CHAPITRE 23
P
LZEN

 

 

Le lundi, Ethan fit son retour au collège. Yannis avait fini par accepter la présence de Ryan. D'une part, Guillermo ayant purgé son exclusion, il était rassuré d'avoir à ses côtés un garçon d'apparence athlétique. D'autre part, son meilleur ami lui avait clairement fait comprendre qu'il n'entendait pas subir plus longtemps son caractère jaloux.

- On va au club d'échecs, annonça Ethan à la sortie du dernier cours de la journée. Ça te dirait de nous accompagner, Ryan?

- Normalement, il faut s'inscrire à la rentrée, fit observer Yannis, qui voyait là une occasion de se débarrasser de son rival.

- Tu parles. Mr Spike n'en a rien à faire. Le club ne compte que douze membres, et la plupart n'y mettent jamais les pieds.

Ryan avait reçu pour consigne de passer le plus de temps possible en compagnie de sa cible afin de lui soutirer des renseignements. En toute logique, il aurait dû accepter l'invitation, mais il s'était réveillé avec un sévère mal de gorge. Au fil de la journée, les symptômes s'étaient multipliés : ses narines étaient bouchées et il souffrait d'une insupportable migraine.

- Non, je crois que je vais rentrer à la maison, dit-il. J'ai la crève, et je ne connais pas grand-chose aux échecs. J'oublie toujours comment on déplace les poneys.

- Tu veux parler des cavaliers, j'imagine, gloussa Yannis, triomphant, sans réaliser qu'il s'agissait d'une plaisanterie.

Ethan sourit.

- Comme tu voudras. D'ailleurs, je ne tiens pas à attraper tes microbes. On se retrouve demain matin, à l'arrêt de bus, si tu n'es pas cloué au lit.

- Ça devrait aller, le rassura Ryan. Ce n'est sans doute qu'un vilain rhume.

Le collège était situé à quinze minutes de route de la villa, mais le bus scolaire empruntait un parcours tortueux afin de desservir tous les lotissements voisins, si bien qu'il ne regagna la villa que quarante-cinq minutes plus tard.

- Salut Amy, lança-t-il en entrant dans la cuisine. Assise sur un tabouret, sa coéquipière étudiait un dossier portant le sigle de l'ULFT.

- Oh, ta voix est rauque, dit-elle en se penchant pour poser une main sur son front. Bon sang, tu es brûlant. Tu veux que j'aille te chercher des médicaments à la pharmacie ?

- Non, t'inquiète. J'ai de l'aspirine dans ma chambre, je suis sûr que ça ira beaucoup mieux quand j'aurai pris un bain chaud.

- Tu devrais boire un verre de jus d'orange. C'est plein de vitamine C.

- Ted et le docteur D sont rentrés ? Amy consulta sa montre.

- L'avion de Dallas doit avoir atterri, à l'heure qu'il est. Ils seront là pour dîner. Avant que tu ne me poses la question, j'ai prévu du poulet rôti.

Ryan rejoignit sa chambre située au deuxième étage. En comparaison, celle de CHERUB était un taudis. Il disposait d'un balcon orienté face à la mer, d'une penderie d'une dizaine de mètres de long, d'un lit immense et d'une vaste baignoire circulaire percée à même le sol. Une télécommande permettait d'en régler la température au degré près. Grâce au débit phénoménal du robinet, elle se remplissait en moins de deux minutes.

Plongé dans l'eau chaude, il regardait d'un œil vague une course-poursuite sur son téléviseur LCD Bang & Olufsen. Amy plaça sur le rebord un plateau garni d'une carafe de jus d'orange, d'un mug de thé à la menthe et d'une tranche de pain beurré.

- C'est tellement bon d'être malade, sourit Ryan. Lorsque sa peau commença à se rider, il s'extirpa de la baignoire, tituba jusqu'au lit et se roula dans la couette sans même prendre la peine de se sécher.

Il se réveilla une heure plus tard et découvrit le docteur D assise à son chevet, l'air profondément contrarié.

