S’ensuit un déroulement historique un peu compliqué et parfois confus. Les fils de Clovis passent leur temps à étrangler leurs neveux qui pourraient réclamer une part de la succession, à se faire la guerre pour agrandir un peu l’héritage, et à se réconcilier sous la pression insistante de la bonne Clotilde, veuve éplorée du roi des Francs.
Puis, comme il faut bien faire le roi, on va trucider quelques petits monarques des environs dans l’intention bien arrêtée d’agrandir les royaumes reçus en héritage. Ainsi, Childebert et son frère Clodomir déclarent la guerre à Sigismond, roi des Bourguignons – ou plus exactement des Burgondes, comme on disait alors. Ils assiègent Autun, mais sur le champ de bataille Clodomir est reconnu à sa longue chevelure. Les Bourguignons lui coupent la tête et la plantent au bout d’une lance.
Ce spectacle hideux redouble la fureur des Francs, excite leur juste colère et leur vaut la victoire. Le triomphe est fêté par un massacre général des soldats vaincus. Quant à Sigismond, sa femme et ses enfants, un traitement particulier leur est réservé : ils sont jetés dans un puits.
La mort de Clodomir inquiète les autres frères : qui sait si les fils du défunt ne vont pas exiger une part de l’héritage ? La reine Clotilde, qui fut l’épouse du défunt Clovis, ne veut pas d’une vengeance familiale, et croit éviter le pire en prenant ses trois petits-fils sous sa protection. Childebert fait venir à Paris son frère Clotaire et l’on trame de sombres complots dans le palais de la Cité…
À ceux qui s’alarment, Childebert et Clotaire tiennent un langage rassurant : cette réunion de deux rois n’aurait pour objectif que d’élever au trône les héritiers de Clodomir. La chère Clotilde paraît soulagée, elle se penche sur les jeunes garçons avec cette bonté que savent si bien manifester les grands-mères :
— Je ne croirai plus que j’ai perdu mon fils Clodomir si je vous vois lui succéder dans son royaume…
Espoir trompeur, car les assassins guettent. Le palais de la Cité devient le théâtre de scènes d’une violence inouïe. Clotaire saisit l’aîné des enfants par le bras, et sans frémir lui plante la lame de son couteau sous l’aisselle. Le cadet, horrifié, se jette aux pieds de Childebert, pleure, crie, geint :
— Au secours, très pieux oncle, que je ne périsse pas comme mon frère !
Childebert a un mouvement d’hésitation. Est-il vraiment nécessaire de trucider toute la maisonnée du défunt Clodomir ? Il se tourne vers Clotaire et tente de l’amadouer…
— Je t’en prie, frère très doux, accorde-moi dans ta générosité la vie de celui-ci…
Quoi ? Épargner cet enfant qui pourrait, un jour, se retourner contre sa famille ? Jamais ! Il faut tuer et tuer encore, éteindre la race de Clodomir.
— Laisse-le-moi, rugit Clotaire, laisse-le-moi, sinon c’est toi qui mourras à sa place !
Childebert, effaré par la rage de son frère, lâche l’enfant. Aussitôt, Clotaire se jette sur le garçon, le poignarde, et achève tranquillement le travail en étranglant soigneusement sa jeune victime.
D’où Saint-Cloud tire-t-il son nom ?
Le troisième fils de Clodomir ; le petit dernier ; Clodoald, parvint à fuir grâce à la complicité de quelques officiers apitoyés. L’enfant avait approché de près l’horreur du pouvoir, alors il décida de couper lui-même sa longue chevelure, marque de sa qualité royale, et choisit de renoncer au monde pour se consacrer à l’adoration de Dieu. Il s’installa dans un village de pêcheurs sur les bords de Seine et y fit construire un monastère… Clodoald est aujourd’hui mieux connu sous le nom de saint Cloud, et le village qui l’a recueilli perpétue son renom.
Après la mise à mort de deux fils de Clodomir, Théodebert, fils de Thierry, bien certain que ses oncles complotent également son assassinat, s’allie à Childebert pour vaincre Clotaire. Les alliances se retournent. Les deux armées familiales sont en présence, mais la vieille Clotilde traîne toujours dans les parages pour tenter de réconcilier sa descendance et l’éloigner de nouveaux projets homicides… Elle prie, elle prie tant qu’un orage terrible éclate sur le champ de bataille. Les combattants sont-ils impressionnés par la fureur du Ciel qui se manifeste pour les séparer, ou bien, plus prosaïquement, n’ont-ils pas envie de s’étriper dans la gadoue ? Toujours est-il que les frères et le neveu arrêtent les hostilités et tombent dans les bras les uns des autres.