Au milieu des maisons, les archéologues ont identifié un espace vide entouré de fossés et de palissades : la présence d’une broche à rôtir et d’une fourchette à chaudron à cet endroit laisse penser qu’il s’agissait d’une place réservée aux banquets pris en commun. L’implantation de Lutèce à Nanterre, dans la boucle fluviale de Gennevilliers – qui était bien plus accentuée qu’aujourd’hui – répondait à une double exigence : une sécurité géographique offerte par le fleuve et par le mont Valérien, mais surtout un double accès à l’eau, source de richesses et axe d’échanges.
Il faut en convenir ; notre cœur de Parisien dût-il en souffrir : la première Lutèce se trouve enfouie dans le sous-sol de Nanterre !
Les Kwarisii, le peuple celte des carrières, sont devenus ici les Parisii gaulois vers le IIIe siècle avant Jésus-Christ, le k celte se transformant en p gaulois. Ils ont tellement navigué sur leurs barques avant de s’implanter en ces lieux que leur origine sera plus tard confondue avec celle d’autres peuples et avec d’autres légendes. En quête de sensationnel pour leurs aïeux, les descendants de casseurs de pierre et de modestes pêcheurs vont habiller leur arbre généalogique de toutes sortes de costumes…
Les Parisii deviendront les descendants d’Isis, déesse égyptienne, ou les enfants de Paris, prince de Troie et fils cadet du roi Priam… Ce prince mythologique avait enlevé Hélène, épouse de Ménélas, entraînant ainsi une guerre terrible entre Grecs et Troyens. Paris échappa aux coups du mari jaloux grâce à la déesse Aphrodite, qui parvint à cacher son protégé dans les brumes nébuleuses des cieux. Mais Troie fut rasée. Hélène retrouva Ménélas auquel on l’avait arrachée, et Pâris s’enfuit sur les bords de la Seine… où il aurait donné naissance à un peuple nouveau. Belle fable, qui ne repose sur rien, mais permit aux successeurs des Parisii de légitimer leur origine prestigieuse et divine. Saint Louis, au XIIIe siècle, encouragea fortement la diffusion de ce mythe, qui perdura tout au long du règne des Capétiens…
— Notre civilisation n’est pas née d’une bande de voyageurs celtes, nous avons la même noble ascendance que les Romains, semblaient répéter les rois francs.
Mais pour l’heure, c’est justement aux Romains d’être les plus puissants, d’imposer leur culture et leur langue, de s’approprier mythes et légendes pour justifier leurs prétentions sur le monde. Non, les Romains ne représentent pas les reliquats d’une quelconque tribu indo-européenne installée dans la future Italie au VIIIe siècle avant Jésus-Christ.
— Nous sommes, assurent-ils, issus de la race des dieux et des héros !
C’est le raisonnement qu’avait suivi jadis Homère avec L’Iliade et L’Odyssée, légitimant, lui, la suprématie des Grecs sur les peuples de la Méditerranée. Ensuite, Virgile écrivant L’Énéide au Ier siècle avant notre ère a suivi le mouvement. Ce récit n’est que le calque de l’œuvre de son illustre prédécesseur, sauf que les héros ne sont plus des Grecs mais des Troyens, et un Troyen en particulier : Énée, fils de la déesse Aphrodite. Après la chute de Troie, il s’enfuit pour fonder Rome, emportant avec lui son fils Iule, aïeul de César (Jules est le nom de famille de celui qu’on surnomme César, il provient de Julia : en latin le i et le j sont confondus). César, descendant des dieux, peut donc prétendre dominer le monde.
En cette année 52 avant notre ère, les Romains sont en passe d’attaquer les modestes Parisii et d’envahir leur territoire des bords de la Seine… Ce peuple gaulois a eu le tort de se rallier, parmi les premiers, à un certain Vercingétorix, chef arverne bien décidé à coaliser les tribus gauloises pour repousser l’envahisseur. Jules César, soucieux de discipliner ces marches du futur empire, envoie sur les bords du fleuve son meilleur général, Titus Labienus.