CHAPITRE 9
D
ISPARAÎTRE

 

 

Vaincue, Ning s'exécuta. L'espace d'un instant, elle caressa l'idée de se précipiter vers le policier afin de le désarmer, puis réalisa que cette manœuvre était vouée à l'échec.

- Où est ta mère ? lui cria l'homme.

- Je ne sais pas.

- Nous sommes en pleine cambrousse, fit-il observer. Comment as-tu fait pour rentrer de l'école ?

- L'un de mes camarades vit dans le village voisin. Son père m'a déposée près du champ, à l'arrière de la maison.

Le vieux flic déboula dans la chambre. Son visage était rubicond. Il semblait à deux doigts de l'arrêt cardiaque.

- Elle affirme qu'elle est seule, mais je crois qu'on ferait mieux de vérifier, dit son coéquipier. Je vais appeler des renforts, juste au cas où.

Ning ignorait si Ingrid avait eu le cran nécessaire pour sauter par la fenêtre.

- Ne fais pas ça, répliqua son collègue. Le patron nous arrachera la tête s'il apprend qu'on les a laissées se glisser dans la villa en notre présence. Attache la gamine, et mettons- nous à la recherche de la femme. Elle est inoffensive. Si elle est ici, elle doit être en train de cuver dans un coin.

Le jeune policier détacha les menottes suspendues à sa ceinture puis les jeta aux pieds de Ning.

- Passe-les autour de tes poignets, ordonna-t-il.

Au moment où sa prisonnière se penchait en avant, une détonation retentit et l'officier s'écroula sur le ventre. Le visage moucheté de sang, Ning se mit à couvert entre le mur et le lit.

Deux autres coups de feu claquèrent. Le vieux policier s'effondra dans le couloir. Cinq secondes plus tard, Ingrid fit irruption dans la pièce, brandissant un énorme pistolet automatique, et acheva le jeune officier d'une balle en pleine tête.

- Où est-ce que tu as trouvé ça ? s'étrangla Ning, dont les oreilles sifflaient douloureusement.

- Dans la chambre du bébé, avec le fric et tout ce dont nous avons besoin, expliqua sa mère.

L'air empestait la poudre et le sang. Ning n'avait jamais observé de cadavre mais, bien plus que la vue des corps ensanglantés, c'était la froideur avec laquelle Ingrid avait liquidé les policiers qui l'épouvantait. L'un comme l'autre avaient reçu deux balles, l'une dans le thorax, la seconde au milieu du front.

- Ils sont morts, bredouilla-t-elle.

- C'est préférable pour nous, tu peux me croire.

- Où est-ce que tu as appris à tirer ?

- Je t'en ai déjà parlé. J'étais médecin dans l'armée britannique avant de rencontrer ton père.

Ning avait toujours considéré cette anecdote avec amusement, un peu comme si un oncle obèse lui avait appris qu'il avait couru le marathon ou que le policier de la famille avait avoué avoir volé des voitures dans sa jeunesse.

- J'étais mauvais soldat et médiocre médecin. Mais j'étais douée pour le tir.

Ning suivit sa mère jusqu'à la chambre du bébé. Elle avait toujours trouvé cet endroit affreusement déprimant, avec sa table à langer et ses jouets premier âge. Ingrid avait fait quatre fausses couches avant de se lancer dans le processus d'adoption, mais la pièce était restée inchangée, dans l'attente d'une hypothétique grossesse.

Ning comprit que ses parents avaient conservé le petit lit à barreaux dans un but précis. Le matelas en mousse avait été éventré lors de la perquisition, mais les policiers n'avaient pas découvert la cache aménagée sous le cadre de bois.

Outre le pistolet dont Ingrid avait fait usage, elle contenait une seconde arme de poing, six chargeurs, des liasses de yuans sous emballage plastique, des dollars US et des lingots d'or.

