Chapitre 26
Tout le monde a des objectifs. Certains de ces objectifs sont transparents et évidents aux yeux de tous ceux qui veulent bien y prêter attention. D’autres sont plus confidentiels, de ceux que l’on ne partage qu’avec ses amis ou ses associés les plus proches.
D’autres encore sont d’obscurs secrets qui, espère-t-on, n’émergeront jamais en pleine lumière.
Mais au final, il est inévitable que même ces objectifs les plus enfouis se manifestent un jour pour peu qu’on veuille les atteindre. Ils doivent être révélés afin que quelqu’un puisse les voir, les entendre ou offrir son soutien.
Tous ceux qui révèlent leurs objectifs au grand jour doivent se préparer à recevoir approbation ou rejet. Et se tenir prêts à en assumer les conséquences.
Quelles qu’elles soient.
Lorsqu’ils étaient à bord du Chimaera, Thrawn avait dit que Paeragosto n’était pas encore une zone militaire à part entière.
Si tel était le cas, Arihnda n’était pas curieuse d’en visiter une vraie.
Les contrôles commençaient dès le spatioport, où tous les passagers quittant le transport devaient présenter une pièce d’identité et répondre à quelques questions portant sur les raisons de leur séjour sur Batonn en général, et dans Paeragosto en particulier. Il y avait ensuite les soldats de la Force de Défense de Batonn et les troupes de la Marine qui avaient installé un barrage sur la route principale reliant la ville au complexe minier de Creekpath. Ils n’avaient apparemment pas encore complètement bouclé le secteur, mais Arihnda se doutait que ce n’était qu’une question de temps et de logistique. Pour finir, un poste de contrôle avait été placé à l’orée du bouclier de Creekpath, gardé quant à lui par ce qui ressemblait à un groupe hétérogène d’insurgés, de mécontents, de personnes en quête de frissons, de mercenaires uniquement intéressés par l’argent et d’apprentis mercenaires.
Mais les papiers que leur avait fournis Yularen – affichant dans le cas d’Arihnda une partie de son vrai nom, mais une fausse adresse sur Batonn, et dans celui de Gudry une identité totalement fictive – semblèrent faire l’affaire, aidés en cela par un baratin extrêmement convaincant de l’agent de la BSI. Arihnda s’était attendue à devoir se charger seule de cet aspect de la mission. Vraisemblablement, Yularen n’avait pas surestimé les capacités de Gudry.
— Vous vous en êtes vraiment bien tirée, Gouverneur, l’encouragea-t-il dans un murmure alors qu’ils se dirigeaient vers une rangée de véhicules à quatre places à l’intérieur du dernier poste de contrôle. Mieux que ce à quoi je m’attendais.
— Ravie de vous convenir, lui chuchota-t-elle à son tour. Nous commencerons par la maison de mes parents, puis nous irons sur le site minier pour y jeter un coup d’œil.
— On n’avait besoin de vos parents que pour entrer. On est entrés, non ?
— Nous n’avons fait que franchir les barrages, le corrigea Arihnda. Nous ne sommes pas encore dans le complexe minier en lui-même.
— C’est pas un souci. Et puis, je veux me faire une idée de ce qui se passe avant la tombée de la nuit.
Arihnda serra l’avant-bras de l’agent.
— D’un : ne faites pas l’imbécile, dit-elle en baissant la voix. Mon père est contremaître et ma mère administratrice. Ces visages familiers nous permettront de passer les barrages et les patrouilles de sécurité bien plus facilement que les fanfaronnades d’un agent du BSI. De deux : un site minier est autant éclairé la nuit que le jour. Les ombres ne font que se déplacer autrement. Et de trois : comme les Impériaux ont pour habitude d’attaquer leur ennemi dans le noir, le crépuscule aura tendance à attirer l’attention des insurgés vers l’extérieur. La nuit, c’est exactement ce qu’il nous faut.
Gudry fit quelques pas en silence.
— Bien, grommela-t-il. On va faire à votre façon. Pour l’instant.