- C'est déjà l'heure du dîner ? s'étonna-t-il.

Sa migraine s'était estompée, mais il ne parvenait toujours pas à respirer par les narines.

- Tu n'as pas fait ton rapport à Amy en rentrant du collège, dit le docteur D.

Ryan considéra ses larges lunettes de soleil et sa robe hideuse aux épaulettes saillantes.

- Il ne s'est rien passé d'important, assura-t-il. J'ai suivi les cours. Pendant les interclasses, Yannis ne nous a pas lâchés d'une semelle. Difficile d'avancer, dans ces conditions.

- Il me semble que tu es dans une impasse, dit la femme. Nous allons charger l'une de nos coéquipières de séduire Gillian Kitsell, mais il nous faut d'abord répondre à plusieurs questions essentielles : quel est son type de femme ? À quoi ressemblent ses ex? Comment se sont-elles rencontrées? Fréquente-t-elle les bars communautaires ?

Ryan se moucha dans un Kleenex.

- Je sais, mais il n'y a aucune photo dans la maison, son bureau est équipé d'une serrure électronique et sa chambre se trouve au dernier étage, où je n'ai aucune raison de m'aventurer. Et puis, vous comprenez que je ne peux pas passer mon temps à questionner Ethan sur la vie sentimentale de sa mère.

Le docteur D croisa les bras puis parla d'une voix blanche.

- Je constate que vous avez passé beaucoup de temps en tête à tête, pour de bien maigres résultats.

- Ça ne fait qu'une semaine, répliqua Ryan. Ethan et sa mère sont très proches. Je suis certain qu'il en sait davantage sur ses affaires et sur sa famille qu'il ne veut bien l'admettre. Laissez-moi un peu de temps, et je vous garantis que je trouverai un moyen de le faire parler. Je l'inviterai ici quand il n'y aura personne et je lui livrerai quelques-uns de mes secrets les plus intimes pour l'encourager à se confier.

- Pourrait-on organiser cette rencontre dès ce week-end ?

- Non, c'est trop tôt. En plus, telle que je la connais, sa mère ne le laissera pas passer la nuit dehors tant qu'il ne sera pas complètement rétabli.

- Selon Amy, cet après-midi, Gillian a regagné la villa en compagnie d'Ethan et de Yannis. Ce qui signifie que tu les as laissés reprendre leurs petites habitudes et te tenir à l'écart. C'est comme si toutes tes manœuvres d'approche n'avaient servi à rien.

Ryan bondit du lit, la couette serrée contre son ventre pour protéger son intimité.

- Je suis un agent opérationnel et je sais ce que je fais ! hurla-t-il.  J'obtiendrai toutes les informations que vous désirez concernant Gillian Kitsell. Je bricolerai le système d'alarme de la porte de service pour que vous puissiez envoyer un agent perquisitionner le sous-sol. Mais tout cela prendra du temps, et si vous continuez à me pousser à agir précipitamment, je risque de commettre une erreur lourde de conséquences.

Alertée par ces cris, Amy gravit les marches quatre à quatre.

- Tout va bien? demanda-t-elle en déboulant dans la chambre.

Ryan pointa un doigt accusateur en direction du docteur D.

- Soit elle retourne au quartier général de Dallas, soit je rentre au campus.

Amy considéra ses coéquipiers. Elle se trouvait dans une situation délicate. Les autorités de CHERUB lui avaient confié la responsabilité d'un de leurs agents, mais elle était membre de l'ULFT et placée sous le commandement du docteur D.

- Inutile de brailler, Ryan, gronda-t-elle.

- C'est ça, prends sa défense.

- Je ne prends pas sa défense. Je dis juste qu'il est impossible de régler un différend en haussant le ton. Je suggère que tout le monde se calme et que nous dînions tranquillement. Ensuite, nous discuterons de tout ça à tête reposée.

- Je crois qu'elle n'a pas la moindre idée de la façon dont fonctionne CHERUB, lâcha Ryan, un ton plus bas.

