De Gaulle a cordialement détesté cette résidence, qui paraissait un peu trop délicate pour le soldat qu’il était. En plus elle était alors mal conçue et, dans la salle à manger, les plats arrivaient froids, venus des cuisines trop éloignées. Et puis, l’idée de se glisser dans les chaussons d’une favorite royale agaçait l’austère Général.
Ses successeurs n’ont pas tous partagé son avis. Georges Pompidou, qui affichait avec ostentation son intérêt pour l’art moderne, fit décorer les appartements privés aux couleurs lumineuses et changeantes de l’artiste israélien Agam. Mais son épouse Claude avait en horreur cette demeure glacée qui se mua, pour elle, en « maison du malheur » après le décès du président. D’ailleurs, jamais elle n’accepta d’y remettre les pieds, même pour rendre une brève visite aux hôtes suivants.
Valéry Giscard d’Estaing s’installa tout seul à l’Élysée, son épouse Anne-Aymone jugeant les appartements privés trop exigus et trop mal agencés pour y loger avec ses quatre enfants. Ce qui laissait libre cours à la vie joyeuse du jeune président… Le 2 octobre 1974, alors qu’il rentrait à l’Élysée au petit matin en compagnie d’une belle actrice, sa Ferrari emboutit la camionnette d’un laitier. Au grand éclat de rire des journalistes de l’époque.
Pour François Mitterrand, l’Élysée fut un lieu de travail. Déchiré entre sa vie « officielle » rue de Bièvre au côté de son épouse Danielle et sa vie officieuse avec la maman de Mazarine, née six ans avant son élection, il n’avait pas vraiment le temps d’habiter le palais présidentiel.
Jacques Chirac a sans doute été le chef de l’État qui a le plus apprécié l’endroit. En tout cas, il en a investi les appartements avec volupté. « Chirac a toujours habité là où il travaillait et travaillé là où il habitait », soulignait l’un de ses anciens conseillers. Ce fut vrai à la mairie de Paris comme à l’Élysée. Bernadette Chirac, elle, ne cache jamais la nostalgie que lui inspire le temps enfui, quand elle aménageait à son goût les jardins en fleurs du palais.
Quant à Nicolas Sarkozy, il semble tellement apprécier les fastes de la demeure qu’il s’y est marié avec Carla Bruni le 2 février 2008. Cérémonie intime qui se déroula au premier étage en présence d’une vingtaine de personnes seulement, la famille proche et une poignée d’amis.
— Je n’ai rien calculé, rien prévu. Je ne me suis jamais mariée avant. Je suis de culture italienne et je n’aimerais pas divorcer… Je suis donc la première dame jusqu’à la fin du mandat de mon mari, et son épouse jusqu’à la mort… Mon voyage de noces fut une promenade de vingt minutes dans le parc du château de Versailles. Merveilleux voyage de noces tout de même, déclara à la presse médusée la nouvelle locataire du palais.
Mais le mariage de Sarkozy n’est pas réellement une première : le 1er juin 1931, le président Gaston Doumergue, resté célibataire durant tout le temps de son mandat, se maria là aussi, douze jours avant de quitter ses fonctions.
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En poursuivant notre remontée de la plus belle avenue du monde, comment ne pas faire un petit écart avenue Montaigne, devant la façade Art déco du théâtre des Champs-Élysées ?
En 1920, sous la direction de Jacques Hébertot, la salle devient l’avant-garde de la création artistique : opéras, ballets, pièces de théâtre, concerts s’y succèdent. Les Ballets suédois subjuguent Paris sur des musiques de Ravel, Debussy, Milhaud, Satie… Le XXe siècle de l’invention, de l’intelligence, de la beauté explose ici.
On voit même Pablo Picasso dessiner des décors. Le peintre né à Malaga, qui obtient déjà un beau succès, a épousé Olga, une ballerine russe rencontrée à Rome et ils se sont installés non loin des Champs, au 23, rue La Boétie, dans un appartement bourgeois et luxueux qui rassure l’artiste…