N’empêche : les troupes sont bien armées, bien alignées, prêtes à se battre. Ce serait dommage de gâcher… Allez, c’est dit : on marche sur l’Espagne où se terrent les Wisigoths, il y aura sûrement quelques villes à assiéger !
Après avoir occupé Pampelune, Childebert et Clotaire, les frères réconciliés, s’en prennent à Saragosse, mais la ville résiste, se défend, et l’armée franque est décimée. Pour Childebert, le moment est venu de lever le camp et de regagner Paris.
En cette année 542, le roi ne rentre pas pour autant en vaincu dans sa capitale. En effet, de cette expédition au bout de l’inutile il rapporte deux précieuses reliques : une croix d’or et une tunique qui ont appartenu à saint Vincent, martyr espagnol du IIIe siècle, torturé à mort lors des persécutions antichrétiennes sous l’empereur Dioclétien. Roi barbare et plutôt cruel, Childebert n’en éprouve pas moins un grand respect pour la religion et voue une amitié sans borne au bon abbé Germain, son conseiller et le protecteur des pauvres.
Childebert n’oublie pas la participation active de l’Église et de Rome dans l’essor du royaume franc. Avec l’effondrement de l’empire, l’Église et ses évêques sont devenus les derniers remparts administratifs et sociaux de la Gaule. Les Francs avaient tout intérêt à s’appuyer sur ces réseaux. Ils se sont faits chrétiens, pour ces athées ce n’était pas la mer à boire… Paris déjà vaut bien une messe.
En plus, l’ordre et l’organisation de l’Église ont tout de suite séduit ces tribus franques extrêmement disciplinées et moins exaltées que les autres envahisseurs gagnés, eux, par l’arianisme fortement combattu par Rome, un christianisme très oriental et grec, proche de la philosophie platonicienne.
Bref, d’un commun accord, Rome s’est placée dans la main des Francs, la Gaule franque est devenue fille aînée de l’Église tout en bénéficiant de son influence auprès du peuple. La Gaule nouvelle se construit dans la ferveur religieuse…
— Childebert, tu dois construire une abbaye pour abriter les saintes reliques rapportées de Saragosse, décrète l’abbé Germain.
Une abbaye qui, bien sûr, serait administrée par Germain lui-même, première marche d’une ascension qui allait faire de ce modeste ecclésiastique un puissant évêque d’abord, un saint vénéré ensuite. Alors, lentement, s’élève hors les murs de Paris cette abbaye-reliquaire.
Parallèlement, le roi s’entremet auprès du pape pour faire sacrer Germain évêque de Paris. Le bon abbé, modeste et contrit, cherche à en dissuader et le pape et le roi : sa vie de contemplation, son amour des pauvres et quelques avis distillés aux puissants suffisent à son bonheur terrestre. Mais l’Esprit-Saint le visite en songe et vient lui révéler que la puissance divine exige ce sacrifice ! Il accepte donc, et se voit promu à la tête de l’Église parisienne.
Le roi mérovingien, qui se considère comme le bras séculier de l’Église, veut pour son prélat une cathédrale à la mesure de la capitale. Pour bien montrer son attachement et sa soumission, Childebert se met en tête de faire construire un édifice splendide inspiré par la basilique Saint-Pierre de Rome.
À la pointe orientale de l’île de la Cité, se trouvait à l’époque romaine un monument à Jupiter, dont les vestiges sont conservés au musée de Cluny. Avec la chrétienté triomphante, il est juste et bon que le vieux temple ruiné soit remplacé par le plus beau des sanctuaires. Puisque la paix chrétienne a succédé à la paix romaine, le bâtiment nouveau doit s’ancrer sur les anciens remparts romains. Ce détournement des vieux murs sera le signe tangible, visible, solide, du pouvoir militaire romain supplanté par un pouvoir spirituel plus puissant encore.