— On va faire à ma façon, approuva Arihnda. Tout du long.
Sa seule crainte était que ses parents aient changé d’emploi du temps. Cela aurait impliqué de partir à leur recherche ou même de risquer un appel comm. À son grand soulagement, sa mère ouvrit la porte à la seconde sonnerie.
— Oui ? dit-elle prudemment.
Son regard passa de l’un à l’autre, puis se fixa sur Gudry.
— Que puis-je faire pour vous ?
— Vous pourriez commencer par m’embrasser, suggéra Arihnda.
Elainye eut un mouvement de recul et son regard se reporta aussitôt sur Arihnda. Après un court instant de confusion, elle écarquilla les yeux.
— Arihnda ! s’écria-t-elle en s’avançant pour enlacer sa fille. J’ignorais totalement que tu devais venir ! Qu’as-tu fait à tes cheveux ?
— Oh, un simple coup de tête, mère, répondit Arihnda en lançant un regard victorieux à Gudry par-dessus l’épaule d’Elainye.
L’agent lui avait assuré qu’une longue perruque blonde par-dessus ses cheveux courts noirs et des lentilles sombres sur ses yeux bleus ne tromperaient personne. Manifestement, c’était Arihnda qui avait eu raison.
— J’ai entendu parler de l’agitation qui régnait ici, et j’ai voulu m’assurer que père et vous alliez bien.
— Tout va bien, répondit Elainye sans lâcher sa fille. Même si cela pourrait changer à tout moment.
Elle recula et tendit la main à Gudry.
— Je suis Elainye Pryce.
— Mattai Daw. Arihnda m’a tellement parlé de vous que j’ai l’impression de déjà vous connaître !
Arihnda fit la moue. En fait, tout ce que Gudry savait de ses parents, il l’avait tiré des bribes de conversations partagées à bord du transport, un dialogue auquel ils avaient consacré quinze minutes tout au plus de leur temps passé ensemble. Le reste du voyage depuis Dennogra s’était déroulé dans le silence étant donné que Gudry s’était plongé dans des schémas, des cartes et les dernières notifications du BSI.
— Il faut que nous parlions, mère. Père est là ?
— Oui, bien sûr. Entrez, entrez.
Une minute et une tournée d’embrassades plus tard, ils étaient tous les quatre assis dans le salon.
— Alors, qu’est-ce qui se passe, là-dehors ? demanda Talmoor. Es-tu venue ici pour convaincre le Gouverneur de mettre de l’ordre dans ce bazar ?
— Malheureusement, le Gouverneur Restos n’écoute pas grand-monde, dit Arihnda en inspectant son père du regard.
Il avait beaucoup vieilli depuis leur dernier entretien par holo-écran ; il avait le visage plus ridé, les yeux creusés par les soucis, et il s’était voûté.
— Pour tout dire, reprit-elle, je suis là de façon tout à fait officieuse, ce qui explique la perruque et les lentilles. En plus de m’assurer que vous alliez bien, je suis venue vous demander de l’aide. Un ami de Mattai se trouve peut-être à l’intérieur du site minier, et nous avons besoin de votre aide pour le retrouver et le faire sortir de là.
— Oh, il est là, ça ne fait aucun doute, intervint Gudry en mêlant de façon parfaite l’inquiétude et l’embarras. C’est tout à fait son genre de s’embarquer dans un truc comme ça sans réfléchir. Je dois le trouver et le sortir de là avant que ça tourne mal.
— Attendez juste un petit instant, dit Talmoor. Tout d’abord, personne dans la mine n’y est autrement que de son plein gré. Ils se battent pour les droits de la population face à un gouvernement répressif et dangereux.
Arihnda sentit son estomac se nouer. Thrawn s’était demandé quel parti ses parents soutenaient dans le conflit. Sur le moment, Arihnda avait instinctivement défendu leur loyauté. Mais entendre son père parler de la sorte…
— Je crois que vous généralisez un peu, l’interrompit-elle. L’Empire a de multiples facettes.
