La protection de la révérée Geneviève n’est pas inutile, car la bonne sainte semble bien être la seule à se pencher encore sur le destin de Paris. La seule ? Pas vraiment. Tout à fait au nord de l’Europe, un peuple prépare ses bateaux, s’apprête à descendre la mer Baltique, à débouler sur la Manche et à remonter la Seine…
Les féroces appétits de la nation nordique sont aiguisés par le joli foutoir dans lequel sont plongés les États de Charlemagne. Après la mort de l’empereur à la barbe fleurie, son fils Louis le Pieux hérite de l’empire franc. C’est compter sans ses propres fils, trop pressés de régner. Les trois rejetons impétueux déposent leur empereur de père en novembre 833 et se partagent le gâteau. Mais les mesquineries et les jalousies déchirent le cœur des princes rebelles, l’empire se divise inexorablement.
C’est le signal qu’attendaient les guerriers de la Péninsule Scandinave pour venir opérer leurs terribles incursions. Dans un premier temps, ils ne descendent pas trop loin de chez eux, se contentent de piller l’île de Sheppey, au large de l’Angleterre, le port de Dorestad, à l’embouchure du Rhin, et Anvers, petit bourg sur l’Escaut. Les populations terrorisées appellent ces assaillants les « Normands », c’est-à-dire les gens du Nord. On apprend vite à leur donner le nom qu’ils se donnent eux-mêmes : les Vikings.
À la mort de Louis le Pieux, les trois fils du défunt dépècent l’empire. Un accord survient entre eux, signé près de Verdun en 843. Aux termes de ce traité, l’empire est partagé en trois lambeaux rebaptisés Francie pour l’occasion : la Francie orientale affectée à Louis II le Germanique, la Francie médiane donnée à Lothaire Ier avec le titre d’empereur, et la Francie occidentale attribuée à Charles II le Chauve. De la Francie orientale naîtra l’Allemagne et de la Francie occidentale naîtra la France. Quant à la Francie médiane, allant des Flandres à l’Italie du Nord, elle sera largement grignotée par ses deux puissants voisins, mais on peut en partie considérer l’Italie actuelle comme son héritière.
Charles le Chauve est un zélé serviteur de Dieu, il doit d’ailleurs son surnom à la large tonsure qu’il a taillée dans sa chevelure en signe de soumission à l’Église. Pieux, certes, mais pas très combatif. Quand il apprend que les Vikings remontent la Seine, il envoie quelques troupes à leur rencontre et court lui-même se réfugier à Saint-Denis. Derrière les hauts murs du monastère, le roi espère ne pas être trop ennuyé par ces hordes barbares.
Pendant ce temps, les soldats francs longent la Seine et sont atterrés par le spectacle qui s’offre à leurs yeux : sur les eaux, une longue file de bateaux avance lentement au rythme régulier des rames, et des gueules affreuses de dragons colorés marquent, à la proue, la détermination de ces guerriers impitoyables. Inutile d’atermoyer, il n’y a de salut que dans la débandade : les soldats de Charles le Chauve se hâtent de prendre la fuite.
Ce 29 mars 845, jour de Pâques, l’effroi gagne Paris. Aucune défense n’est prévue, rien n’est organisé, et ce ne sont pas les vieux remparts éboulés qui pourront empêcher les Vikings d’envahir la ville. Pour les Parisiens, c’est la déroute. Chacun prend ce qu’il peut, quelques têtes de bétail, des bijoux, un peu de farine, et l’on s’empresse de détaler loin à l’intérieur des terres. Les moines quittent leur monastère, traînant avec eux des ornements d’église et des vases sacrés, mais emportant surtout le plus précieux : les reliques de saint Germain et celles de sainte Geneviève. Précautions inutiles, les Vikings fièrement païens n’ont aucune intention de s’emparer de quelques ossements. Ce qu’ils convoitent avec frénésie, ce sont des richesses, n’importe lesquelles, pourvu qu’elles soient sonnantes et trébuchantes. Pièces d’or, joyaux, parures, tout leur est bon. Ils ne veulent pas occuper des terres, ils ne cherchent pas à imposer leur pouvoir, ils ne souhaitent pas étendre leur influence, ils désirent simplement s’enrichir. C’est leur obsession.