C’est dans ce chantier sublime que Héraclius sanglote, crie, menace, annonce le feu de l’Apocalypse si Jérusalem ne se trouve pas libérée, ouvre les portes du Ciel, et les mots terribles semblent monter, s’amplifier, rouler en écho sous les voûtes du chœur. L’auditoire tremble, les paroles du vénérable patriarche inquiètent les puissants et font frémir les humbles.
Philippe Auguste ne peut faire moins que de participer à cette cause sacrée : la délivrance de la Terre sainte et du tombeau du Christ. D’ailleurs, l’atmosphère est extraordinairement belliqueuse en Europe. À Paris, comme dans tout le royaume et comme en Angleterre, aristocrates et vilains réclament ce périple au bout de la foi. Le roi de France n’a pas trop le choix, il doit partir. Mais pas tout de suite. D’abord, il faut conclure un accord de paix avec Richard Cœur de Lion, le monarque anglais, qui sera de l’expédition. Les deux souverains signent un traité de fidélité : « Nous accomplirons ensemble le voyage de Jérusalem, sous la conduite du Seigneur. Chacun de nous promet à l’autre de lui garder bonne foi et bonne amitié…»
Et puis, le 15 mars 1190, la reine Isabelle, épouse de Philippe Auguste, succombe en accouchant de jumeaux mort-nés, elle n’avait pas vingt ans. Dix années auparavant, Isabelle de Hainaut, encore enfant, avait été mariée au roi pour des raisons territoriales : elle apportait en dot l’Artois. Philippe n’a jamais beaucoup aimé cette frêle jeune fille larmoyante, mais sa disparition efface tous les ressentiments. Pour la reine, Philippe exige des funérailles grandioses. Elles se déroulent dans le chœur de la cathédrale Notre-Dame et la dépouille est inhumée dans un caveau creusé à cette occasion.
Avant de partir pour la Croisade, le roi de France a encore d’autres tâches à accomplir. Il sait que Paris est quasiment une ville sans défense. Il y a bien les vieilles murailles de l’île de la Cité, mais l’agglomération s’est beaucoup développée sur les deux rives. En cas d’invasion, rien de vraiment dissuasif ne la protégerait. Et le risque n’est pas négligeable, Normands et Anglais menacent périodiquement le royaume de France. C’est à ce moment-là qu’est née l’idée d’une muraille vers le nord, sur la rive droite.
Philippe Auguste voit grand pour sa capitale. Il espère que la sécurité des nouveaux remparts attirera bientôt sur les bords de la Seine une population nombreuse, alors il trace pour cette ville réinventée un véritable plan d’urbanisme. À l’intérieur de la future enceinte, il imagine des espaces verts, des jardins dispersés entre les habitations à construire.
Après avoir désigné six bourgeois parisiens pour exécuter ses ordres durant son absence, le roi se rend à Saint-Denis où il reçoit avec solennité la bénédiction « du saint clou et de la sainte épine » et prend possession de la bannière semée de croix d’or, son signe de ralliement. Ainsi paré, Philippe peut s’en aller conquérir la Terre sainte.
Le 4 juillet 1190, le roi de France et le roi d’Angleterre se retrouvent à Vézelay. Ils cheminent ensemble le long de la vallée du Rhône où des foules enthousiastes saluent les deux grands monarques qui vont défaire le Sarrasin arrogant. Philippe embarque à Marseille, Richard continue vers Gênes…
Philippe Auguste reste loin de Paris et de son royaume durant près d’un an et demi ! Et pour quoi ? Pour rien. Pour lui, la Croisade se résume à six mois d’attente en Sicile, dans l’espoir chaque jour déçu de voir se calmer les tempêtes méditerranéennes, puis à un siège calamiteux de la ville de Saint-Jean-d’Acre, qui ne fait pas bouger d’un pouce les soldats de Saladin. Pour parfaire le tout, Philippe tombe malade. Gravement. Une forte fièvre le secoue, lui fait perdre ses cheveux et ses ongles, l’inflammation remonte à un œil, le ronge, éteint sa lumière… Philippe n’a plus qu’une hâte : quitter cette terre inhospitalière, rentrer à Paris, oublier ses rêves pieux. Il envoie des émissaires auprès de Richard Cœur de Lion pour lui demander de le défaire de ses engagements et de lui permettre de repartir au plus vite vers la France.