Chapitre 22

Le soldat sur le terrain comme le membre d’équipage à bord de son cuirassé appréhendent forcément la guerre avec une perspective limitée. Leur objectif consiste à accomplir la mission ou la tâche qui leur est assignée et ils laissent à leur commandant le soin de connaître la situation générale et de contrôler la vaste gamme des faits, des positions, des options et des dangers. Commander est une responsabilité à laquelle personne ne devrait aspirer à la légère. De même, la loyauté ne devrait être accordée sans raison. Et même si la raison principale n’est rien d’autre que le serment et le sens du devoir du soldat, un véritable chef s’efforcera de se montrer digne d’une confiance toujours plus profonde.

Mais le commandement comme la loyauté sont des armes à double tranchant. Chacune peut être détournée de sa raison d’être. Et les conséquences ne sont jamais agréables.

 

 

— Faites ce que vous pouvez pour les convaincre, ordonna l’amiral de la flotte, Jok Donassius, dont l’hologramme montrait un visage sombre et contrarié. Détruisez-les, s’il le faut, mais arrêtez-les, d’une façon ou d’une autre. Arrêtez-les au plus vite.

— Bien compris, amiral, répondit Thrawn d’une voix calme et décontractée.

Bien plus calme, songea Eli, et bien plus décontractée qu’il ne se sentait lui-même à cet instant. Et à en croire l’expression qu’il pouvait lire sur les visages des membres de l’équipage présents sur la passerelle du Chimaera, il n’était pas le seul à être dubitatif.

Et cela n’avait rien d’étonnant. La crise séparatiste et les destructions sanglantes que la Guerre des Clones avait provoquées dans son sillage étaient encore dans toutes les mémoires. Des milliards de victimes avaient perdu la vie dans ce conflit qui avait laissé des centaines de planètes presque entièrement détruites, tandis que des milliers d’autres essayaient encore péniblement de s’en remettre. La dernière chose dont avait besoin la galaxie était de revivre une telle horreur.

Mais le Gouverneur Quesl et le peuple de Botajef semblaient, malgré tout, prêts à tenter le coup.

Thrawn et Donassius achevèrent leur conversation et l’hologramme disparut. Pendant un moment, le Chiss laissa son regard s’attarder sur le projecteur vide, comme s’il réfléchissait aux ordres qu’il venait de recevoir. Puis, relevant la tête de quelques centimètres, il se tourna vers ses officiers supérieurs :

— Commandant Faro, ordonnez à la barre de mettre le cap sur Botajef.

— Oui, commodore.

Faro posa les yeux sur le timonier – qui, comme le remarqua Eli, la fixait déjà attentivement – et leva un doigt. Le timonier lui répondit d’un signe de tête et se retourna vers son tableau de bord.

— Cap mis sur Botajef, commodore, lui confirma Faro.

— Merci, dit Thrawn avant de parcourir le groupe d’un regard circulaire. Des commentaires ? Lieutenant Pyrondi ?

— Sauf votre respect, commodore, je crois qu’ils sont fous, répondit la lieutenant d’artillerie Pyrondi, quelque peu hésitante.

En tant que dernière recrue du corps d’officiers de la passerelle du Chimaera, elle n’était pas encore accoutumée à la manière unique qu’avait Thrawn de les consulter ouvertement sur le plan tactique.

— Se croient-ils vraiment capables de se séparer de l’Empire sans l’aide de personne ? ajouta-t-elle.

— Qui a dit qu’ils ne bénéficiaient d’aucune aide ? rétorqua sobrement Faro. Il y a beaucoup d’agitation dans la galaxie en ce moment, et elle ne fait que croître.

— Une vague grogne sociale, en général, relativisa Eli.

— Pour l’instant, insista Faro. Mais qu’est-ce qui nous dit que Quesl ne bénéficie pas du soutien discret d’une centaine d’autres systèmes qui attendent simplement de voir jusqu’où il parviendra à aller avant de proclamer leur indépendance à leur tour ?

