Chapitre 20
Rares sont ceux qui parviennent à remporter une bataille sans alliés. Certains alliés apportent un soutien direct, les deux forces combattant alors l’une à côté de l’autre. D’autres fournissent un soutien logistique, qu’il s’agisse d’armes, d’équipement ou, plus simplement, de vivres et autres produits de première nécessité. Parfois, l’utilisation la plus efficace que l’on puisse faire d’un allié consiste à s’en servir comme d’une menace, sa seule présence permettant de créer une distraction ou forçant l’ennemi à déployer des ressources loin du champ de bataille principal.
Mais se tenir aux côtés d’un allié n’impose pas nécessairement que l’on soit toujours d’accord avec lui. Ni même que l’on partage ses objectifs ou ses méthodes.
L’alarme du Chimaera avait déjà été coupée, le temps qu’Eli atteigne la passerelle. À chaque jour sa situation de crise, pensa-t-il avec lassitude alors qu’il sortait du turbo-ascenseur. La vie sous les ordres du commodore Thrawn était plutôt excitante, mais parfois la poursuite et la capture de pirates ou de contrebandiers devenaient quelque peu routinières, voire ennuyeuses.
Mais ce jour-là n’était pas un jour comme les autres. Et cette crise sortait également de l’ordinaire.
La première chose qui l’alerta que quelque chose de sérieux était en train de se passer fut les personnes attroupées autour de Thrawn, près de la nacelle de projection située à l’arrière de la passerelle. Aux côtés du lieutenant des communications Lomar se trouvaient non seulement le commandant en second Karyn Faro mais aussi le capitaine des stormtroopers Ayer.
Le regard de Thrawn croisa celui d’Eli et il lui fit signe de s’approcher.
— Lieutenant-colonel Vanto, dit-il gravement. Le lieutenant Lomar vient de recevoir un appel de détresse provenant d’un transport de troupes, le Sempre. Il indique être victime d’une attaque.
Eli jeta un coup d’œil à l’écran. Si les positions et les vecteurs étaient justes, ils se trouvaient à plus de deux heures du site.
— J’imagine qu’il n’y a personne de plus près, commodore ?
— Personne possédant une puissance de feu suffisante, précisa Thrawn avant de faire signe à Lomar. Lieutenant ?
— Le Sempre a identifié ses agresseurs, indiqua Lomar. Il s’agit de la frégate Castilus et de deux escadrons de chasseurs V-19. Ils pourraient être plus nombreux… Les assaillants disposent de brouilleurs et les transmissions du Sempre sont lacunaires. Mon équipe est en train de passer les enregistrements au crible, donc s’il y en a plus, on finira par le savoir.
Il adressa un regard à Thrawn et ajouta :
— La dernière transmission du Sempre indique qu’il a été victime d’une intrusion et qu’un abordage est en cours.
— Les vaisseaux des assaillants ont été déclarés volés il y a huit semaines, précisa Thrawn.
Eli fronça les sourcils, le ton du commodore cachait quelque chose…
— Par Nightswan ?
— C’est possible, répondit le Chiss. L’opération s’est avérée plutôt inventive, ce qui pourrait faire penser à lui. Qu’il soit derrière le vol est une chose, mais je ne crois pas qu’il soit impliqué dans cette attaque. Une telle violence ne lui ressemble pas.
— Il a pu changer de style, commodore, intervint Faro d’un ton sec où pointait une légère impatience. Et sauf votre respect, je ne vois pas en quoi l’origine des vaisseaux apporte quoi que ce soit au fait qu’ils soient là, maintenant, et qu’ils tirent sur nos troupes.
Eli grimaça. Karyn Faro était venu avec le Chimaera et avait servi en tant que commandant en second sous les ordres du précédent commandant. Elle n’était jamais vraiment ouvertement insubordonnée, mais elle flirtait dangereusement avec la ligne rouge. Remettre les commentaires de Thrawn en question n’était pas ce qu’on était en droit d’attendre d’un commandant en second, et surtout pas en public.
Mais le Chiss se contenta d’incliner la tête vers elle :
— Nous poussons déjà les moteurs du Chimaera au maximum de leur puissance pour leur venir en aide, commandant. Et connaître leur origine peut nous permettre d’anticiper leurs objectifs et leurs actions futures.
