L’officier romain s’avance à la tête de quatre légions et d’une troupe de cavalerie. Du côté des Lutéciens, c’est l’affolement ! Comment va-t-on se défendre contre la puissance surgie de la louve ? On fait précipitamment venir de Mediolanum Aulercorum – aujourd’hui Évreux – un vieux chef que tout le monde appelle respectueusement Camulogène, ce qui signifie « fils de Camulus »… fils du dieu gaulois de la Guerre. Avec un surnom aussi martial, le bonhomme devrait parvenir à assurer fièrement la sécurité de la ville. En tout cas, les habitants lui confient unanimement leur destin : à lui d’organiser la riposte, à lui de repousser l’ennemi.
Mais que peut faire le bon vieillard ? Il est placé à la tête d’une petite armée mal entraînée dont les soldats, plus courageux qu’efficaces, s’apprêtent à combattre nus jusqu’à la ceinture, armés seulement de quelques haches et de lourdes épées coulées dans un mauvais métal…
Labienus et ses légionnaires avancent inexorablement. Camulogène croit pourtant en sa bonne étoile et prépare la défense. Ce n’est pas dans la ville qu’il attend les Romains, mais aux abords, dans un bivouac dressé au milieu des marais, au cœur de la zone humide qui enserre Lutèce.
Bientôt, Labienus fait face au camp improvisé des Gaulois. La confrontation est inévitable. Les Romains, parfaitement disciplinés, casqués d’airain et cuirassés d’acier, progressent en rangs serrés. Mais ces légionnaires, guerriers des sols fermes, aux tactiques rompues dans les vastes étendues des plaines, se trouvent vite déstabilisés par ces espaces mouvants entre terre et eau. Ici, les barques s’embourbent et les hommes se noient ! Quant à la cavalerie, elle reste hors jeu : les sabots des chevaux collent à la boue.
Les Gaulois, eux, sont à l’aise sur cette glèbe instable… Ils se ruent sur les troupes ennemies, et les fiers soldats de Rome parviennent mal à se défendre contre cette nuée désordonnée. Jusqu’à la tombée de la nuit, les combattants s’étripent et font rougir l’eau stagnante des marais. Mais Labienus sait qu’il ne parviendra pas à forcer le passage. Finalement, il fait sonner la longue plainte du clairon et ordonne la retraite.
À Lutèce, la joie éclate ! La ville est sauvée, croit-on. L’envahisseur repoussé, espère-t-on. De son côté, fou de rage, Labienus veut se venger de ces Gaulois indomptables et, poursuivant le long des berges de la Seine, s’empresse d’aller attaquer Metlosedum – l’actuel Melun –, une autre cité établie au creux d’un méandre du fleuve.
Cette ville est en manque d’effectifs : la plupart des hommes valides ont rejoint les troupes de Camulogène à Lutèce… Piètre victoire des légionnaires ! Ils ne trouvent devant eux que des femmes et quelques vieillards, petite foule qui tente de s’opposer, mains nues, à des guerriers parfaitement entraînés. Il n’y a même pas de bataille, on n’assiste à aucun affrontement impétueux, aucune chevauchée intrépide, on voit seulement couler une rivière de sang dans une ignoble débauche de gorges tranchées et de poitrails transpercés. Les Romains défilent, enfonçant des lances dans le ventre de ceux qui font mine de s’opposer à l’ordre nouveau, pillant les réserves de blé, renversant les autels des divinités, saccageant quelques riches habitations. Et puis ils s’en vont, laissant une ville dévastée.
Mais Labienus veut sa revanche contre les Lutéciens. Il ne peut pas reparaître devant César avec au front la honte de la défaite. En pleine nuit, il réunit ses officiers sous sa tente et leur tient le langage viril d’un général romain :
— Nul renfort ne peut être espéré, c’est à nous et à nos quatre légions d’écraser les Gaulois et de prendre Lutèce. Vous triompherez des Barbares pour la gloire de Rome, et Rome vous couronnera de lauriers…
Aussitôt, branle-bas dans le camp romain. Les troupes longent la rive droite de la Seine, contournent la zone marécageuse, se dirigent vers le nord, dépassent la boucle de la Seine qui abrite Lutèce, et piquent brusquement vers le sud pour se retrouver face à la ville. Pendant ce temps, une petite flottille romaine d’une cinquantaine de barques parvient à son tour à la hauteur de la capitale des Parisii.