnétique, Mahnmut.

Mahnmut s’exécuta. Il s’aperçut qu’il était trop fatigué pour tenir debout – la pesanteur terrestre était bel et bien éprouvante –, et le soudain afflux de neurotransmetteurs dans ses systèmes organiques lui donnait envie de pleurer.

— Accrochez-vous, dit Suma IV.

Les moteurs de la navette se mirent à rugir et elle s’éleva à la verticale, lentement, mètre par mètre, sans secousses ni surprises, jusqu’à ce que Mahnmut constate que leur altitude atteignait deux mille mètres, et l’appareil s’inclina doucement vers l’avant – l’angle de poussée venait de changer. Jamais il n’aurait cru qu’on pût manœuvrer un tel engin avec autant de délicatesse.

Mais les secousses vinrent, et il retint son souffle à chacune d’elles, sentant son cœur organique battre plus fort et attendant que les trous noirs entreposés dans la soute franchissent le seuil critique. Il suffirait que l’un d’eux bascule pour que tous les autres s’effondrent en un millionième de seconde.

Mahnmut s’efforça d’imaginer les conséquences d’un tel désastre : les trous noirs fusionneraient entre eux, transperçant la coque de La Dame noire puis celle de la navette, et leur masse se précipiterait vers la Terre avec une accélération de 9,81 m/s2 après avoir absorbé la masse des deux bâtiments moravecs, puis ce serait au tour de l’air, et de l’eau, et du fond de l’océan et ensuite de la croûte terrestre, sans que jamais ne s’interrompe la chute vers le noyau.

Combien de jours, combien de mois, ce trou noir obtenu à partir des sept cent soixante-huit trous contenus dans les ogives poursuivrait-il sa ravageuse partie de ping-pong au sein du magma, débordant un peu plus sur l’espace à chaque ping, à chaque pong ? Les calculateurs intégrés à l’esprit de Mahnmut lui donnèrent la réponse à cette question, et pourtant il aurait voulu l’ignorer, et pourtant la partie physique de son cerveau était trop épuisée pour l’absorber. Les trous noirs auraient amplement le temps de dévorer le million d’objets composant les anneaux orbitaux, et ce en l’espace de cent ping et pong, mais ils épargneraient la Lune.

Ce qui ne ferait aucune différence pour Mahnmut, Orphu et les autres moravecs, y compris ceux de la Reine Mab. La navette et ses passagers seraient spaghettifiés presque instantanément, leurs molécules s’étirant vers le centre de la Terre en même temps que le trou noir, pour s’élastifier ensuite – existait-il un tel mot ? s’interrogea-t-il avec lassitude – à travers leur propre matière lorsque le trou noir repasserait à travers le noyau tournoyant de la planète.

Mahnmut ferma ses yeux virtuels et se concentra sur son souffle, sentant la navette accélérer en même temps qu’elle prenait de l’altitude. Il avait l’impression de glisser sur un toboggan de verre qui mènerait aux cieux. Suma IV était un excellent pilote.

Le ciel passa du bleu indigo au noir de nuit. L’horizon s’incurva comme un arc. Les étoiles apparurent dans un jaillissement.

Mahnmut activa sa vision et observa la suite des événements à travers le cockpit et par l’entremise des connexions visuelles fournies par la navette.

Ils ne se dirigeaient pas vers la Reine Mab, cela, au moins, était évident. Suma IV stabilisa la navette à une altitude légèrement supérieure à trois cent mille mètres – à l’extrême limite de l’atmosphère – et lui imprima une rotation de cent quatre-vingts degrés, faisant entrer la Terre dans leur champ visuel et exposant le ventre de l’appareil aux rayons du Soleil. Les anneaux et la Mab occupaient une orbite distante de trente mille kilomètres, mais le spationef moravec se trouvait en ce moment de l’autre côté du globe.

Mahnmut coupa un instant le flot de données virtuelles – la gravité zéro le soulagea en partie de la fatigue qu’il avait accumulée dix-huit heures durant – et contempla le terminateur qui courait le long de ce continent qui s’appelait l’Europe, les nuages blancs qui mouchetaient les eaux bleues de l’Atlantique – depuis leur position, la Brèche était à peine aussi visible qu’un cheveu –, et, pour la énième fois en dix-huit heures, Mahnmut le moravec se demanda comment les habitants d’un monde aussi splendide avaient pu armer un sous-marin – s’armer eux-mêmes – d’engins aussi destructeurs. Quelle conception du monde pouvait ainsi justifier la mort de millions de personnes, l’anéantissement de toute une planète ?