— C’est peut-être le cas sur Coruscant, dit Elainye. Sur Lothal aussi peut-être. Pas sur Batonn. Ici, le Gouverneur et ses amis sont… Eh bien, je n’ai pas peur de le dire. Ils sont corrompus, Arihnda. Totalement corrompus. Et la galaxie a besoin de l’entendre.
Arihnda relâcha son souffle. Ce n’était donc qu’un problème de politique locale ! Elle pouvait se charger de cela.
— Je m’en occuperai quand je reviendrai sur Lothal, promit-elle. Je peux déposer une requête auprès du Sénat, voire même auprès de l’Empereur. Il existe des recours pour ce genre de problèmes.
— Oui, en effet, dit gravement Talmoor. C’est ce qu’on appelle la révolution. Je comprends votre inquiétude pour votre ami, Mattai, mais il n’y a rien que vous puissiez réellement faire.
— Et je suis tout à fait prêt à l’accepter, dit Gudry. Mais j’ai besoin de l’entendre de sa bouche. J’ai entendu bien trop d’histoires au sujet de personnes contraintes de se battre pour des groupes d’insurgés ou de pirates, et oui, je sais que la plupart sont inventées. Mais j’ai besoin…
Il s’interrompit, déglutit avec peine et conclut :
— … j’ai juste besoin de l’entendre de sa bouche.
— Donc on va y aller, dit Arihnda. Vous n’avez pas besoin de nous emmener si vous n’en avez pas envie, mais ça nous aiderait si vous pouviez prévenir quelqu’un que vous connaissez sur place.
Talmoor soupira.
— Vous ne passerez jamais le barrage sans moi. Bon, d’accord, je vous emmène. Comment s’appelle votre ami ?
— Qui sait ? répondit Gudry. Enfin, disons qu’il n’a jamais été du bon côté de la loi, si vous voyez ce que je veux dire. Je l’ai connu sous le nom de Blayze Jonoo, mais je ne sais pas s’il utilise cette identité ici.
— Pratique, dit Talmoor avec une pointe de sarcasme. Est-ce qu’au moins vous seriez capable de le reconnaître ?
— Absolument, lui assura-t-il. Et c’est un électronicien d’armes, ce qui pourrait nous fournir un indice sur l’endroit où il travaille.
— D’accord, dit Talmoor en attrapant sa veste accrochée à un portemanteau dans l’entrée. On y va pour jeter un rapide coup d’œil. Mais dès qu’on nous dit de partir, on part. C’est clair ?
— Très clair, acquiesça Arihnda. Avant qu’on parte, j’ai besoin d’aller aux toilettes.
— D’accord, tu te souviens où elles sont ?
— À moins que mère et vous les ayez déplacées, répondit-elle avec un petit sourire. Je reviens tout de suite.
C’est bien ce qu’elle comptait faire. Mais sur le chemin des toilettes se trouvaient la cuisine et le sac à main de sa mère qu’elle avait pour habitude de suspendre à un crochet derrière la porte. Discrètement, Arihnda ouvrit la poche latérale, espérant ardemment que sa mère n’ait pas changé d’unité comm depuis sa dernière visite.
Mais sa mère avait des habitudes bien ancrées, et au grand soulagement d’Arihnda, l’unité comm était toujours la même. Sans perdre une seconde, elle l’échangea avec un appareil de même modèle qu’elle avait rapporté de Coruscant puis poursuivit sa route jusqu’aux toilettes.
Il aurait été plus simple d’emprunter l’unité comm sans se fatiguer à la remplacer. Mais elle n’osait pas prendre le risque. Si sa mère remarquait sa disparition, elle pourrait utiliser un bip de localisation pour remettre la main dessus, et cela pourrait créer une situation délicate au mauvais endroit et au mauvais moment. De cette façon, à moins qu’Elainye décide de passer un appel, la substitution de son unité comm passerait inaperçue.
Gudry parlait encore de son ami disparu lorsque Arihnda les rejoignit.
— Prête ? demanda Talmoor.