— Pas loin, voilà où il parviendra à aller, rétorqua Pyrondi. Enfin, sérieusement, lieutenant ? On a assez de puissance de feu ici pour graver nos initiales dans les soubassements de Botajef !

— Un fait qui n’a certainement pas échappé à Quesl, intervint Thrawn. Alors qu’espère-t-il gagner avec ces paroles pleines de défi ?

— C’est la question, commodore, acquiesça Faro. S’il est le représentant d’un grand nombre d’autres systèmes, lui taper sur les doigts ne résoudra pas forcément le problème. Cela pourrait même l’exacerber. S’il est seul, ajouta-t-elle avec un geste en direction de Pyrondi, alors la lieutenant a très probablement raison : notre homme est fou.

— Sauf que s’il l’est, il a choisi l’endroit idéal pour le montrer, estima Pyrondi. J’ai rencontré quelques Jefis dans ma vie. Ils ont le suivisme dans la peau. Si vous parvenez à les convaincre que vous êtes leur chef, ils vous suivront où que vous alliez. Et malgré toute l’immigration qu’il y a eue au cours du dernier siècle, ils représentent toujours un bon quatre-vingt-cinq pour cent de la population de la planète.

— Et malgré cela, ils ne se sont pas plaints que Coruscant ait nommé chez eux un Gouverneur humain ? demanda Eli.

— Comme je l’ai dit, ce sont des suiveurs, lui rappela Pyrondi. Prouvez-leur que vous êtes un chef et ils vous écouteront. C’est ce qu’a dû faire Quesl, et plus encore.

— C’est aussi mon interprétation des Jefis, approuva Thrawn. Ce qui nous amène à penser que la meilleure stratégie serait de leur créer un nouveau chef.

— En supposant qu’ils sont effectivement en train de suivre Quesl aveuglément, commodore, et qu’ils ne sont pas arrivés d’eux-mêmes à l’idée de sécession, avertit Pyrondi. Prenez un groupe de vrais passionnés jefis, ils n’auront peut-être même pas besoin d’un chef pour leur dire quoi faire. On en sait finalement très peu sur eux.

— Alors nous devons en apprendre davantage, décida Thrawn. Commandant Faro, combien de temps avons-nous avant d’atteindre Botajef ?

Faro consulta son datapad.

— Environ quinze heures, commodore.

— Je serai dans mes quartiers. La passerelle est à vous, commandant Faro. Je veux le Chimaera prêt au combat dans quatorze heures.

— Il le sera, commodore, dit gravement Faro.

Et dans son regard, Eli pouvait voir brûler la flamme vacillante de ses propres souvenirs de la Guerre des Clones.

— Vous pouvez compter sur moi, ajouta-t-elle.

*

L’histoire de Botajef était constituée de longues périodes d’allégeance passive suivies de brefs épisodes de conflits souvent houleux qui s’achevaient par la mise en place d’un nouveau gouvernement ouvrant à son tour sur une nouvelle période d’allégeance passive.

On retrouvait le même schéma dans l’art jefi : des courbes interrompues par des lignes abruptes ou des angles aigus, et une palette de couleurs reflétant le spectre émotionnel et éthique de la communauté. Les sculptures n’offraient que peu de contrastes, indiquant peut-être que les Jefis eux-mêmes étaient conscients des failles de leur matrice culturelle. En revanche, leurs tressiles suspendus dotés de contrepoids permettant un amortissement rapide suggéraient qu’ils avaient également conscience de la stabilité générale de leur système politique.

— Commodore ? s’éleva la voix de Vanto.

— Entrez.

Vanto traversa la pièce ainsi que les hologrammes.

— De l’art jefi ?

— Oui.

— Joli, commenta Vanto en parcourant les œuvres du regard. Un peu trop irrégulier à mon goût, mais joli. Je suis venu vous informer, commodore, que nous sommes à deux heures de Botajef et que le Chimaera est prêt au combat.

— Merci, commandant. Vous semblez troublé. L’affrontement imminent vous inquiète-t-il ?

