CHAPITRE
25
UNE AFFAIRE DE
FAMILLE
Dès qu'il eut tiré Ethan à l'intérieur de la villa, Ryan claqua la porte d'entrée.
- Tu es en sécurité, maintenant, dit-il. Pardonne-moi, mais je dois te laisser seul quelques minutes.
Il se précipita dans la cuisine où il retrouva le docteur D qui, portable à l'oreille, s'entretenait avec les forces de police. Il l'informa à voix basse qu'Ethan se trouvait dans la maison puis il déposa son pistolet dans un placard, derrière une boîte de céréales. Lorsqu'il regagna le salon, il trouva son camarade effondré sur une chaise, le visage baigné de larmes.
- Ma grand-mère est au téléphone avec les flics. Tu veux monter t'allonger dans ma chambre ?
Ethan hocha la tête. Il tremblait comme une feuille. Son visage était plus pâle que jamais, son front perlé de sueur. Ryan comprit qu'il était en état de choc.
- Ils nous ont peut-être vus nous enfuir, bégaya-t-il. Et s'ils nous suivent jusqu'ici ?
- Mon père a un flingue. S'ils approchent de cette maison, il leur tirera dessus. Bon sang, qu'est-ce que tu trembles... Il faut absolument que tu te détendes.
Ethan se leva avec difficulté, fit quelques pas en direction de l'escalier puis vomit sur le carrelage du vestibule.
- Je suis désolé, sanglota-t-il. Je nettoierai.
- Ne dis pas de bêtises. Allez, monte, je me tiens juste derrière toi.
- Tu m'as sauvé la vie deux fois. Tu es mon ange gardien.
- Peut-être, lâcha Ryan en esquissant un sourire forcé.
Tandis que son camarade gravissait péniblement les premières marches, il fit un détour par la cuisine pour s'emparer d'un rouleau d'essuie-tout. Le docteur D posa son mobile sur la table.
- Les tueurs ont quitté la maison, dit-elle. J'ai tout essayé, le FBI et la police, mais ils ne sont pas foutus de dénicher un hélicoptère. Les autorités locales vont essayer de réquisitionner un appareil des garde-côtes, mais je ne suis pas très optimiste. Nous allons devoir faire avec les moyens du bord : j'ai demandé à Ted de neutraliser l'un des hommes avant qu'il n'embarque dans le canot. Amy est en route vers sa position afin de le couvrir en cas de pépin.
- Et notre couverture ?
- Nous sommes en Californie. Rien d'étonnant à ce qu'un honnête père de famille sorte son fusil pour liquider des cambrioleurs. Il existe une loi qui l'autorise.
- Avez-vous une idée de ce qui s'est passé ? demanda Ryan en détachant deux carrés d'essuie-tout afin de nettoyer son pied souillé de vomissures.
Le docteur D secoua la tête.
- Pas la moindre. Va retrouver Ethan et cuisine-le en douceur.
- Il vient de dégueuler dans le vestibule. Je suis venu chercher une serpillière pour nettoyer les dégâts.
- Laisse, je m'en occuperai. Pour le moment, il est vulnérable, et les vingt prochaines minutes seront cruciales. Efforce-toi de stimuler son esprit. Il vient de perdre sa mère et son meilleur ami. S'il se renferme, il pourrait sombrer dans la catatonie, et nous n'obtiendrons plus rien de lui.
- C'est compris, dit Ryan. Je m'en occupe.
En s'engageant dans l'escalier, il fut pris de vertiges. L'effet de l'adrénaline s'étant estompé, il réalisa qu'il brûlait de fièvre, mais ce symptôme n'était rien en comparaison de ce qu'il avait enduré au cours de son entraînement d'agent opérationnel.
- Ça va, mon vieux? demanda-t-il en entrant dans la chambre.
Ethan était planté devant la fenêtre qui dominait la plage.
- Ton père en a flingue un, dit-il d'une voix blanche. Ryan découvrit le corps d'un des tueurs étendu sur la plage, à la limite des flots. Sa tête n'était plus qu'une tache rouge et informe. Lancé à pleine vitesse, le canot pneumatique se trouvait déjà à plusieurs centaines de mètres du rivage. Ted et Amy dévalaient une haute dune. Ils semblaient calmes, professionnels, et cette attitude était en complète contradiction avec leur couverture.
- Tu ne devrais pas regarder ça. Allonge-toi sur le lit, tu es tout pâle.
- Ton père a fait du bon boulot, cracha Ethan. Cette merde a tué ma mère.
- Allez, viens, insista Ryan en glissant un bras dans le dos de son camarade afin de l'écarter doucement de la fenêtre.
Alors, il remarqua le téléphone mobile dans la main d'Ethan.
- C'est le mien ? s'étonna-t-il.
- Oui, je ne pensais pas que ça te dérangerait.
Ryan récupéra l'appareil puis se tourna brièvement vers ses coéquipiers, qui couraient en direction de la villa des Kitsell. Le basketteur à la retraite qui vivait au numéro six se trouvait à leurs côtés, complètement affolé.