— C’est un transport de troupes, commodore, rétorqua-t-elle sur le même ton. Tout porte à croire que leur objectif est probablement de tuer des soldats de l’Empire.
— Peut-être, dit Thrawn. Mais peut-être pas.
Il fit signe à Ayer.
— Il semble y avoir comme un mystère autour de ce transport, ajouta le Chiss.
— Oui, commodore, poursuivit Ayer avec un regard gêné en direction d’Eli. Comme je l’ai dit au commodore, lieutenant-colonel Vanto, le Sempre ne transporte pas de soldats.
— Il est vide ?
— Non, lieutenant-colonel.
Eli lança un coup d’œil aux autres.
— Je vous demande pardon ?
— Je ne peux pas en dire plus, lieutenant-colonel. À aucun d’entre vous, ajouta Ayer en adressant un regard encore plus gêné à Thrawn.
— Le major Ayer a reçu une communication directe de Coruscant mais n’est pas autorisé à en partager le contenu avec nous, expliqua Thrawn. Nous avons pour ordre de le conduire lui et ses stormtroopers jusqu’au Sempre et de nous charger des assaillants.
— Entendu, commodore, acquiesça Eli.
Il sentait de légers picotements lui chatouiller la nuque. Les communications secrètes qui passaient outre la chaîne de commandement le rendaient toujours nerveux.
— Et que devons-nous faire s’ils ont besoin d’aide à bord ? demanda Eli en indiquant le capitaine des stormtroopers du menton.
— Ça ne sera pas le cas, lui assura Ayer.
— Et si ça l’est ? insista Eli.
— Ça ne le sera pas, insista Ayer.
Sa voix n’avait plus rien d’embarrassé, et le nouveau ton employé indiquait clairement que le sujet était clos.
— Je ne peux pas en dire plus, lui rappela-t-il.
— Je suis sûr que nous serons informés au moment opportun, intervint Thrawn. En attendant, notre mission est d’atteindre le Sempre avant que les assaillants en prennent le contrôle. Commandant Faro, vous effectuerez une inspection complète des armes et de l’équipage d’artillerie. Nous devons être prêts à combattre dès notre arrivée sur les lieux de l’attaque. Lieutenant-colonel Vanto, contactez la salle des machines. S’il existe un moyen d’augmenter la vitesse du Chimaera, veillez à ce qu’il soit mis en œuvre.
*
Une heure et quarante-neuf minutes plus tard, le Chimaera arrivait à destination.
Pour s’apercevoir que tous leurs préparatifs n’avaient plus de raison d’être.
Le Sempre dérivait dans l’espace, inerte, les cadavres des membres de son équipage éparpillés d’un bout à l’autre du vaisseau. Les compartiments de troupes étaient vides.
Les vaisseaux des assaillants, évidemment, étaient partis depuis longtemps.
— Étrange, nota Vanto tandis que Thrawn et lui se frayaient un chemin parmi les corps des victimes.
Maintenant que le secret n’était plus de mise – quelle qu’ait été la nature de ce secret –, Ayer leur avait concédé avec réticence la permission de se joindre aux stormtroopers pendant qu’ils terminaient d’inspecter le vaisseau.
— On voit des brûlures de blaster sur certains des cadavres, mais pas sur tous.
— Oui, j’ai remarqué cela, acquiesça Thrawn. Plusieurs, parmi ces derniers, présentent également des blessures à la tête et sur le torse.
— Comme s’ils avaient été frappés, dit Vanto.
Il indiqua les traces de sang qui tachaient une cloison toute proche et ajouta :
— Et puis on a ça aussi. On dirait que la plupart des victimes tabassées ont eu la tête ou le corps projetés contre les murs et les cloisons.
— Remarquez aussi que certaines de ces traces sont très hautes par rapport à la taille des membres d’équipage, dit Thrawn. Celle-ci, en particulier. Des détails particuliers à relever ?
Vanto s’approcha du mur pour observer la marque de plus près.
Son front se plisse. Il survole la marque du bout du doigt comme pour la tracer mentalement.
— Elle est plus sanglante que les autres. Ces amas ressemblent à des traces de doigts. Quelqu’un aurait écrit avec du sang ?
— Peut-être, dit Thrawn.
