Au terme d’un éreintant parcours, la lourde forme du château de Saint-Germain-en-Laye surgit dans le paysage perlé de givre, sombre navire aux tours crénelées émergeant d’une mer figée de froidure. À l’intérieur, rien n’était prêt pour les hôtes royaux : selon l’usage, les meubles avaient été enlevés pour l’hiver. Les salles étaient nues, glacées. Seuls le roi, son frère, la reine et le cardinal Mazarin trouvèrent de modestes lits de camp, tous les autres en furent réduits à s’étendre sur de rudimentaires paillasses posées à même le sol.
Dans les couloirs encombrés d’une foule désemparée et de méchante humeur, on pouvait croiser une partie de la noblesse du royaume. Les courtisans, nippés de hardes défraîchies, échevelés, inquiets, pleuraient le confort perdu de leur logis parisien et échangeaient en confidence les dernières nouvelles de la capitale. Là-bas, disait-on, la nouvelle de la fuite royale avait provoqué la stupéfaction. Malgré son jeune âge, Sa Majesté était considérée comme le père de ses sujets, le protecteur de la nation, le souverain de droit divin dont la seule présence en sa bonne ville rassurait et réconfortait. Lui absent, la peur s’installait, peur de l’inconnu, peur des calamités à venir. De son côté, le Parlement débattit interminablement sur l’attitude à observer. Finalement, il se décida à envoyer une députation à Saint-Germain pour implorer la régente de ramener le roi à Paris. Mais quand ces Messieurs se présentèrent au château, la reine refusa sèchement de les recevoir, sans même tenter de sauver les apparences et d’épargner les susceptibilités.
Pendant ce temps, l’Hôtel de Ville était devenu un centre mondain où bourgeois insurgés et nobles frondeurs venaient parader ! Fêtes et farandoles animaient les salons et les violons faisaient danser une société plus avide de plaisirs que de combats. Mais il fallut aussi que les Parisiens puissent marquer leur hargne. Ils tournèrent un canon vers les murs de pierre de la prison de la Bastille et tirèrent six obus, qui ne firent pas grand mal aux lourdes murailles. Cet « exploit » accompli, ils investirent sans peine la forteresse. Afin de célébrer cette victoire fondamentale, belles dames et grands messieurs vinrent en foule vider consciencieusement les bouteilles accumulées dans les caves de la prison.
La bouderie de la régente contre la capitale dura sept mois, puis elle retrouva le Palais-Royal.
Deux ans plus tard, nouvelle humiliation à Paris. Dans la nuit du 9 au 10 février 1651, les princes frondeurs, épouvantés à l’idée de voir Anne d'Autriche et son fils le roi quitter à nouveau la capitale, firent fermer les portes de la ville et mobilisèrent la milice bourgeoise. Cette nuit-là, personne n’entra ni ne sortit de la cité, mais un doute surgit tout de même : la reine et le roi étaient-il encore dans les murs ? N’avaient-ils pas déjà décampé ? Afin de rassurer tout le monde, Gaston d’Orléans, l’oncle du petit Louis, envoya le capitaine des gardes suisses au Palais-Royal avec mission de se faire montrer la personne du roi…
C’est vrai, la souveraine était bien décidée à quitter Paris, elle craignait le retour de la Fronde, la révolte populaire, l’emportement des foules. Malheureusement pour elle, la survenue du garde suisse l’empêcha de sortir du palais. L’enfant-roi, qui était déjà tout habillé et botté, dut se coucher à la hâte et feindre le plus profond sommeil, les couvertures rabattues jusqu’au menton pour dissimuler son accoutrement… On ouvrit les rideaux du lit, comme pour une représentation théâtrale, et le Suisse, conscient de l’important devoir qu’il avait à accomplir, glissa un œil dans la chambre royale. À son profond contentement, il aperçut le jeune monarque… Mais ce n’était pas suffisant : devant le palais, la multitude battait le pavé et prétendait, elle aussi, voir de ses yeux le jeune Louis XIV. Il fallut en passer par là… Silencieusement, une foule mêlée d’ouvriers, de portefaix, de lavandières aux visages inquiétants passa devant le lit royal, observant l’enfant prétendument endormi. Quelques bonnes dames se signèrent devant ce garçon aux boucles blondes et murmurèrent des prières à son intention, avant de retourner à la rue, satisfaites et rassurées.