— Oui. Mais pas pour les mêmes raisons que les autres. J’ai peur que l’on nous ait donné cette mission dans le but de vous piéger.

— Avez-vous une quelconque preuve de ce que vous avancez ?

— Aucune. Mais il suffit de faire preuve de logique. Nous savons que certains représentants du gouvernement ne vous apprécient pas, et parmi eux, beaucoup détestent les non-humains en général. Et voilà que nous sommes envoyés auprès d’un monde majoritairement non humain qui proclame son indépendance, avec le soutien de l’imposante flotte de défense du système. Les deux issues les plus probables sont les suivantes : soit vous piétinez les Jefis, soit la Force de Défense de Botajef nous submerge et nous chasse hors du système.

— Fort heureusement, ces options ne sont pas les seules envisageables.

— Je l’espère. Parce que dans mon premier scénario, Coruscant peut vous faire passer pour l’alien fou furieux ayant saccagé un monde d’humains et de Jefis innocents qui ne faisaient qu’obéir à leur chef attitré. Dans le second scénario, ils vous dépeignent comme incompétent et vous refilent le commandement d’un transport de minerai.

— Intéressant que vous ayez choisi cet exemple, releva Thrawn.

Les hologrammes d’art jefi disparurent pour laisser place à une carte de l’Empire.

— Vous souvenez-vous du poste qu’occupait le commandant Filia Rossi avant de commander le Corbeau de Sang ?

— Commandant en second d’un vaisseau chargé d’escorter les cargos de minerai, me semble-t-il.

— Oui. Je crois savoir que vous, comme d’autres, aviez quelques réserves quant à ses capacités et son ancienneté. Mais pensez à ce que nous savons à présent sur la façon dont le doonium et d’autres métaux disparaissent du marché. Il est possible que les transports de minerai qu’elle escortait aient été plus importants que ce que d’aucuns pensaient à l’époque.

— Intéressant, dit Vanto, pensif. D’autant plus que, si je me souviens bien, son affectation précédente était à Socorro. Il y a plein de doonium dans les ceintures d’astéroïdes, là-bas. Je me demande… comme vous le dites, si personne ne se doutait de l’importance de ces transports… Je me demande si, de ce fait, quelqu’un aurait pu se montrer un peu moins consciencieux sur la sécurité qu’ils ne le sont maintenant.

— En effet, répondit Thrawn. Auquel cas, il serait alors possible de retrouver la trajectoire de ces cargaisons et de découvrir où se déroule cette opération.

— Je peux essayer, dit Vanto avant de froncer les sourcils, interpellé par le mot utilisé par le Chiss. Cette opération ? Au singulier ? Vous pensez qu’il s’agit d’un projet unique ?

— En effet. Réfléchissez. Des composants d’hyperdrives sont retirés des dépôts de ravitaillement, mais jamais aucun hyperdrive entier ne disparaît. De même, des composants de moteurs subluminiques manquent à l’appel, mais aucun moteur complet.

— Intéressant, reconnut Vanto. Ou alors c’est juste qu’ils ne veulent pas avoir à trimballer des pièces trop encombrantes ?

— Peut-être. Même s’il existe très certainement des vaisseaux assez grands pour transporter de tels articles. Ma conclusion est qu’ils pourraient être en train de construire des hyperdrives et des moteurs subluminiques d’une taille encore inédite.

Vanto écarquilla les yeux.

— Vous voulez dire plus grands encore que ceux d’un Destroyer Stellaire ?

— Si j’en crois mon analyse des données, considérablement plus grands. Et je dois reconnaître que cette conclusion fait naître en moi une certaine appréhension. J’ai vu le même… omseki.

— Syndrome.

— J’ai déjà vu ce syndrome, reprit Thrawn. Une flotte de vaisseaux de la taille d’un Destroyer Stellaire avec un grand nombre de chasseurs en soutien constitue le déploiement naval le plus efficace et le plus souple qui soit, pour dissuader comme pour combattre l’adversaire. Cependant, beaucoup considèrent que plus c’est gros, mieux c’est. Même l’Empire a des ressources limitées, et je crains que ces ressources ne soient pas allouées de manière avisée.