La trace était floue et semblait inachevée, comme si l’auteur avait été interrompu. Ou peut-être qu’il n’y avait rien d’écrit du tout. En tout cas, ça ne ressemblait pas à une lettre ni à une combinaison de lettres qu’il connaissait. Toutefois, si l’auteur avait été blessé, cela pouvait expliquer en partie la déformation de l’inscription.
Mais pourquoi une personne blessée choisirait-elle d’écrire aussi haut sur le mur ? Et s’il ne s’agissait pas d’un mot ou d’un début de mot, mais d’un symbole ou d’un glyphe ?
Il observa les corps avachis. Comme Vanto l’avait noté, deux avaient été tués par des tirs de blaster, et les autres frappés à mort. Aucun d’entre eux n’était assez grand pour avoir fait cette marque.
Vanto en était arrivé à la même conclusion :
— Je pense qu’elle a été faite soit par l’un des assaillants, soit par l’un des passagers.
— Peut-être qu’un examen du quartier des soldats nous en dira plus, suggéra Thrawn. Venez.
Un stormtrooper tenait la garde devant l’écoutille menant aux dortoirs.
— Désolé, commodore.
Sa voix filtrée est inflexible et impérieuse.
— Personne n’est autorisé à entrer, ajouta-t-il.
— Je suis le commodore Thrawn. Je souhaite entrer.
— Je suis navré, commodore, mais j’ai reçu des ordres.
— Je vous en donne de nouveaux, stormtrooper. Il n’y a plus de passagers. Le secret que vous aviez pour ordre de protéger concernant le Sempre n’est plus d’actualité. Les officiers et l’équipage de l’Empire sont morts, dont certains de vos propres collègues. Si nous souhaitons que justice soit faite, il nous faut obtenir plus d’informations. Une partie de ces informations se trouvent derrière vous, de l’autre côté de cette écoutille.
— Je suis désolé, commodore, mais j’ai reçu des ordres, répéta le stormtrooper.
Sa voix ne manifeste aucune conscience de l’urgence de la situation.
— Je suis votre commandant, stormtrooper, insista Thrawn. Écartez-vous immédiatement !
Vanto tressaille, surpris par le volume et la véhémence de l’ordre. Le stormtrooper réagit aussi avec stupeur. Il s’écarte vivement de l’écoutille.
— Merci, dit Thrawn.
Vanto et lui passèrent le sas.
— Vous désapprouvez les paroles et le ton que j’ai employés ?
— Je ne désapprouve ni l’un ni l’autre, commodore. J’ai juste été surpris. Je ne crois pas vous avoir déjà entendu vous mettre en colère.
— Ce n’était pas de la colère. Certaines personnes ne sont pas sensibles aux raisonnements. D’autres refusent d’envisager toute alternative à leurs comportements habituels. Dans de tels cas, une rupture inattendue de son propre comportement peut se révéler un outil efficace. Que remarquez-vous ?
Vanto alla se placer au centre du dortoir. Il tourna lentement la tête, s’attardant sur les rangées de couchettes à trois étages.
— Ces lits n’ont pas la taille standard. Ils font au moins un mètre de plus en longueur. Et les transports de troupes classiques ne sont pas équipés de lits à trois, mais à quatre étages, non ?
— Oui, confirma Thrawn. Ces quartiers sont manifestement destinés à des passagers de grande taille.
— Ça n’a pas l’air provisoire non plus, poursuivit Vanto. Les couchettes sont fixées de façon permanente aux murs, au sol et au plafond. Alors quel genre de passagers le Sempre était-il destiné à…
Il s’interrompt. Son regard se pose sur les anneaux fixés aux murs entre chaque colonne de couchettes. Ses doigts se recroquevillent, parcourus d’une tension soudaine.
— Il ne s’agissait pas de passagers, murmura-t-il. Mais de prisonniers.
— Pas de simples prisonniers, précisa Thrawn. Des esclaves.
*
Lorsque Thrawn et Eli retournèrent sur la passerelle, ils trouvèrent Faro qui les attendait.
— Au rapport, commandant, lui ordonna le Chiss.
— J’ai l’analyse de l’attaque, commodore, annonça Faro en affichant un schéma sur l’écran des senseurs. On dirait que les tirs les plus dévastateurs provenaient des V-19 – ils ont détruit les générateurs du bouclier, l’hyperdrive et les moteurs subluminiques – tandis que la frégate servait surtout de diversion.