- Qui as-tu appelé ? La police ?
Ethan se laissa tomber dans le canapé de cuir placé devant la penderie. Ryan s'assit à ses côtés.
- Non. J'ai contacté un avocat nommé Lombardi. Ma mère m'a recommandé de le joindre s'il arrivait quelque chose. Elle m'a fait apprendre le numéro par cœur.
Ryan avait conscience qu'il venait de découvrir une information capitale, mais sa fièvre était si élevée qu'il éprouvait des difficultés à se concentrer.
- Il faut croire qu'elle craignait que quelque chose arrive.
- C'est compliqué, lâcha Ethan en essuyant ses larmes.
- Tu penses que ça a un rapport avec ses affaires ?
- Non. Une histoire de famille. Ma mère m'a fait jurer de garder le secret, mais maintenant qu'elle est morte, je suppose que ça n'a plus aucune importance.
- Je ne dirai rien à personne, je te le promets. Et ça te fera sans doute du bien de lâcher ce que tu as sur le cœur.
- En réalité, ma mère ne se nomme pas Kitsell, mais Aramov. Ma grand-mère Irena est propriétaire d'une compagnie aérienne. Après la chute de l'Union soviétique, elle a racheté une flotte de vieux avions-cargos pour une bouchée de pain et s'est spécialisée dans le transport de marchandises illégales.
- Quelles marchandises ?
- Tout et n'importe quoi. Armes, cocaïne, faux sacs Hermès... Ma mère a créé sa société grâce à l'argent de ma grand-mère, mais elle n'a jamais voulu tremper dans les activités de sa famille. Et puis, l'année dernière, la vieille a découvert qu'elle souffrait d'une forme incurable de cancer.
- Elle est morte ?
- Non, mais selon les médecins, elle n'en a plus pour très longtemps. Ma mère a deux frères. Josef, l'aîné, est un peu simple d'esprit. Mon autre oncle, Leonid, est un vrai psychopathe. Vu que son frère est un attardé et que sa sœur vit en Amérique, il se considère comme l'héritier du clan Aramov. Seulement, ma grand-mère l'a toujours trouvé trop impulsif et trop violent pour gérer ses affaires. Lorsqu'elle a appris qu'elle était malade, elle a désigné sa fille pour la remplacer. Ça ne lui plaisait pas beaucoup, à ma mère. Je veux dire, qui voudrait quitter la Californie pour vivre dans un pays où les gens bouffent des yeux de mouton au petit déjeuner ? Mais c'était la dernière volonté de ma grand-mère, alors...
- Wow, lâcha Ryan. Et moi qui pensais que ma famille était une bande de cinglés... Tu crois que c'est Leonid qui a envoyé ces tueurs ?
- Certainement. Il est possible que ma mère se soit fait d'autres ennemis, mais seul Leonid peut avoir commandité ma mort, sans doute parce que ma grand-mère m'a réservé une part de l'héritage.
- Mais du coup, ils te croient mort, fit observer Ryan.
- Pour le moment. Mais ils n'auront qu'à lire les journaux pour découvrir qu'ils se sont trompés de cible.
Ethan avait retrouvé des couleurs. Il semblait désormais plus effrayé que choqué.
- Et cet avocat est censé te protéger ?
- Je ne sais pas trop. Je pense que ça doit faire partie d'un plan mis en place par ma grand-mère. Tout ce que je sais, c'est que Leonid enverra d'autres tueurs si je reste dans le coin.
- Et qu'est-ce qu'il t'a dit, ce type, au téléphone ?
- De me faire discret jusqu'à ce qu'il me recontacte. Ryan ouvrit la bouche pour suggérer qu'il serait plus sage de s'adresser au FBI qu'à un avocat lié à un gang criminel lorsqu'une explosion assourdissante retentit. L'espace d'un instant, la villa pencha sur la droite, puis on entendit un fracas de verre brisé suivi d'un concert d'alarmes de voiture. Une longue fissure apparut au plafond de la chambre.
- Nom de Dieu ! s'exclama Ryan en se précipitant vers la fenêtre. Qu'est-ce que c'était ? Un tremblement de terre ?
Ethan secoua la tête.
- Non. Je pense que c'était ma maison. Le type qui est descendu au sous-sol a dû placer des explosifs.
- Mais qu'est-ce qu'il y avait, en bas ?
- Une chose sur laquelle travaillait ma mère, pour le compte d'Irena.
À cet instant, Ryan se souvint avoir vu Ted et Amy marcher vers la villa des Kitsell, quelques minutes avant la déflagration.
- Reste ici, dit-il en se ruant dans l'escalier.
Dans le vestibule, le docteur D tirait vainement sur la poignée de la porte principale, dont le cadre avait joué sous l'effet de l'explosion. Ryan l'écarta sans ménagement puis usa de toute sa force pour en permettre l'ouverture.
- Tu n'as pas de chaussures, dit-elle. Le sable est sans doute jonché d'éclats de verre.
- Sourd à cet avertissement, Ryan se précipita à l'extérieur. Amy ? hurla-t-il. Amy, où es-tu ?