— Les aléas d’une grande structure bureaucratique, reconnut Vanto avec regret. Deux structures bureaucratiques, même, si l’on compte le gouvernement et la Marine. Il y a toujours des projets coûteux et inutiles – parfois de taille non négligeable – qui passent à travers les rouages du processus de vérification.

— C’est malheureusement vrai. Peut-être aurais-je encore l’opportunité d’exprimer mon point de vue quant aux stratégies propres à ces systèmes d’armement de taille massive.

— Eh bien, vous êtes assez souvent invité sur Coruscant, remarqua Vanto. Peut-être que…

Il ne termina pas sa phrase, interrompu par une pensée soudaine.

— Vous savez où elle se trouve, n’est-ce pas ? Vous avez compris où ils construisaient cette monstruosité.

— J’ai ma petite idée.

— J’aurais dû m’en douter. J’en conclus que vous avez remonté la trajectoire des cargos de Rossi ?

— Je n’ai pas réussi à découvrir leur destination finale. Cependant, j’ai trouvé le vecteur le plus probable de ces livraisons.

— Ce qui ne vous donne que…

Vanto sourit, un nouvel éclair de compréhension dans les yeux.

— Mais nous avons aussi le vecteur potentiel de ce vaisseau d’esclaves wookies ! Donc, en partant du principe qu’ils se dirigeaient tous vers le même endroit, vous avez croisé les vecteurs… ?

— Et trouvé un endroit, termina Thrawn. Il se peut que ce ne soit pas l’endroit que nous recherchions, bien sûr. Peut-être que l’opportunité d’y faire une visite se présentera à un moment donné. En attendant, nous devons nous occuper de Botajef.

— Oui, répondit Vanto. J’imagine que vous avez un plan ?

— En effet.

La carte galactique disparut. À sa place se matérialisa l’image d’un humain debout derrière un pupitre.

— Voici l’enregistrement de la déclaration d’indépendance du Gouverneur Quesl, il y a trente heures, indiqua Thrawn.

— Oui, je l’ai vu. L’homme est éloquent.

— Avez-vous remarqué les œuvres d’art suspendues au mur derrière lui ?

— Chacune des cinquante-sept pièces, répondit Vanto avec un sourire ironique. Oui, je les ai comptées. J’ai également fait des hologrammes de chaque œuvre visible sur cet enregistrement au cas où vous vouliez voir ce que vous pouviez en déduire du personnage.

— Merci. Cependant, cela ne nous apprendra rien sur le Gouverneur. Ces œuvres d’art ont été réunies au cours des siècles par les Jefis, et ni les pièces ni leur emplacement n’ont été modifiés par le Gouverneur Quesl.

— Vous avez déjà vérifié avec des archives plus anciennes, comprit Vanto, un peu découragé. Tant pis, ça semblait être une bonne idée sur le moment.

— C’était une excellente idée. Dans d’autres circonstances, cela aurait pu être extrêmement utile. Mais je voudrais attirer votre attention sur les paroles et la façon dont s’exprime le Gouverneur. Que remarquez-vous ?

— Eh bien, il n’a pas peur de faire connaître ses objectifs ou ses sentiments. Il annonce très clairement qu’il n’a aucune intention de maintenir Botajef au sein de l’Empire.

— Et pourtant, ne devrait-il pas prendre quelque peu en compte le pouvoir qui sera certainement amené à faire pression sur lui ?

— C’est ce qu’on aurait tendance à penser, répondit Vanto en se frottant le menton. Maintenant que vous le dites, on dirait presque qu’il met Coruscant au défi de venir l’arrêter.

— Je fais une prédiction, annonça Thrawn. Je pense qu’à notre arrivée nous trouverons tout un arsenal d’armes lourdes autour du bâtiment gouvernemental principal. Je prédis également que le Gouverneur Quesl réitérera son défi à l’intention du Chimaera.

— Ah bon. Et les forces de défense de la planète ?