— Rien d’inattendu, dit Thrawn. La doctrine militaire établie…
Il regarda Eli.
— Nikhi.
Eli secoua la tête intérieurement. Toutes ces années à parler le basic, et certains mots continuaient encore de lui échapper.
— Nonobstant, répondit-il. Mais en basic, le mot doit être placé en début de phrase.
Thrawn le remercia d’un signe de tête.
— Nonobstant la doctrine établie, si un escadron de chasseurs bien entraînés est capable de pénétrer des points de défense, sa puissance de frappe sera souvent plus efficace que celle d’un vaisseau mère. Notez également que la destruction délibérée de l’hyperdrive indique que leur objectif n’a jamais été de capturer le vaisseau pour leur propre usage.
— Ils sont venus libérer les esclaves, en déduisit Eli dans un souffle.
— Exactement, acquiesça Thrawn. Y a-t-il quoi que ce soit qui nous permette de déterminer les espèces d’origine ou les méthodes d’entraînement des assaillants ?
— Euh, rien que nous ayons remarqué, commodore, répondit Faro en fronçant les sourcils. Je ne suis même pas sûre de savoir comment nous aurions pu déterminer ça.
— Des moyens existent, lui assura Thrawn. Nous en reparlerons plus tard.
Il se tourna vers Lomar.
— Lieutenant ?
— Nous avons terminé de passer au crible les enregistrements audio du Sempre, indiqua Lomar. Environ une demi-douzaine d’espèces peuvent faire les bruits que nous avons entendus, mais seuls les Wookies correspondent à la taille que vous avez décrite.
— Bien, dit Thrawn en sortant son datapad. Dans ce cas, la marque de sang peut être interprétée comme un emblème et non comme des lettres. Très bien. Lieutenant-colonel Vanto, à l’ordinateur.
— Oui, commodore, dit Eli en s’asseyant au terminal le plus proche. Prêt.
— Les esclaves devaient venir de Kashyyyk, poursuivit Thrawn, les yeux plissés tandis qu’il parcourait les pages de son datapad. Mais ils ont sans doute dû passer par un centre d’enregistrement hors-monde où ont été testés leur santé ainsi que d’autres éléments de qualification avant d’être envoyés vers leur destination finale. En utilisant Kashyyyk et notre position actuelle comme extrémités, cherchez l’emplacement possible de ce centre.
— À moins d’être pressés, il n’y a aucune raison qu’ils soient venus directement, fit remarquer Faro. Ils auraient pu être testés n’importe où entre ici et Alderaan.
— La rapidité n’est pas tant un facteur que l’efficacité, commandant, dit Thrawn. S’il y a eu un flot constant de transports de ce genre…
Il marqua une pause puis continua à faire défiler les pages sur son datapad.
— De toute façon, le Sempre a été adapté de façon permanente pour transporter des Wookies ou des créatures de même gabarit. Il semble donc raisonnable de penser que le centre de traitement soit tout aussi permanent. Lieutenant-colonel Vanto ?
— J’ai sorti tout ce qui se trouvait dans un double cône de quatre-vingt-dix degrés, commodore, rapporta Eli. Ça représente un sacré paquet de systèmes.
— Ce doit être une base militaire, ajouta Thrawn. Possédée et dirigée uniquement par l’Empire. Elle doit être relativement isolée, interdite d’accès aux civils, et avec une quantité de matériel importé bien plus élevée que ce que l’effectif officiel de l’équipage pourrait laisser croire.
— Pourquoi ne recherchez-vous pas simplement les cargaisons de nourriture pour Wookies ? suggéra Faro.
— Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit de particulier dans leur façon de s’alimenter, commandant, dit Vanto sans cesser d’entrer les paramètres. Et quand bien même, il y aurait des chances que de telles cargaisons soient identifiées comme des pièces d’équipement ou n’importe quel autre article. À quoi bon avoir un centre d’esclavage secret si vous annoncez à toute la galaxie que vous nourrissez un paquet de bouches supplémentaires ?
— Précisément, acquiesça Thrawn.
Le Chiss avait toujours les yeux baissés sur son datapad mais il avait cessé de faire défiler les informations. Il devait avoir trouvé ce qu’il cherchait.
