Au palais de la Cité, le dauphin Charles, âgé de dix-huit ans, assure la régence et tente de s’imposer, mais les Valois sont largement discrédités par leurs défaites militaires. Étienne Marcel et l’évêque Robert Le Coq imposent une ordonnance par laquelle la monarchie serait contrôlée par les États généraux, réunion de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie.
À Londres, où il est toujours retenu, Jean le Bon fulmine et fait savoir qu’il interdit l’application de cette ordonnance. En même temps, ou presque, le roi prisonnier signe avec ses geôliers un traité honteux qui cède à l’Angleterre la Guyenne, la Saintonge, le Poitou, le Limousin, le Quercy, le Périgord, le Rouergue et la Bigorre, promettant de surcroît une rançon qui s’élève désormais à quatre millions d’écus… Non seulement le roi refuse de voir la monarchie placée sous surveillance, mais il brade une bonne partie du royaume ! Cette folie provoque l’indignation…
Quand Regnault d’Arcy, l’avocat du roi, revient d’Angleterre porteur de ce traité infâme, Étienne Marcel sait que l’heure de l’action a sonné. Au matin du 22 février 1358, il parvient à réunir trois mille hommes armés dans le prieuré de Saint-Éloi, sur l’île de la Cité, à quelques pas de la Sainte-Chapelle. Le prévôt harangue la multitude. Il parle de Paris, Paris que l’on s’apprête à livrer à des bandes voraces de gueux qui tournent autour des remparts pour faire main basse sur les richesses de la capitale… Que font les soldats du dauphin contre ces hordes de brigands, que font les alliés du dauphin pour vaincre la misère de la ville ? Galvanisés par ces paroles, les Parisiens laissent éclater leur fureur. Ils en veulent au pouvoir ? Mais il est là, le pouvoir, inerte et mou, juste en face, de l’autre côté de la rue, dans le palais de la Cité où se terrent le prince et les nobles…
La foule bouillonnante traverse la rue et se dirige vers le palais. Soudain, on aperçoit un homme qui tente de s’enfuir : c’est Regnault d’Arcy, celui qui a apporté d’Angleterre le traité signé par le roi ! Il marche vite, le Regnault, il a peur, il court, il s’engouffre dans la boutique d’un pâtissier… Quelques hommes le rejoignent et l’égorgent entre les plateaux de gâteaux et les sacs de farine.
Étienne Marcel suivi de son armée improvisée marche maintenant vers le palais. Entouré de ses hommes, le prévôt entre dans la bâtisse, monte vers les appartements du dauphin, force la porte… Le dauphin Charles semble à peine surpris par cette incursion et un débat rageur s’engage entre le jeune homme et le prévôt. Étienne Marcel reproche au fils du roi de ne rien faire pour maintenir l’ordre contre les bandes de brigands qui parcourent les faubourgs, Charles répond que ceux qui disposent des finances, c’est-à-dire la prévôté, doivent prendre leurs responsabilités…
La discussion devient si violente que deux maréchaux, Jean de Conflans et Robert de Clermont, tentent de s’interposer. Ils n’ont guère le temps de se perdre en arguties, ils sont tous deux percés de lames par les alliés du prévôt. Le sang gicle et éclabousse de taches écarlates la tunique claire du dauphin… Les gens du palais, apeurés, n’ont rien de plus pressé que de prendre la fuite tandis que Charles supplie le prévôt de bien vouloir l’épargner.
— Sire, vous ne risquez rien, dit Étienne Marcel. Mes hommes sont bienveillants car ils sont venus pour votre profit…
En prononçant ces mots, Étienne Marcel retire son bonnet bleu et rouge – les couleurs de Paris – et en coiffe le dauphin, signe de la protection accordée par la ville au jeune prince… Et puis ? Rien. La révolte n’est pas une révolution. Sans théoricien, sans doctrine, sans projet, la colère mène à une impasse. Éblouis par leur propre audace, le prévôt et ses hommes s’estiment satisfaits. Ils se hâtent de quitter le palais pour aller pavoiser place de Grève avec leurs partisans. Le peuple de Paris se saisit d’une partie du pouvoir. Le Tiers-État est né.