Mahnmut savait qu’ils n’étaient pas encore tirés d’affaire. Sur un plan strictement technique, les quelques centaines de kilomètres qu’ils avaient parcourus ne les avançaient à rien. Si l’un des trous noirs s’activait, précipitant tous les autres vers l’état de singularité, cela déclencherait la même partie de ping-pong meurtrière qui menaçait la planète avant l’évacuation des ogives. Ce n’était pas parce qu’ils se trouvaient en chute libre qu’ils étaient sortis du puits gravifique de la Terre. Les ogives devaient encore faire un sacré bout de chemin – sortir de l’espace cislunaire, à tout le moins, vu que la gravité terrestre y faisait encore sentir son emprise –, franchir des millions de kilomètres, avant que cette menace soit levée. La seule différence par rapport à leur situation initiale, c’était que le taux de spaghettification serait plus élevé de quelques points pendant les premières minutes.

Un spationef noir de jais se décapa… se défurtiva… merde, il n’y avait pas de mot pour décrire cela… surgit du néant à moins de cinq kilomètres de là, du côté du Soleil. Quoique de conception moravec, il était plus avancé que tous les vaisseaux que Mahnmut avait pu voir jusqu’ici. Alors que la Reine Mab lui était apparue comme un artefact datant de l’Ère perdue, plus précisément du XXe siècle, ce spationef semblait carrément appartenir à quelque grandiose avenir moravec. Sa silhouette noire paraissait à la fois profilée et menaçante, d’une élégante simplicité et d’une impossible complexité, évoquant une chauve-souris aux ailes fractales, et il ne faisait aucun doute qu’il était puissamment armé.

Mahnmut se demanda quelques secondes si les intégrateurs allaient sacrifier l’un de leurs vaisseaux de guerre furtifs, puis il vit une brèche liquide s’ouvrir dans le ventre de celui-ci, laissant échapper un bâtiment qui ressemblait furieusement à un balai de sorcière ; cette aberration s’aligna avec la navette, sans cesser de tourner sur son axe, puis se dirigea vers elle en actionnant les tuyères latérales de son bloc-moteur, dont le volume était ridiculement disproportionné par rapport à l’ensemble.

Pourquoi sommes-nous surpris ? émit Orphu. Les intégrateurs primes ont eu plus de dix-huit heures pour élaborer un plan, et nous avons toujours été doués pour l’ingénierie, nous autres moravecs.

Mahnmut ne put qu’acquiescer. Comme le balai s’approchait, tournant à nouveau sur son axe et freinant en veillant à ne pas projeter ses gaz sur le ventre de la navette, Mahnmut vit qu’il faisait une soixantaine de mètres de long, que le nodule d’une IA était placé en son centre de gravité, évoquant une selle sanglée sur une rossinante, qu’il était hérissé d’une myriade de clamps et de manipulateurs en tout genre et qu’un puissant réacteur était fixé à son bloc-moteur en plus de ses vingtaines de tuyères de manœuvre.

— Je largue le sous-marin, annonça Suma IV sur le canal général.

Mahnmut bascula sur les caméras de la soute, vit l’écoutille s’ouvrir et La Dame noire dériver doucement dans l’espace, propulsée par une bouffée de gaz. Son sous-marin bien-aimé se mit à tourner sur lui-même et, comme ses stabilisateurs étaient désactivés, il ne tenta même pas de rétablir son attitude. Jamais Mahnmut n’avait vu un engin aussi déplacé que ce sous-marin dans l’espace, trois cents kilomètres au-dessus d’un océan que le soir nuançait d’indigo.

Le balai robotisé ne laissa pas le sous-marin tourner très longtemps. Avançant avec un luxe de précautions, il aligna sa vitesse sur la sienne, l’agrippa avec ses manipulateurs, faisant preuve d’une douceur digne d’un amant retrouvant tendrement son amante, puis verrouilla ses clamps – lesquels étaient conçus pour s’adapter aux capots et aux évents du submersible. Toujours prévenante, l’IA du balai – mais peut-être un moravec la contrôlait-il depuis le vaisseau de guerre – déploya une feuille d’or de l’épaisseur d’une molécule et en enveloppa soigneusement La Dame noire. Les ingénieurs ne tenaient pas à ce que les trous noirs soient activés par une variation de température.