— Il doit très certainement y avoir une autre base impériale dans les environs, ajouta-t-il. Moins secrète, mais plus grande et suffisamment proche pour pouvoir avoir une réaction rapide si nécessaire.
— Entendu, commodore, dit Eli en entrant les derniers paramètres. Ce qui nous donne… Lansend Vingt-Six. Il s’agit d’une vieille station de dédouanement dont les Séparatistes avaient pris le contrôle pendant la guerre pour la convertir en zone de transit. L’Empire l’a reprise, mais n’en a pas fait grand-chose.
— Jusqu’à présent, murmura Faro. Vous croyez que nous devrions les prévenir que l’un de leurs transports a été détruit, commodore ?
— Nous allons faire plus que cela, répondit Thrawn. Ordonnez à la barre, lieutenant-colonel Vanto, de nous conduire à Lansend Vingt-Six aussi vite que possible.
— Bien, commodore.
Eli appuya sur l’intercom et transmit les ordres.
— Pourquoi les agresseurs iraient-ils dans cette direction, commodore ? demanda Faro. Ne serait-il pas plus probable qu’ils contournent la station et emmènent les Wookies vers une planète de réfugiés ?
— Vous partez du principe qu’ils ont déjà récupéré tous les Wookies qu’ils voulaient, fit remarquer le Chiss.
— Vous pensez qu’ils vont attaquer la station pour libérer d’autres prisonniers ? demanda Faro, les sourcils froncés.
— Réfléchissez, commandant.
Eli dissimula un sourire. Il connaissait ce ton.
— Sortir le Sempre de l’hyperespace à l’endroit exact où les assaillants attendaient en embuscade aurait été quasiment impossible sans assistance, poursuivit Thrawn. Cette assistance devait provenir soit de Lansend, soit du Sempre lui-même. Dans un cas comme dans l’autre, cela implique que les assaillants avaient un allié et un saboteur à bord de la station.
— Et s’il s’y trouve toujours, dit Faro en hochant la tête en signe de compréhension, pourquoi ne pas saboter les défenses de la station elle-même tant qu’il y est ?
Thrawn inclina la tête vers elle.
— Très bien, commandant.
— S’ils ont un saboteur à bord, ne devrions-nous pas les prévenir ? intervint Lomar. Soit eux, soit… Lieutenant-colonel Vanto, le commodore avait-il raison sur la présence d’une autre station dans les environs ?
— Oui, répondit Eli. La Base Baklek, située à une vingtaine de minutes de vol.
— Nous devons maintenir le silence comm, dit Thrawn. Nous ne voudrions pas alerter les assaillants que nous sommes à leur poursuite.
— Sauf votre respect, commodore, ça paraît encore un peu exagéré, dit Faro. Si quelqu’un a saboté le Sempre, il y a de grandes chances que Lansend ait reçu le même appel de détresse que nous et ait déjà compris qu’ils ont un problème. Frapper un transport qui ne se doute de rien, c’est une chose, mais frapper une station prête au combat en est une autre.
— Je suis d’accord. Néanmoins, je pense qu’ils vont faire une tentative.
— Parce que ce sont des moralisateurs idéalistes, et que ça les rend suicidaires ?
— Non, dit Thrawn. Parce qu’ils nous l’ont dit.
Faro lança un regard surpris à Eli.
— Ils ont fait quoi ?
— Le dessin qu’ils ont laissé derrière eux, parmi les corps, expliqua Thrawn. Nous savons à présent que les esclaves étaient des Wookies. La marque que nous avons découverte était le symbole d’un clan, accompagné d’un signe représentant un avertissement ou une attitude de défi.
Eli grimaça lorsqu’il comprit où Thrawn voulait en venir.
— Une attitude de défi qui pourrait conduire à la vengeance ?
— Au sein des cultures tribales comme celle des Wookies, c’est souvent le cas, confirma Thrawn. Même s’il n’y a plus de Wookies à sauver à bord de la station, ils chercheront à se venger de ceux qui ont contribué à les réduire en esclavage. Étant donné qu’il y a toujours la possibilité que la station ne soit pas au courant de leurs actions, ils doivent attaquer le plus vite possible.
— Sauf que Lansend pourrait être prête à les accueillir, fit remarquer Eli.
