Pour retrouver l’esprit des premiers chrétiens de Paris, mieux vaut se rendre dans les catacombes, dont l’entrée se situe place Denfert-Rochereau. Vous pénétrez ici dans les profondeurs de la plus grande nécropole parisienne, tout comme le faisait saint Denis.
À l’époque du saint, la nécropole occupait, sous le cardo maximus, l’espace laissé par d’anciennes carrières… Ce lieu était celui des disparus, idéal pour saint Denis et les autres chrétiens pour qui la mort n’est qu’un passage vers le royaume de Dieu avant la résurrection. Car les corps se reposent au royaume des ombres : catacombe ne vient-il pas du latin cumbere, qui signifie « se reposer » ? Cet endroit, que l’on appelait « fief des tombes », a laissé un souvenir durable : une inscription « FDT » (fief des tombes) au 163 bis, rue Saint-Jacques, nous le rappelle.
La nécropole que l’on peut visiter n’a été créée qu’en 1785 par mesure d’hygiène, elle était alors en périphérie de la ville et devait recueillir les ossements des églises de la capitale. Les restes de six millions de personnes y ont été transportés, et la visite est impressionnante. Fouquet, Robespierre, Mansart, Marat, Rabelais, Lully, Perrault, Danton, Pascal, Montesquieu et tant d’autres nous observent…
Mais revenons en arrière. Le chemin qui nous a conduit à l’entrée de l’ossuaire n’est autre que le soubassement de l’antique aqueduc romain apportant l’eau d’Arcueil. Ce chemin nous invite à retourner à l’époque romaine et à saint Denis priant dans la clandestinité et l’obscurité…
Un jour de l’an 257, des légionnaires déboulent dans la petite cathédrale des profondeurs. Ils viennent arrêter ceux qui annoncent la résurrection du Christ : Denis, Rusticus et Éleutherius. Ces agitateurs doivent cesser de fomenter des troubles ! À force de répéter que les idoles de pierre ne sont pas les vraies puissances de l’univers, ces rebelles ébranlent l’esprit des plus forts. Si on laisse parler ces provocateurs, c’est tout un ordre social qui risque d’être bouleversé… Les trois hommes sont immédiatement conduits devant le préfet Sisinnius Fesceninus, représentant à Lutèce de l’empereur Valérien. Le préfet, comme son maître à Rome, ne supporte pas le désordre engendré par les chrétiens.
Au temps du paganisme, l’empereur est objet de vénération et les chrétiens qui ne pratiquent pas ce culte de la personne impériale sont persécutés. Pour eux, il faut rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu. Les chrétiens ne s’intéressent pas au temporel, c’est le céleste qui les préoccupe. Du coup, pour l’empereur, ils sont des mauvais sujets, au loyalisme douteux, qui plus est dangereux pour l’ordre social, car ils refusent la religion officielle et ne reconnaissent que Jésus fils de Dieu.
Le préfet Fesceninus est prêt à sévir avec rigueur, mais tient aussi à faire preuve de magnanimité envers les repentis. Il donne donc le choix à ses prisonniers : la mort ou la soumission à l’empereur.
— Nul ne peut me soumettre à l’empereur, car le Christ règne, réplique Denis.
Langage ésotérique auquel Fesceninus ne comprend rien. Il convient de faire taire les délires de cet énergumène. Et pour lui apprendre à penser avec plus de justesse, ordre est donné de lui couper la tête.
Dans leur prison, en attendant l’exécution de cette sentence, Denis et ses deux condisciples poursuivent leur sacerdoce. Ils continuent tant bien que mal à prêcher le grand mystère de la Rédemption de l’Humanité et célèbrent conjointement une dernière messe derrière les barreaux de leur geôle.
Sans tarder, on tire les coupables de leur cellule, et on les traîne sur la plus haute colline qui domine Lutèce. Il faut que le supplice des condamnés soit vu de loin ! On dresse une croix sur laquelle on noue Denis, et on lui tranche la tête. Mais le corps sans vie est transfiguré par l’apparition du Sauveur, et le corps s’anime, et le corps se libère de ses liens, et le corps se met en marche… Denis prend sa tête entre ses mains, va la laver à une fontaine et redescend la colline de son martyre. Il marche deux lieues et demie et, enfin, confie sa propre tête à une bonne Romaine nommée Catulla. Là, il s’écroule. Respectueuse, Catulla enterre le pieux évêque à l’endroit même où il s’est effondré. Et sur cette sépulture un blé d’un blond unique pousse bientôt, comme un dernier miracle.