Les tuyères s’enclenchèrent et le vaisseau robot et sa précieuse cargaison, dont l’accouplement évoquait maintenant une mante religieuse et sa proie, s’éloignèrent de la navette, le robot pivotant doucement afin d’orienter son bloc-moteur vers le bas, vers les océans bleus, les nuages blancs et le terminateur courant sur l’Europe.

— Comment va-t-il faire pour échapper aux leucocytes orbitaux ? demanda Orphu d’Io sur le canal général.

Mahnmut s’était posé la même question – comment allaient-ils empêcher ces chiens de garde d’activer les trous noirs ? –, mais comme cela ne relevait pas de sa compétence, il s’était abstenu d’y réfléchir durant les dix-huit dernières heures.

— La Walkyrie, l’Indomptable et le Nimitz vont escorter le robot et détruire tout leucocyte qui tentera de l’attaquer, déclara Suma IV. Ils resteront en mode furtif, bien entendu.

Orphu partit d’un rire audible sur le canal général.

— La Walkyrie, l’Indomptable et le Nimitz ? gronda-t-il. Eh bien, pour des moravecs pacifistes, je nous trouve de plus en plus impressionnants.

Personne ne releva. Mahnmut décida de rompre le silence.

— Comment s’appelle celui… non, il a disparu.

La chauve-souris fractale s’était à nouveau fondue dans le firmament, ne laissant même pas apparaître un signe de son absence.

— C’était la Walkyrie, répondit Suma IV. Mise à feu dans dix secondes.

Personne ne réagit. Mahnmut était sûr que chacun procédait au compte à rebours dans son for intérieur.

À zéro, le bloc-moteur du robot se nimba d’une aura bleue, qui rappela à Mahnmut la radiation de Cerenkov caractéristique des ogives à trous noirs. La mante religieuse se mit en branle, avança avec une lenteur exaspérante. Mais Mahnmut savait que, soumise à une accélération constante, elle ne tarderait pas à atteindre une vélocité terrifiante, tout en s’extrayant du puits gravifique de la Terre, et que ladite accélération irait en croissant. Le couple formé par le robot et La Dame noire parviendrait probablement à la vitesse de libération une fois atteinte l’orbite lunaire. À partir de ce moment-là, si les trous noirs s’activaient, ils ne représenteraient plus aucune menace pour la Terre – ce serait une simple embûche dans l’espace.

Le vaisseau robot se fondit bientôt dans le firmament. Quant aux trois bâtiments furtifs qui l’escortaient, on ne captait même pas la trace de leurs propulseurs.

Suma IV referma les écoutilles.

— Très bien, veuillez m’accorder toute votre attention, déclara-t-il. Il s’est passé de bien étranges choses pendant que nos deux amis s’activaient dans l’océan en dessous de nous. Nous devons regagner d’urgence la Reine Mab.

— Et notre mission de reconnaissance ? demanda Mahnmut.

— Vous pouvez télécharger notre rapport pendant le trajet, répliqua le pilote. Les intégrateurs souhaitent que nous les rejoignions le plus vite possible. La Mab va prendre du champ… s’aligner sur l’orbite lunaire, à tout le moins.

— Non, dit Orphu d’Io.

L’écho de cette syllabe sembla résonner sur le canal général à la façon d’un glas assourdissant.

— Non ? répéta Suma IV. Ce sont les ordres.

— Nous devons descendre dans cette entaille, cette brèche dans l’Atlantique, poursuivit Orphu. Et le plus tôt sera le mieux.

— Vous devez vous taire et ne pas bouger, rétorqua le Ganymédien qui tenait les commandes. Je reconduis cette navette vers la Mab, conformément aux ordres que j’ai reçus.

— Examinez les photos que vous avez prises à dix mille mètres d’altitude, dit Orphu, qui transmit lesdites photos à tout le monde via le réseau ombilical.