— Prête, lui confirma-t-elle. Merci, père.
— Je t’en prie, lui répondit Talmoor avec chaleur. Très bien, allons-y.
*
La ligne du terminateur avait dépassé la ville de Paeragosto. Le ciel au-dessus du bastion ennemi de Creekpath s’assombrissait à l’approche de la nuit.
Le moment était venu.
Le bureau de Thrawn était silencieux, baigné de la même lumière crépusculaire que celle qui éclairait les insurgés en contrebas. Des hologrammes d’art batonnais flottaient tout autour de lui, tels des spectres du passé, chaque œuvre parlant de la philosophie, des comportements et des modes de pensée de son peuple et de sa culture. Forme et mouvement, couleur et texture, style et matière… Tout lui parlait. Même de simples facteurs comme le genre auquel appartenait l’œuvre ou la valeur qui lui était attribuée fournissaient des indices sur la façon dont le peuple pouvait agir et réagir en temps de guerre.
Hélas, dans ce type d’insurrection, les schémas n’étaient pas aussi clairs que dans le cas d’un simple soulèvement planétaire. La plupart des insurgés sous le commandement de Nightswan étaient de Batonn, mais beaucoup d’autres avaient voyagé jusque-là pour rejoindre leur cause. Ces éléments extérieurs dénaturaient et dissolvaient les schémas mis en lumière par l’art.
Dans l’idéal, il aurait pris le temps de procéder à une étude plus posée et plus poussée de l’ennemi. Mais il n’avait plus le temps. L’île de Scrim avait été une diversion, quelque chose de bruyant et d’ostensible, dont Nightswan s’était servi pour retenir l’attention des Impériaux pendant qu’il réunissait ses forces et son armement sous le bouclier protecteur de Creekpath. Il espérait très probablement que la reconquête de l’île conduise l’Empire à penser que Batonn ne représentait plus une menace, ce qui lui laisserait ainsi le temps de poursuivre ses préparatifs après leur départ.
Mais, pour une fois, Nightswan s’était trompé dans ses calculs. Son temps était venu, et l’insurrection de Batonn touchait à sa fin, elle aussi.
Il appartenait à Thrawn de faire tout ce qui était en son pouvoir pour s’assurer qu’elle s’achève de la meilleure façon possible.
Le système comm de son bureau était déjà réglé sur la bonne fréquence.
— Oui ? répondit une voix de femme.
— Ici l’amiral Thrawn à bord du DSI Chimaera. Je souhaiterais parler à Nightswan.
Il y eut un silence.
— Excusez-moi ? dit la femme.
Sa voix manifeste de l’incrédulité et de la surprise.
— Ici l’amiral Thrawn, répéta-t-il. Veuillez informer Nightswan que je souhaite m’entretenir avec lui.
Cette fois, le silence fut plus long.
— Un instant.
Quarante secondes passèrent avant que le système comm s’active à nouveau.
— Ici Nightswan, dit une voix familière.
Son ton exprime de la prudence, mais peu de surprise.
— Comment avez-vous obtenu cette fréquence ? demanda-t-il.
— Elle faisait partie de toutes celles contenues dans les archives du cargo que le lieutenant-colonel Vanto et moi-même avons subtilisé au nomade.
— Ah, répondit Nightswan.
La prudence dans sa voix se teinte légèrement d’humour noir.
— Bien imprudent de la part de celui qui a piloté ce vaisseau en dernier. Bon. Avec n’importe qui d’autre, je pourrais m’attendre à un ultimatum ou du moins à des railleries triomphalistes. Mais cela ne vous ressemblerait pas vraiment. Alors, pourquoi m’appelez-vous ?
— Je souhaite vous parler.
— Vous le faites.
— Ensemble, face à face, sans obstacle entre nous.
Un rire discret se fait entendre.
— Certainement. Voulez-vous venir dans ma forteresse lourdement armée, ou dois-je me rendre dans la vôtre ?