— Dans un premier temps, il les déploiera de façon à maintenir le Chimaera à distance. Et quelque temps plus tard, il les enverra à l’assaut.

— Tactique intéressante, dit Vanto. Nous verrons cela bien assez tôt.

— En effet. Vous pouvez regagner la passerelle à présent. Une fois là-bas, envoyez-moi Yve, le capitaine des chasseurs stellaires, et Ayer, le capitaine des stormtroopers. Il me reste d’ultimes directives à leur donner.

*

Le Chimaera atteignit Botajef parfaitement dans les temps.

Et il s’avéra que Thrawn avait vu juste. Et pas qu’un peu.

— Deux corvettes CR90 quittent l’orbite, signala Eli, parcourant rapidement du regard l’écran. Elles s’approchent par tribord et par bâbord, avec l’intention probable de nous prendre en tenailles, mais restent hors de portée de tir. Cinq escadrons d’intercepteurs V-19 Torrent s’élèvent en provenance du nord, deux autres arrivent du sud.

— Les systèmes d’armement des deux corvettes fonctionnent à froid, ajouta Faro. Nous les avons probablement pris par surprise.

— Je vois trois groupes de turbolasers au sol, indiqua Eli en souriant intérieurement. Coordonnées affichées sur l’écran. Notez que l’un d’entre eux se trouve dans la capitale, et que cinq turbolasers encerclent le palais du Gouverneur.

— Le palais ? répéta Faro, incrédule. Il compte vraiment sur l’Empire pour garder son sang-froid, on dirait !

Eli repensa à la bataille au-dessus d’Umbara, puis à la frappe chirurgicale effectuée plus tard par le Sphex d’Orage contre le filon de proto-épice sur Cyphar.

— Il est plus probable qu’il ne mesure pas la précision des artilleurs impériaux, commandant.

— Peut-être aurons-nous l’occasion de lui en donner un aperçu, dit Thrawn. Capitaine Yve, déployez les Tie.

— Tie déployés, commodore. Cibles ?

— Envoyez-en quatre sur chaque corvette. Qu’ils n’ouvrent pas le feu mais les survolent en ligne serrée, deux sur chaque flan. Les autres Tie se déploieront pour former un écran entre les V-19 et nous.

— Y compris l’unité spéciale, commodore ?

— Oui, confirma Thrawn. Qu’ils ne tirent pas tant que je ne l’aurai pas ordonné.

— Bien, commodore.

Yve reporta son attention sur son tableau de bord.

Eli fronça les sourcils. Il n’avait pas entendu parler de cette unité spéciale Tie. S’agissait-il de quelque chose qu’Yve et Thrawn avaient concocté après qu’il avait quitté les quartiers du Chiss pour regagner la passerelle ?

— Vous ne laissez pas les Tie se défendre, commodore ? s’étonna Faro.

— J’offre aux Jefis un tir gratuit, commandant, répondit calmement Thrawn. Ceci étant dit, je ne pense pas qu’ils attaqueront les premiers.

— Commodore, nous recevons un signal du Gouverneur Quesl, appela Lomar.

— Passez-le-moi.

L’écran du comlink s’éclaira, laissant apparaître le même visage flétri et renfrogné qu’Eli avait vu sur l’enregistrement. Quesl se tenait cette fois plus près de l’holocam, et avait l’air encore plus désagréable et sournois en gros plan.

— Je suis le Gouverneur Quesl du Système libre de Botajef, déclara-t-il. Vous vous êtes introduits sans autorisation dans l’espace jefi. Partez ou nous ouvrons le feu.

— Je suis le commodore Thrawn, commandant du Destroyer Stellaire impérial Chimaera, se présenta à son tour le Chiss. Je crains que tout cela soit le résultat d’un malentendu, Gouverneur. Selon le traité signé par les Jefis après la Guerre des Clones, tout changement de statut doit respecter les règles formelles précisées dans la section 18, paragraphe 4.

Le visage flétri s’éloigna de l’holocam, et Eli aperçut les œuvres d’art accrochées au mur derrière lui.