Mahnmut s’exécuta. C’était l’image même qu’il avait étudiée avant qu’ils ne se mettent à travailler sur les ogives : l’étonnante tranchée creusée entre les eaux, avec la proue du sous-marin émergeant de la paroi nord, et des débris divers sur le sol.

— Je ne perçois pas les fréquences optiques, reprit Orphu, mais j’ai analysé les données radar correspondantes et il y a quelque chose qui cloche. Voici l’agrandissement le plus net que j’aie pu obtenir de cette photographie. Dites-moi s’il n’y a pas quelque chose ici qui exige un examen approfondi.

— Ce que je peux vous dire, c’est que rien ne pourra m’obliger à retourner dans ce coin, déclara Suma IV d’un ton ferme. Vous n’en avez pas encore été informés, tous les deux, mais l’île orbitale… l’astéroïde où nous avons déposé Odysseus… se prépare à quitter sa position. Elle a déjà pivoté sur son axe pour s’aligner sur sa trajectoire et vient d’allumer ses fusiopropulseurs. Et votre ami Odysseus est mort. Et plus d’un million de satellites des anneaux polaire et équatorial – accumulateurs de masse, émetteurs-récepteurs fax, et caetera – se réactivent en ce moment même. Nous devons partir.

— EXAMINEZ CES PUTAINS DE PHOTOS ! beugla Orphu d’Io.

Tous les moravecs à bord de la navette se plaquèrent les mains sur les oreilles, y compris ceux qui n’en avaient pas.

Mahnmut étudia la deuxième photographie de la série. Non seulement elle avait été agrandie au maximum, mais Orphu l’avait en outre lissée et nettoyée de ses impuretés.

— On dirait un sac à dos abandonné sur le sol, dit-il. Et à côté de lui…

— C’est un pistolet, compléta le centurion en chef Mep Ahoo. Une arme à feu de type automatique, je crois bien.

— Et un peu plus loin, ça ressemble à un cadavre d’humain, intervint l’un des guerriers rocvecs. Apparemment, il est mort depuis un bout de temps – totalement momifié.

— Erreur, fit Orphu. J’ai vérifié sur le radar. Ce n’est pas un cadavre mais une thermopeau.

— Et alors ? lança Suma IV depuis son cockpit. L’épave du sous-marin a rejeté l’un de ses passagers, ou bien des objets se trouvant à son bord. Des débris parmi d’autres.

Orphu émit un reniflement dédaigneux.

— Et ils n’auraient pas bougé en deux mille cinq cents ans ? J’en doute, Suma. Regardez ce pistolet de plus près. Aucune trace de rouille. Regardez ce sac de plus près. Aucune trace de moisis sure. Cette section de la brèche est exposée à tous les éléments – la pluie, le soleil, le vent –, mais ces objets sont toujours intacts.

— Cela ne prouve rien, déclara Suma IV.

Il pianota les coordonnées du rendez-vous avec la Reine Mab. Les tuyères s’enclenchèrent, et la navette s’aligna en vue de sa mise à feu.

— Un humain à l’ancienne est venu mourir ici à une date récente, ajouta-t-il. Nous avons plus important à faire pour le moment.

— Examinez le sable, insista Orphu.

— Hein ? fit le pilote.

— Regardez le cinquième agrandissement. Sur le sable. Je ne vois pas l’image, mais le radar a une précision de trois millimètres. Qu’est-ce que vous voyez, vous qui avez des yeux ?

— Une empreinte de pied, dit Mahnmut. L’empreinte d’un pied nu. Plusieurs empreintes. Très nettes, dans la boue comme dans le sable. Elles vont toutes vers l’ouest. La pluie les aurait effacées en quelques jours. Un humain est passé par ici il y a moins de quarante-huit heures – pendant que nous nous occupions de ces ogives, si ça se trouve.

— Aucune importance, trancha Suma IV. Nos ordres sont de rejoindre la Reine Mab et nous allons…

— Retournez au-dessus de la Brèche atlantique, ordonna le prime intégrateur Asteague/Che depuis l’autre côté de la Terre, trente mille kilomètres plus haut. Nous venons d’examiner les données collectées lors de notre dernier passage, et nous avons localisé ce qui ressemble au corps d’un être humain gisant sur le sol environ vingt-trois kilomètres à l’ouest de l’épave du sous-marin. Allez le récupérer sur-le-champ.

Olympos
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