Le docteur D se raidit.

- Jeune homme, je dirigeais des opérations d'infiltration avant que tu ne sois né. Je ne mets pas en cause ton travail, mais tu dois apprendre à accélérer la cadence lorsque c'est nécessaire.

À cet instant précis, Amy, qui se tenait devant la fenêtre, remarqua deux hommes en tenue de plongée qui détalaient sur la plage, sac étanche à l'épaule.

- Il se passe quelque chose de louche, dit-elle en s'approchant de la vitre.

Alors, elle aperçut un canot pneumatique motorisé amarré à la jetée.

- Ils sont vêtus comme des membres des forces spéciales, et je crois qu'ils se dirigent vers la villa de Gillian, ajouta-t-elle, complètement affolée.

 

Pourvu d'une unique piste, l'aéroport de Plzen disposait d'un terminal flambant neuf bâti dans l'espoir d'attirer les compagnies low cost dans la quatrième ville du pays. À sa descente de l'avion, Maks se présenta au poste de douane réservé au personnel navigant. Ning suivit le marquage au sol et se joignit à la file d'attente formée par les passagers.

- Motif du séjour ? demanda en anglais une fonctionnaire à la bouche barbouillée de rouge à lèvres.

- Je viens passer deux semaines de vacances, répondit Ning en désignant les Chinoises qui avaient franchi le poste de douane. Je fais partie du groupe.

La femme glissa son passeport kirghiz sous un scanner puis le lui rendit.

- Bon séjour, dit-elle.

Ning, qui redoutait de voir débouler une meute de policiers, put rejoindre sans encombre la zone des arrivées.

Les hommes chargés de réceptionner les passagères brandissaient des pancartes portant l'inscription Clanair Voyages, mais avec leurs lunettes noires et leurs blousons de cuir, ils ressemblaient davantage à des videurs de boîte de nuit qu'à des guides touristiques. L'un d'eux considéra Ning d'un œil suspicieux. Elle hâta le pas et retrouva Maks devant le guichet d'accueil de l'aéroport.

- Voilà quelques couronnes tchèques, dit-il en lui remettant une liasse de billets colorés. Ça devrait suffire à payer le taxi et à t'offrir de quoi manger. Voilà où tu dois te rendre.

Il lui tendit une carte postale au dos de laquelle figuraient une adresse et un numéro de téléphone.

- Montre-la au chauffeur. Ghun Hei te recevra à midi et demi.

- Quelle heure est-il ?

- Huit heures et quelques. Tu n'as pas de montre ?

- Non. Kuban me l'a confisquée.

- Je dirai à Dan que tu es bien arrivée, dit Maks en détachant sa montre bon marché. Prends ça. Elle est toujours à l'heure kirghize. Ici, il est cinq heures de moins.

- Oh, vous êtes sûr ?

Elle ignorait si cette soudaine manifestation de générosité était sincère ou motivée par le seul désir de tenir la promesse faite à Dan.

- Ce n'est rien. Je l'ai achetée cinquante soms au marché de Bichkek.

- Merci, dit Ning en constatant que le bracelet, réglé au dernier cran, tenait à peine à son poignet.

- Il faut que j'aille préparer le vol de retour. Je te souhaite bonne chance, ma petite.

Sur ces mots, Maks tourna les talons et se dirigea vers une porte surmontée de l'inscription Salon des pilotes. Ning empocha les billets et jeta un coup d'œil circulaire au hall des arrivées. C'était un lieu désolé, comportant quelques boutiques closes et un café dont les employés de l'aéroport étaient les seuls clients.

Elle avait trois heures à tuer. Elle envisagea de s'offrir un petit déjeuner, mais elle redoutait qu'un policier ou un douanier désœuvré, remarquant qu'elle n'était pas accompagnée, ne s'intéresse de trop près à son cas.

Elle franchit la porte automatique du terminal flanquée d'un panneau rédigé en plusieurs langues annonçant Bienvenue en Tchéquie, puis se dirigea vers la station de taxis.