CHAPITRE 18
D
URE À CUIRE

 

 

Kuban avait giflé Ingrid, lui avait porté des coups de poing au visage, frappé la tête contre le bureau et tordu les doigts. Ning, qui ne pouvait soutenir ce spectacle, gardait les yeux tournés vers le parquet. Les menottes entaillaient ses poignets, elle avait la nausée et n'osait demander à ses ravisseurs de la conduire aux toilettes.

- J'ai fait partie de l'armée britannique, lança Ingrid, le regard plein de défi.

Kuban se tourna vers ses deux hommes de main.

- Mettez-la debout, ordonna-t-il.

Ingrid se débattit et s'agrippa tant qu'elle put à la table, mais dut bientôt se soumettre. Lorsqu'elle fut immobilisée, Kuban la cogna de toutes ses forces à l'estomac. Ses jambes se dérobèrent, mais ses tortionnaires la maintinrent fermement.

- Quelque chose à déclarer ? demanda Kuban.

- Oui. Allez vous faire foutre.

L'homme lui lança un regard noir puis sortit un canif de la poche de son pantalon.

- Tenez-la par les cheveux et gardez sa tête immobile. Ning leva les yeux. Le cœur au bord des lèvres, elle vit

Kuban pratiquer deux incisions sur les joues de sa mère puis vider le contenu d'un flacon en plastique jaune sur son visage.

- Jus de citron, ricana-t-il en léchant le bout de ses doigts. Ingrid hurla à s'en déchirer les cordes vocales.

- Vous n'avez qu'un mot à prononcer pour que tout ça s'arrête, dit Kuban.

- Jamais !

- Vous n'impressionnez personne, vous savez ? Vous deux, remettez-la sur la chaise.

À l'étonnement des gorilles, Ingrid leva les genoux. Surpris par cette manœuvre, l'homme qui tenait son bras droit trébucha. Elle en profita pour dégager le gauche et l'étendit d'un formidable coup de poing en pleine face.

Ning n'avait jamais réellement pris au sérieux les affirmations de sa mère adoptive concernant son passé militaire, mais cette attaque démontrait qu'elle avait suivi un entraînement au combat. Tandis que l'homme se roulait sur le sol, le nez en sang, Ingrid se rua vers Kuban, s'empara du MacBook et le lança de toutes ses forces dans sa direction.

L'ordinateur percuta le mur tapissé de miroirs. Redoutant qu'il ne termine sa course sur son crâne, Ning plongea en avant. Ingrid eut le temps de renverser le bureau avant que le second gorille ne parvienne à la maîtriser. Kuban contourna le meuble puis la battit avec une telle brutalité qu'elle ne tarda pas à perdre connaissance. Les deux hommes la traînèrent jusqu'à la chaise.

L'adolescent s'accroupit pour examiner le MacBook.

- Il est cassé. Le boss ne va pas aimer ça.

- Il faudra s'en procurer un autre, dit Kuban.

Ingrid, qui peinait à recouvrer ses esprits, gloussait comme une demeurée en balançant mollement la tête.

- Il y a peut-être moyen de le faire réparer, suggéra l'un des complices.

Kuban secoua furieusement l'appareil.

- Tu vois bien qu'il est complètement foutu, bordel !

La porte s'ouvrit à la volée. Il fit volte-face, prêt à couvrir d'insultes le nouveau venu. Lorsqu'il découvrit l'individu aux longs cheveux bruns qui se tenait à l'entrée de la salle, il ravala ses injures et recula d'un pas.

- Mr Aramov, bredouilla-t-il. Nous ne nous attendions pas à votre visite.

Âgé d'un peu moins de quarante ans, Leonid Aramov était un adepte de la musculation. Il ignora souverainement Kuban et se dirigea droit vers Ingrid.

- J'aurais dû me douter que tu étais derrière tout ça, siffla- t-elle.

Un sourire mauvais flottait sur les lèvres de Leonid.

- Tu étais drôlement plus jolie la première fois qu'on s'est rencontrés, lorsque tu te tortillais toute nue sur ce podium.

Il se tourna vers Kuban.

- Elle a craché le morceau ?

- Ça prendra du temps. Elle est coriace, mais elle finira bien par se mettre à table, comme tous les autres.

Leonid pointa vers son subordonné un doigt menaçant.

- On m'a dit que tu t'étais endormi, dans le foyer du Kremlin.

- Leur vol avait du retard. Et puis, j'ai toujours cette saloperie de grippe qui me...

Avant que Kuban n'ait achevé sa phrase, Leonid lui porta un coup de poing à l'estomac.

- Je t'avais donné l'ordre de les cueillir à la descente de l'avion ! hurla-t-il. Et vous les avez laissées dévaster le bar avant de parvenir à les capturer. Tu as quelque chose à dire pour ta défense ? Je te garantis que si ma mère apprend ça...