— De quoi parlez-vous ? protesta-t-il. Un tel traité n’existe pas.

Sur l’écran, les quatre chasseurs Tie frôlèrent la corvette située à tribord, comme l’avait ordonné Thrawn. Eli retint son souffle, se demandant si le vaisseau allait considérer la manœuvre comme une attaque et ouvrir le feu.

Ce ne fut heureusement pas le cas. À l’exception d’un léger tressaillement de sa proue, elle n’eut en fait aucune réaction. La corvette située à bâbord se montra encore moins inquiétée par le survol des chasseurs au point qu’elle n’eut même pas ce petit mouvement de réflexe.

— Votre méconnaissance du poste qui vous a été assigné est déconcertante, nota Thrawn. Dans de telles circonstances, je me dois d’attirer votre attention sur le paragraphe 7. Cette clause stipule qu’avant de commencer toute négociation, le Gouverneur ou tout autre chef est dans l’obligation de procéder à un désarmement complet.

D’un geste, il indiqua l’écran et poursuivit :

— Je dois donc insister pour que ces turbolasers placés autour de votre palais soient retirés.

— Oh, vous insistez, voyez-vous ça ! rétorqua Quesl sur un ton condescendant. Donc, si je comprends bien, Commodore ou pas, Destroyer Stellaire impérial ou pas, vous n’avez toujours pas le courage d’affronter un peuple libre et de l’affronter avec ses armes ? Vous avez peur que nous mordions aussi fort que nous aboyons ?

Il croisa les bras, un sourire moqueur sur les lèvres.

— Vous voulez voir disparaître ces turbolasers, commodore Thrawn ? Parfait. Chargez-vous-en vous-même !

— Très bien, répondit le Chiss, puis il fit signe à Yve. Capitaine ?

— Oui, commodore. Unité spéciale une : allez-y !

Sur l’écran, six des chasseurs Tie envoyés pour intercepter les V-19 quittèrent la formation. Se faufilant aisément entre les vaisseaux de la défense, ils se dirigèrent droit vers la capitale et le palais.

— Quoi ? Non ! hurla Quesl. Forces de défense – défendez !

Les turbolasers ouvrirent le feu, leurs lances de lumière faisant crépiter l’air en direction des chasseurs en approche.

C’était un exercice absolument futile. Yve avait extrêmement bien formé ses pilotes, et les Tie eux-mêmes étaient aussi rapides que maniables. Ils échappèrent aux tirs sans difficulté et se rapprochèrent vivement du palais malgré le feu croissant de la défense.

— Il n’est pas trop tard pour capituler, Gouverneur, indiqua Thrawn.

— Jamais, cracha Quesl.

Le Gouverneur avait les traits tendus et son regard fixait quelque chose hors champ.

— Je mourrai avec grâce et dignité, ainsi qu’avec toute la puissance et la bravoure du peuple jefi à mes côtés.

— Votre combativité est admirable, dit Thrawn. Mais tout ce mélodrame est superflu. Observez plutôt la puissance et le talent de la Marine Impériale.

Les Tie avaient atteint le palais, et leurs canons laser ouvrirent le feu.

Mais ils ne prirent pas le bâtiment pour cible. Sans cesser de zigzaguer et de tournoyer en tous sens pour éviter les tirs frénétiques des turbolasers, les chasseurs arrosèrent les armes elles-mêmes, salves après salves. L’une des tourelles se désintégra dans une explosion éblouissante de métal et de céramique. Puis ce fut au tour de la deuxième… De la troisième…

— Commandant Faro ? appela Thrawn.

Eli cligna des yeux. Il avait été si captivé par la danse destructrice qui se déroulait à la surface de la planète qu’il en avait oublié de suivre la situation à proximité du Chimaera. Il posa son regard sur l’écran…

… et découvrit que, pendant qu’il avait été distrait, le Chimaera avait, semble-t-il, dérivé sur une distance non négligeable en direction de la corvette qui n’avait toujours pas bougé. Une ligne bleue apparut sur l’écran, signalant l’activation de l’un des rayons tracteurs du Destroyer Stellaire…

Et sur l’écran du système comm, Quesl poussa un cri de surprise quand son image fut violemment secouée.

