VIIIe siècle
BASILIQUE DE SAINT-DENIS
L’ultime faste des rois
Parfois, le métro prend des chemins de traverse. Il permet alors de s’éloigner du cœur de Paris et nous incite à tenter une incursion hors des limites de la ville, dans sa banlieue, nouveau faubourg, Paris de demain. Le projet du Grand Paris est en marche ; avec le métro, il est déjà concrétisé. C’est d’ailleurs dans le « neuf-trois » tout proche que se dresse un des piliers majeurs de l’histoire de France et donc de Paris : le Stade de France avec les quatre-vingt mille supporters – dont moi – qui s’y sont déchaînés quand l’équipe de France a remporté la Coupe du monde de football en 1998.
Plus sérieusement, le vrai pilier de notre histoire se trouve un peu plus loin, dans la ville : c’est la basilique, qui était au cœur même de l’abbaye. Quand on approche de l’église, le style gothique de la façade peut paraître un peu massif, un peu lourd, presque de style roman : c’est tout simplement parce que vous avez devant vous la première église gothique de France, construite en 1136. Fortement restaurée au XIXe siècle, elle conserve néanmoins l’aspect voulu par son créateur, l’abbé Suger.
À l’intérieur, en revanche, c’est un enchantement, les colonnades se font aériennes et se dressent vers les voûtes avec une élégante légèreté. Les vitraux jettent des rais d’une lumière chatoyante qui vient jouer avec les formes et les habiller. Ici, le gothique prend de la hauteur, c’est sa phase rayonnante du XIIIe siècle. Là encore Saint-Denis est pionnière, l’appellation « rayonnante » étant due aux rosaces qui ornent le transept.
Dans une pénombre à peine trouée par cette lueur diffuse, l’histoire de France nous attend. Ils sont tous là, ou presque, nos anciens rois. Bien sûr, les restes mortels des souverains ont disparu depuis longtemps, mais nous avons sous les yeux les mausolées construits par les hommes pour célébrer, à travers les siècles, la grandeur de la monarchie. Comment ne pas être saisi par ce champ éperdu de gisants, par ces siècles de royauté immortalisés dans le calcaire ou le marbre ? On les voit, on leur parle, on les touche, couchés pour l’éternité, mais fiers encore. Voici Dagobert, qui a fondé la nécropole, mais aussi Pépin le Bref, Robert le Pieux, Louis X, Charles V, François Ier et les autres… Ils sont plus de soixante-dix à nous observer de leur regard fixe. Les tombeaux ont été profanés à la Révolution, mais la plupart des sculptures ont été miraculeusement protégées.
La crypte de la basilique aussi est un témoignage merveilleux des temps anciens. Le mausolée de saint Denis, premier pensionnaire des lieux, a été dégagé : on ne voit plus que l’emplacement vide de son tombeau. Autour de lui, des traces de la crypte du VIIIe siècle de Fulrad, abbé de Saint-Denis, avec ses petites niches pour poser pieusement les bougies du souvenir. Un peu plus loin, on trouve une crypte du IXe siècle où ont été placés les cercueils de Louis XVI et de Marie-Antoinette après avoir été rapportés de la fosse commune de la rue d’Anjou à Paris. La visite est émouvante, c’est pour moi le lieu le plus symbolique de l’Histoire.
Où ont disparu les dépouilles royales ?
En 1793, la Convention décida de « détruire les mausolées fastueux de la monarchie qui sont à Saint-Denis ». Sous la conduite d’un commissaire en frac noir et chapeau à cocarde tricolore, les ouvriers défoncèrent le caveau des Bourbons. Trois lourdes dalles en barraient l’entrée et les pioches s’attaquèrent au mur épais qui résista plusieurs heures. Enfin, les pierres s’écroulèrent et les ouvriers pénétrèrent dans une longue crypte où reposaient cinquante-quatre cercueils en bois de chêne. Ils furent ouverts systématiquement. La moustache de Louis XIII fit sensation, le visage de Louis XIV apparut étrangement noir ; le corps en putréfaction de Louis XV dégageait une odeur atroce…