— Espérons-le, dit Thrawn. Cependant, je compte bien arriver à temps pour prendre les assaillants en flagrant délit.
*
— Toujours aucun signal de la station, annonça Vanto.
Sa voix se fait alerte en prévision de la bataille à venir ; son ton laisse deviner l’ébullition qui règne dans son esprit.
— Sortie de l’hyperespace dans quinze secondes.
— Systèmes et équipage d’artillerie, prêts au combat, annonça Faro. Escadrons Tie, prêts au lancement.
— Signal à destination de la Base Baklek, en attente, dit Lomar. Message préenregistré chargé et prêt à l’envoi.
Des traînées d’étoiles apparurent brièvement, et le Chimaera arriva à destination.
Pour constater que la bataille avait déjà commencé.
— La base est attaquée ! lâcha Vanto. Je repère une frégate, vingt-deux chasseurs stellaires V-19. Canons laser tribord de la base : abaissés et muets ; armes bâbord toujours en activité.
— Envoyez les Tie, ordonna Thrawn. Leur priorité étant de mettre la frégate hors d’usage sans la détruire. Envoyez le signal à la Base Baklek et ajoutez-y les détails du lieutenant-colonel Vanto. Envoyez un signal à Lansend et demandez-leur un bilan de situation.
Dans de nombreux cas, la stratégie d’attaque d’un adversaire trahissait son origine. Ici, la bataille ayant déjà sombré dans le chaos, chaque chasseur stellaire était désormais son propre stratège et tacticien.
Mais même dans un désordre à grande échelle, il était possible de repérer des connexions et des schémas de proximité. Thrawn observait les mouvements des V-19 en quête de répétitions et de prévisibilité.
— Chimaera, ici la colonel Zenoc.
La voix qui jaillit du haut-parleur est tendue mais dépourvue de panique.
— Heureuse de vous voir, ajouta-t-elle. Votre sens du timing est excellent.
— Colonel, ici le commodore Thrawn. Vous avez un saboteur dans votre station.
— Une saboteuse, confirma Zenoc, que nous avons trouvée, désarmée et enfermée. Trop tard, malheureusement, pour l’empêcher de désactiver la communication longue portée et de couper les systèmes de défense tribord. La Base Baklek est censée être de garde. Pouvez-vous leur faire signe pour nous ?
— C’est déjà fait, indiqua Thrawn. J’ai besoin des plans de votre base.
— Bien, répondit Zenoc. Je viens de vous les envoyer. J’y inclus un diffuseur en temps réel de nos relevés senseurs internes.
— Très bien. Lieutenant-colonel Vanto ?
— Plans et diffuseur en cours de chargement, confirma Eli.
Les plans apparurent, couverts de points mobiles indiquant les positions des attaquants et des défenseurs.
— L’intrusion s’est faite par l’écoutille d’abordage tribord, indiqua Zenoc. Nous parvenons encore à résister, mais ils nous forcent à nous replier. On dirait qu’ils essaient d’abattre nos défenses bâbord afin d’y envoyer un autre groupe d’abordage et de nous prendre en tenaille.
— Mes chasseurs stellaires engagent le combat contre ces assaillants, lui indiqua Thrawn. Lieutenant-colonel Vanto ?
— Formation des V-19 bâbord rompue, rapporta Vanto. Une moitié fait demi-tour pour attaquer les Tie, l’autre poursuit l’attaque contre les défenses de la station. Les V-19 situés à tribord font volte-face pour défendre la frégate.
— Trop tard, fit Faro.
Sa voix manifeste une satisfaction contenue.
— Nous avons détruit l’hyperdrive de la frégate, annonça-t-elle. Nos visiteurs n’iront nulle part.
— Ordonnez aux Tie de se concentrer sur les V-19, indiqua Thrawn.
Les déplacements du personnel de la station avaient fini par révéler un schéma.
— Colonel Zenoc, continua-t-il, avez-vous du personnel dans les sections A-quatre, A-cinq et B-cinq ?
— Non, commodore.
— Y a-t-il des esclaves dans cette zone ?
Une courte pause s’ensuivit.
— Je ne suis pas autorisée à aborder un tel sujet, commodore.
— Si vous souhaitez sauver votre station, colonel, vous répondrez à ma question.
Une autre pause.