Eli se retourna vers l’écran, frappé par une révélation tardive.

— Il est à bord de la corvette ?

— En effet, répondit Thrawn, une fine pointe de satisfaction dans la voix. Avec la collection d’œuvres d’art à la valeur inestimable que vous voyez derrière lui. Mes excuses, Gouverneur, pour ne pas avoir participé à votre projet de détruire le palais. Cette destruction aurait en effet poussé les Jefis à attaquer le Chimaera. Et j’imagine que vous espériez profiter du chaos que cela aurait entraîné pour vous échapper discrètement.

Sur l’écran du système comm, Quesl respirait bruyamment, le visage tordu dans une expression de haine et de désespoir.

— Ils ne vous croiront jamais, lâcha-t-il. Les Jefis me sont fidèles.

— Ils sont fidèles au chef qu’ils respectent, le corrigea Thrawn d’une voix plus froide. Je ne crois pas qu’ils continueront de vous considérer comme tel à partir d’aujourd’hui.

Quesl continua de le fusiller du regard pendant un moment, puis sembla subitement se radoucir. Et adressant un autre sourire goguenard à Thrawn, il pivota pour regarder le mur derrière lui.

— Ils valent des centaines de millions de crédits, commodore. Peut-être même des milliards. Et ils restent à prendre la poussière dans un bâtiment médiocre, sur une planète plus médiocre encore. Des milliards.

Il se retourna, sa mélancolie laissant place à de la perplexité.

— Mais il y a deux corvettes identiques. Comment saviez-vous que j’étais à bord de celle-ci ?

— Le survol des chasseurs stellaires, répondit Thrawn. Votre pilote a réagi à ce qu’il pensait être une collision imminente. Équipage humain. Celui de l’autre corvette se fiait de manière inconditionnelle à son chef et ne montra donc aucun signe d’inquiétude. Équipage jefi. Vous ne pouviez bien sûr pas demander à des Jefis de vous assister dans cet acte de trahison envers leur peuple.

Quesl soupira :

— Alors c’est fini ?

— Loin de là, lui assura Thrawn. Votre équipage et vous allez monter à bord du Chimaera, les œuvres d’art devront être rendues, les Jefis mis au courant et un nouveau chef désigné en attendant que Coruscant puisse envoyer un nouveau Gouverneur.

Son regard pétilla et il ajouta :

— Et plus tard, bien sûr, vous serez jugé.

Il marqua une pause, avec l’intention peut-être de donner à Quesl l’opportunité de répondre. Mais le Gouverneur resta silencieux.

D’un geste, Thrawn demanda à ce que l’écran du comlink soit éteint.

— J’en conclus donc qu’il n’y a pas de traité datant de la Guerre des Clones ? demanda Faro.

— Non, confirma Thrawn. Je cherchais simplement à le garder en vue jusqu’à ce que le rayon tracteur nous confirme sa présence.

Il prit une profonde inspiration et poursuivit :

— Lieutenant Lomar, contactez le chef des Forces de Défense de Botajef et expliquez-lui la situation. J’imagine qu’il exigera des preuves ; vous pouvez l’inviter à bord quand il lui plaira. Commandant Faro, tractez la corvette du Gouverneur jusqu’au hangar. Major Ayer, vos stormtroopers monteront à bord dès que le vaisseau sera sécurisé. Traitez les prisonniers avec soin, et avec plus de délicatesse encore les œuvres d’art. Capitaine Yve, dites à l’unité spéciale une de rejoindre l’écran formé par les autres Tie. Ordonnez à tous les pilotes de rester en alerte, mais faites-leur savoir que nous n’envisageons pas d’autres combats.

Il se tourna vers Eli, et celui-ci crut apercevoir un petit sourire sur les lèvres du Chiss.

— Lieutenant-colonel Vanto, vous contacterez le Haut Commandement sur Coruscant. Dites-leur que la situation sur Botajef a été résolue.