— Il y a un champ à deux kilomètres au nord-est des bâtiments de Creekpath. Il contient une petite chaîne de collines qui empêchera toute observation fortuite, mais néanmoins accessible depuis votre base.
Un autre silence.
— Vous êtes sérieux, hein ? demanda Nightswan.
Sa voix dénote de la confusion.
— Vous voulez vraiment que j’aille là-bas ? poursuivit-il. Hors de la protection du bouclier ?
— Si ça peut vous mettre à l’aise, j’arriverai le premier, proposa Thrawn. Comme vous le savez, j’ai en ma possession un cargo civil qui ne devrait pas éveiller les soupçons.
— Vous aurez des gardes, évidemment.
— Je leur ordonnerai de rester avec le cargo et hors de portée de tir. Je vous assure que je ne souhaite pas votre mort.
— Uniquement mon arrestation ?
— Vous vous méprenez. La valeur que vous avez pour moi perd tout intérêt si je vous arrête. Et plus encore si vous mourez.
— Vous avez piqué ma curiosité, dit Nightswan.
De la prudence, mais aussi un intérêt croissant.
— Quelle est donc ma valeur à vos yeux ?
— Je ne vous en parlerai que face à face, répondit Thrawn. Je refuse d’aborder ce sujet dans une conversation comm.
— Je vois, dit-il avant de marquer une autre pause. Vous prétendez ne pas vouloir me tuer. Cela n’est pas pour me déplaire. Mais qui vous dit que je ne vais pas vous tuer ?
— Parce que vous attachez de l’importance à la vie. Parce que moi seul peux vous garantir que les civils amassés dans votre bastion ne seront pas massacrés. Si d’autres menaient l’attaque à ma place, ils tueraient probablement tout le monde en détruisant tout sur leur passage. Ce n’est pas ce que vous voulez.
— Ce n’est pas moi qui ai demandé aux civils de venir ici, protesta Nightswan.
Il exprime une douleur récente, de la colère ainsi que de la rancœur.
— Pour certains, je n’y pouvais rien, ceux dont les maisons se trouvent sous le bouclier. Mais les autres… Je leur ai demandé de ne pas venir. Mais nous n’avons pas pu les empêcher de nous rejoindre.
— Je comprends. Et je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour prévenir toute mort inutile. C’est pourquoi je sais que vous me laisserez regagner le Chimaera en paix.
Cette fois, le silence dura plus longtemps, près de onze secondes. Une analyse de son expression et de sa posture aurait été utile. Mais la connexion n’était qu’audio.
Si Nightswan acceptait l’invitation, une analyse plus complète serait alors faisable.
— Comme je vous l’ai dit, je suis curieux… Eh bien, pourquoi pas ? Le champ situé au nord-est. Quand ?
— J’y serai dans une heure, dit Thrawn. Rejoignez-moi quand il vous plaira.
— Une heure, dit Nightswan. J’y serai.
*
Il fallut à Talmoor faire toute la démonstration de son bagou, mais finalement, Arihnda, Gudry et lui furent autorisés à traverser le périmètre extérieur de la mine. Il n’y avait aucun véhicule en vue, mais Talmoor leur assura que la partie centrale du complexe n’était plus qu’à un kilomètre de là, et ils partirent à pied.
Et tout en marchant, comme Arihnda s’y était attendue, son père se lança dans un monologue sur l’histoire récente de Creekpath.
— … l’ironie, c’est que le Gouverneur ne peut s’en prendre qu’à lui-même si ce bouclier existe, dit-il alors qu’ils s’écartaient de la route pour laisser passer un camion speeder se dirigeant vers le centre, la soute remplie de caisses.
Arihnda plissa les yeux lorsque le véhicule les dépassa et parvint à lire les mots MAKRID STRING sur le côté.
— Lorsque les ennuis ont commencé sur Denash, le propriétaire de Creekpath l’a supplié de fournir de quoi protéger la mine. Tout ce qu’il voulait, c’était deux cents soldats pour renforcer ses postes de contrôle, mais le Gouverneur préférait garder tous les soldats pour sa propre protection. Alors à la place, il a trouvé un vieux bouclier régional DSS-02 et l’a fait installer.