— Il y a… du personnel non militaire dans la section B-cinq, concéda Zenoc.
— Je vous remercie, dit Thrawn. Regroupez tout votre personnel dans la section B-huit, et attendez.
— B-huit ?
La voix de Zenoc manifeste de la confusion.
— Oui. Commandant Faro, j’ai signalé sept cibles sur la partie tribord de la station. J’exige une précision chirurgicale de la part des turbolasers. En êtes-vous capable ?
— Tout à fait, commodore, confirma Faro. Envoi des cibles aux canonniers… Canonniers, prêts à recevoir vos ordres.
— Colonel Zenoc ?
— Nous nous sommes retirés, indiqua Zenoc.
Sa voix dénote toujours de la confusion, à laquelle s’ajoutent de la circonspection et de la méfiance.
— Mais ce n’est pas une position tenable, commodore, ajouta la colonel. Si nous sommes à nouveau repoussés, nous allons avoir des ennuis.
— Vous ne serez plus repoussés, lui assura Thrawn. La bataille est terminée. Turbolasers : feu !
Sur le plan, les sept points signalés clignotèrent lorsque les sections visées de la coque se désintégrèrent. Derrière eux, les senseurs indiquèrent que l’air était devenu irrespirable dans quatre compartiments internes.
— Qu’est-ce que… ? aboya Zenoc. Bon sang, Chimaera, vous venez de nous tirer dessus ?
— Oui, confirma Thrawn. Je crois que vous devriez à présent trouver vos assaillants piégés dans leurs actuelles positions.
Une autre pause.
— Ça alors, dit Zenoc.
La méfiance et la confusion ont disparu de sa voix, laissant place à une compréhension ébahie.
— Et la section B-cinq ?
— Elle est intacte, bien qu’elle soit maintenant isolée du reste de la station, indiqua Thrawn. Nous allons poursuivre la bataille contre la frégate et les V-19. Je vous suggérerais d’inviter vos assaillants à se rendre avant de commencer les opérations de récupération et d’évacuation.
— Oui, bien sûr.
La voix de Zenoc exprime du soulagement et même une légère pointe d’humour.
— Merci, commodore, ajouta-t-elle. Excellent travail.
— Je vous en prie, colonel. Nous poursuivrons les combats jusqu’à l’arrivée des renforts de Baklek. Ensuite, nous vous laisserons vous charger des prisonniers pendant que nous irons récupérer le Sempre pour le ramener ici. J’imagine que vous disposez d’ordres spécifiques à exécuter dans une situation telle que celle-ci ?
— Oui, dit Zenoc.
Sa voix redevient sérieuse alors que l’immédiateté de la bataille s’éloigne et que la mort de l’équipage du transport se rappelle à son souvenir.
— Nous serons prêts à votre retour. Et merci encore, commodore Thrawn.
— Commandant Faro ? appela le Chiss.
— Les forces ennemies sont réduites à la frégate endommagée et à trois V-19 en état de marche, rapporta Faro. Je suppose que vous souhaitez que l’on rassemble et que l’on capture les chasseurs restants, si possible ?
— Si possible, répéta Thrawn. Dans le cas contraire, l’Empire aura suffisamment de prisonniers à interroger parmi le reste des survivants.
— Bien, commodore.
Vanto s’approcha de lui.
— Commodore ? demanda-t-il d’une voix douce et inquiète. Qu’allons-nous faire des Wookies ?
— Nous les laisserons ici.
Vanto resta muet un instant.
— Je ne suis pas tout à fait à l’aise avec l’idée que l’Empire ait des esclaves, commodore.
— Il ne faut pas se fier aux apparences, commandant. On les appelle des esclaves, mais il pourrait s’agir de travailleurs inféodés ou de prisonniers condamnés à une peine de travaux forcés. Peut-être se sont-ils vendus en esclavage afin de rembourser des dettes sur leur planète ? Il m’a déjà été donné de voir ce genre de situation.
— Vous pensez vraiment que cela pourrait être le cas, ici ?
— Non, répondit Thrawn sur un ton plus dur. Mais ça ne fait pas de différence. Peu importe la façon dont ils ont été mis à contribution, ils sont aujourd’hui des atouts pour l’Empire. Et ils seront traités comme tels.
— Compris, commodore.