À la découverte de ce double fond, Ning changea radicalement d'avis sur sa famille. Jusqu'alors, elle avait toujours vu son père comme un homme d'affaires pressé, solitaire et un peu acariâtre, mais jamais elle n'aurait imaginé qu'il conservait de l'argent et des armes dans une chambre d'enfant.

- Je veux savoir ce qui se passe, dit-elle. J'en ai le droit.

- Mon ange, je te promets de tout t'expliquer, mais on ne peut pas rester une minute de plus dans cette maison.

Sur ces mots, elle sortit une valise à roulettes de la penderie et y fourra l'argent et les munitions.

- Il y a un sac de sport rouge dans ce placard, dit-elle. Prends-le, lave-toi le visage et change-toi en vitesse.

Ning obéit sans discuter. Lorsqu'elle se fut débarbouillée à l'aide d'une serviette humide, elle ôta son costume de chat puis enfila un jean, un sweat-shirt à capuche et une paire de baskets.

Elle retrouva Ingrid dans la buanderie.

- On retourne chercher la BMW ? demanda-t-elle.

- Ça nous ferait perdre un temps fou, de rebrousser chemin à travers champs. On va emprunter la bagnole des flics pour rejoindre la ville. Ça ne devrait pas nous prendre des heures. La circulation est fluide dans cette direction, à ce moment de la journée.

- Et puis après ? demanda Ning en courant vers le véhicule stationné devant la villa.

Ingrid s'installa au volant. Lorsqu'elle eut bouclé sa ceinture, elle lui remit son téléphone portable.

- Appelle Wei et dis-lui que j'ai le fric.

Le portail automatique s'ouvrit à l'approche de la voiture. Ning sentait son cœur cogner dans sa poitrine. À ses oreilles, les sifflements avaient laissé place à un bourdonnement persistant. Cependant, elle était soulagée d'apprendre que Wei, l'employé de son père, infiniment plus sobre et moins impulsif que sa mère, était impliqué dans le plan d'évasion.

- Ning ? Comment vas-tu, ma petite ?

- Franchement, c'est pas brillant.

Ingrid manipula le levier de vitesses et passa directement de la troisième à la cinquième. La voiture vibra puis ralentit brusquement.

- Putain d'embrayage à la con ! rugit-elle.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda Wei.

- Ingrid m'a chargée de te dire qu'elle avait l'argent.

- C'est bien. Je vous ai trouvé une chambre au motel Pink Bird. J'ai pris une réservation sous le nom de Gong, et j'ai réglé en espèces.

- Pink Bird, réservation au nom de Gong, répéta Ning.

- Ne passez pas par la réception. Chambre deux cent cinq, au deuxième étage. J'ai laissé la porte ouverte. Vous trouverez la clé dans la salle de bain, glissée dans les plis d'une serviette. Il vaut mieux vous faire discrètes, mais il faudra bien trouver de quoi manger. Il n'y a pas de room service, mais un supermarché et quelques cafés derrière le parking. Vous recevrez des instructions sous quarante-huit heures.

- Tu passeras nous voir ? demanda Ning.

- Impossible, répondit Wei sur un ton ferme. Ne le prends pas mal, mais vous devez éviter tout contact extérieur, y compris avec tes copains d'école. Les flics vont essayer de localiser votre téléphone mobile par triangulation. Tu t'en débarrasseras dès que nous aurons raccroché.

- OK. Si je comprends bien, on ne se reverra jamais.

- Je ne sais pas, mais ce qui est certain, c'est qu'on va devoir se dire adieu pour un long moment.

Ning mit fin à la communication et informa Ingrid des dispositions prises par Wei.

- Dès notre arrivée en ville, nous emprunterons un taxi, déclara la femme. Peut-être plusieurs. Nous devons brouiller les pistes au maximum. Où est ton téléphone ?

- Dans une de mes bottes, à l'école.

- Tant mieux, lança Ingrid en récupérant son mobile. Elle ralentit à l'approche d'une bretelle de sortie, baissa sa

vitre et le jeta dans les hautes herbes, derrière une glissière de sécurité.

- Le moment est venu de disparaître, dit-elle.