— Sympa, dit Arihnda en jetant un coup d’œil à Gudry qui marchait de l’autre côté de son père.
Le soleil était couché depuis longtemps, mais comme elle l’avait prédit, l’éclairage du complexe compensait largement le manque de lumière naturelle, et elle put voir un petit sourire danser sur les lèvres de l’agent.
Rien d’étonnant à cela. Les boucliers DSS étaient utilisés d’un bout à l’autre de l’Empire, et au cours de sa formation au BSI, Gudry avait sans aucun doute appris à les neutraliser.
Yularen avait suggéré qu’ils essaient d’éliminer le bouclier, mais d’une façon particulièrement désinvolte, comme pour sous-entendre que c’était une sorte de plaisanterie. D’ici la fin de la soirée, il pourrait bien être surpris.
— On aurait pu penser que les opérateurs auraient essayé de le neutraliser avant que vous les jetiez dehors, commenta Gudry.
— Avant que les insurgés les jettent dehors, le corrigea Talmoor avec raideur. Je partage peut-être certaines de leurs doléances, mais je ne suis pas l’un d’entre eux. Enfin, d’après ce que j’ai compris, ils ont été encerclés et escortés hors du site avant même de comprendre ce qui se passait.
— Puis Nightswan est arrivé ? demanda Arihnda.
Talmoor la regarda, les sourcils froncés.
— Qui est Nightswan ?
— Le chef du groupe. Vous ne le saviez pas ?
— Je te l’ai dit, je ne suis pas avec ces gens, dit-il sèchement. Vous disiez que votre ami était un technicien, Mattai ?
— En gros, oui. Mais il touche un peu à tout, précisa Gudry. Il pourrait même avoir été amené ici pour maintenir le bouclier en état de marche. Vous savez où se trouve le générateur ?
— Quelque part par là-bas, dit Talmoor en pointant son index. J’imagine que nous pourrions aussi bien nous diriger dans cette direction.
Arihnda les laissa passer devant. Puis, au moment choisi, elle se glissa derrière un camion speeder stationné et changea de direction. Elle dépassa le camion, fit le tour d’un autre, puis s’agenouilla de façon à ce que ni Gudry ni son père ne puissent la voir. Elle sortit l’unité comm de sa mère et sélectionna la fréquence de son père.
Il répondit à la seconde sonnerie :
— Elainye ? Quelque chose ne va pas ?
— Je ne me sens pas bien, murmura Arihnda, la respiration sifflante, comme si elle faisait une sorte de réaction allergique. Je crois que c’est… Je crois que c’est quelque chose dans l’air.
— Tiens bon, j’appelle l’hôpital ! dit Talmoor, inquiet.
— Non, ce n’est pas si méchant, répliqua Arihnda en accentuant le sifflement dans sa voix.
Elle n’avait aucune idée de la qualité de son imitation, mais avec un peu de chance la panique et la respiration poussive dissimuleraient ce qui n’allait pas.
— Peux-tu rentrer à la maison ? poursuivit-elle. J’ai besoin de toi et d’Arihnda.
— Oui, bien sûr. Arihnda…
Il s’interrompit, se demandant certainement où était passée sa fille.
— S’il te plaît, dépêche-toi, ajouta Arihnda, puis elle éteignit l’unité comm, la glissa dans son sac à main et se releva.
Juste à temps. À l’instant où elle se retournait, son père et Gudry dépassaient l’arrière du camion speeder.
— Arihnda ! l’appela Talmoor.
— Ici, répondit-elle en accélérant le pas dans leur direction. Désolée, j’ai vu un groupe d’hommes et je voulais voir si ton ami n’en faisait pas partie.
— À quoi ressemblait-il ? demanda Gudry.
— Pas à la description que tu m’en as faite, j’en ai bien peur. Quelque chose ne va pas ?
— Ta mère est tombée malade, lui indiqua son père en la prenant par le bras. Nous devons rentrer à la maison immédiatement.