- Mais patron, ce n'est pas ma faute si...

Leonid n'était décidément pas du genre à laisser ses hommes plaider leur cause. Il saisit le portable endommagé et le fracassa sur le crâne de Kuban.

- Ça sera retenu sur ta paye. Et qu'est-ce qui t'a pris de verser du jus de citron dans ses yeux ? Tu n'as pas pensé qu'elle devait être capable de lire pour passer les ordres de virement ?

D'un crochet à l'abdomen, il força son souffre-douleur à se plier en deux puis lui brisa le nez d'un coup de genou.

- Tire-toi, espèce de poivrot ! rugit-il.

Il redressa le bureau et se tourna vers les deux gorilles.

- Toi, va chercher la caisse de câbles électriques dans le bureau du directeur. Toi, prépare-moi du café.

Enfin, il s'adressa à l'adolescent.

- Quant à toi, je veux que tu brises les pieds de cette morveuse.

Les hommes de main quittèrent précipitamment la salle de danse. Le garçon resta immobile.

- Eh bien, qu'est-ce que tu attends ? gronda Leonid. Fais ce que je te dis. Immédiatement.

Lorsque l'adolescent s'agenouilla devant elle, Ning, paniquée, glissa sur les fesses et parvint à se réfugier dans un angle de la pièce.

- Finissons-en, ordonna Leonid. N'essaye pas de gagner du temps.

Le garçon posa une semelle boueuse sur le pied de sa victime puis, pesant de tout son poids, le foula pendant près d'une minute.

Ning, qui avait vu sa mère endurer sans ciller les pires tourments, était déterminée à suivre son exemple. Malgré elle, la douleur lui arracha un cri perçant.

- Ça te plaît de voir ta fille souffrir ? demanda Leonid. Ou préfères-tu que nous ayons enfin une petite conversation entre adultes ?

Les yeux d'Ingrid roulaient follement dans leurs orbites.

- Va chercher de l'eau glacée, lança-t-il à l'adresse de l'adolescent. Elle est dans les vapes.

Lorsque le garçon eut quitté la salle, l'un des gorilles apparut dans l'encadrement de la porte.

- Désolé, patron, mais je ne trouve pas la caisse.

- Bon sang, elle est énorme. Comment as-tu pu la manquer ?

- Quelqu'un a dû la déplacer, hasarda l'homme.

- Bon, allons voir. Verrouille la porte. Ces salopes seraient foutues de se faire la malle.

Dès que la clé eut tourné dans la serrure, Ingrid cessa de balancer la tête et regarda Ning droit dans les yeux.

- Approche, chuchota-t-elle.

En dépit de la douleur que lui causait son pied blessé, la fillette se redressa péniblement puis sautilla vers sa mère.

- Je crois que j'ai un orteil cassé, gémit-elle.

- J'ai attrapé ça quand j'ai renversé le bureau, dit Ingrid en exhibant le couteau que Kuban avait utilisé pour lui entailler les joues. Il faut que tu comprennes une chose : si je vire l'argent, Leonid n'aura plus aucune raison de nous laisser en vie. Si j'ai laissé cette petite ordure te faire du mal, c'était pour te protéger, tu piges ?

Ning hocha la tête.

- Il faut que tu trouves un moyen de t'évader, mon ange. Utilise ce couteau, tes poings et tout ce qui te tombera sous la main, mais tu dois tenter ta chance à la première occasion.

- M'évader ? Mais pour aller où ? Je ne sais même pas où nous nous trouvons.

- Bichkek est la capitale du pays. Tu trouveras bien une solution. Essaye de rejoindre une ambassade, ou un lieu touristique. Surtout, ne t'adresse pas aux policiers. Ils sont probablement à la solde des Aramov.

Ingrid glissa le couteau dans la poche du Jean de Ning.

- Je t'aime, ma chérie.

- Moi aussi, je t'aime.

- J'entends des pas. Retourne à ta place, vite. L'adolescent entra dans la salle, marcha vers le bureau puis y déposa une cuvette et des torchons de cuisine. Il s'agenouilla près de Ning et desserra légèrement ses menottes à l'aide d'une petite clé.

- Ça devait commencer à faire mal, depuis le temps, dit-il. Ning lui adressa un hochement de tête reconnaissant, mais elle redoutait qu'il ne s'agisse d'une ruse. L'un des gorilles fit son apparition, une caisse sous le bras, bientôt suivi de Leonid, qui tenait un gobelet de café fumant.

- Maman est une dure à cuire, lança ce dernier sur un ton amusé, mais combien de temps pourra-t-elle supporter de voir souffrir sa fifille adorée ?