— C’est sérieux ?
— Elle dit que non. Mais on rentre quand même. Venez, Mattai.
— Attendez une minute, je dois trouver mon ami, protesta Gudry. Je ne peux pas rester ? Je promets de rester discret.
— Je ne crois pas que…, commença Talmoor.
— C’est une bonne idée, le coupa Arihnda. Tu sauras retrouver ton chemin jusqu’à la maison, non ?
— Bien sûr. Allez-y, tous les deux. Je me débrouillerai.
— Je ne peux pas vous laisser rester ici sans moi, dit Talmoor.
Mais les mots sortaient de façon mécanique. Ses pensées étaient manifestement tournées vers sa femme.
— J’ai promis…, ajouta-t-il dans un balbutiement.
— Laisse-moi lui parler, suggéra Arihnda à son père.
Sans attendre de réponse, elle saisit le bras de Gudry et l’éloigna de quelques pas.
— Franchement, c’est bizarre, murmura l’agent. La vieille chouette tombe malade, maintenant ?
— Vous allez pouvoir y arriver tout seul ? demanda Arihnda en s’efforçant d’ignorer qu’il venait d’insulter sa mère.
— Évidemment, grogna-t-il. L’ennui, c’est que votre vieux refuse de me lâcher.
— Je vais le faire changer d’avis. Vous avez vu ce camion speeder, celui avec les caisses Makrid String ? Ça pourrait être intéressant de savoir où il est allé. Makrid String est une marque de…
— … cordon détonant, la coupa-t-il. Merci, je sais. Je suis plus inquiet au sujet de la collection de canonnières de police et de chasseurs de Nightswan.
Arihnda sentit sa mâchoire se décrocher.
— Vous avez vu des canonnières ? Combien ?
— Je ne les ai pas vues, dit patiemment Gudry. J’ai vu un dépôt de pièces détachées avec assez de matériel pour en rafistoler deux bonnes douzaines.
Arihnda grimaça. Des véhicules de combat aérien. Exactement ce dont ils avaient besoin.
— Vous devez les trouver, noter leur position et…
— Oui, merci, je connais mon boulot, la coupa-t-il. Occupez-vous de me débarrasser de votre vieux, d’accord ?
— D’accord.
Sans cesser de tenir le bras de l’agent, Arihnda se retourna vers son père.
— Bon, on a trouvé un arrangement. Pendant que nous retournons tous les deux auprès de mère, il reste ici une heure – et une heure seulement – pour trouver son ami. S’il ne l’a pas trouvé d’ici là, il revient. D’accord ?
Talmoor hésita, le visage tordu par l’indécision.
— Arihnda…
— Tout ira bien, père, dit-elle pour le réconforter.
Elle lâcha le bras de Gudry et prit celui de son père.
— Il s’en sortira très bien, et mère a besoin de nous. Allez, venez.
— D’accord, accepta-t-il à contrecœur en laissant sa fille l’entraîner en direction du périmètre. Soyez prudent, Mattai. Et ne touchez à rien.
Distrait par l’inquiétude, son père se laissa facilement emmener vers un autre poste de contrôle que celui qu’ils avaient franchi à l’aller. Un poste où l’on ne remarquerait pas qu’ils étaient entrés à trois pour ressortir à deux. Heureusement, les hommes et les femmes de ce poste connaissaient aussi le contremaître Talmoor Pryce et ne prirent pas la peine de le fouiller ni même de lui poser de questions.
Combien d’entre eux, se demandait Arihnda, seraient encore en vie quand viendrait le matin ?
Mais ce n’était pas son problème.
Ces gens se trouvaient au beau milieu d’une zone de combat ; ils avaient choisi de venir ici, et ce qui allait se passer ensuite était de leur faute. Cela valait également pour Gudry.
Quant à Arihnda, elle avait une tâche bien plus importante à accomplir. La mission qu’elle avait organisée dès le début de ce conflit. La mission qu’elle seule était capable de mener à bien.
Il était temps de commencer.