Chapitre 23

Nombreux sont ceux qui croient que la vie militaire n’est faite que d’aventures excitantes. En vérité, cette vie consiste le plus souvent en longues périodes de routine, d’ennui même, entrecoupées de brefs épisodes de défi et de danger.

Il est rare que les ennemis recherchent leurs adversaires. Le guerrier doit se faire chasseur, enquêter et traquer avec patience et habileté. La réussite est souvent rendue possible par une confluence de petits éléments : des informations éparses, des conversations entendues par hasard ou par négligence, des vecteurs logistiques… Si le chasseur est persévérant, une constante finit par apparaître, et l’ennemi par être découvert. C’est alors seulement que des combats viennent briser la routine.

Il n’est donc pas surprenant que les individus en quête d’aventures se lassent parfois de ces enquêtes longues et laborieuses. C’est pour eux un soulagement lorsque l’ennemi se présente de son plein gré, l’attitude résolue et le regard plein de défi.

Mais un guerrier avisé restera méfiant dans ce cas-là. Il sait qu’il n’y a rien de plus dangereux qu’un ennemi habile évoluant sur un terrain qu’il a lui-même choisi.

 

 

— Cylindres codés, s’il vous plaît, réclama la gardienne.

Son ton est vif et formel, mais son visage exprime de la suspicion.

— Tenez, dit Vanto en lui tendant son cylindre ainsi que celui de Thrawn.

La gardienne prend le premier et le glisse dans le lecteur. La procédure de confirmation est plus longue que d’habitude. Elle doute peut-être de l’authenticité des documents. Vanto remarque lui aussi le délai.

— Un problème ?

— Aucun, commandant.

Son visage exprime toujours de la suspicion tandis qu’elle rend les cylindres. Mais ses doutes ne sont pas suffisants pour réclamer de l’aide.

— Vous êtes autorisés à entrer, lieutenant-colonel Vanto.

Une autre hésitation, brève, mais sensible.

— Vous aussi, amiral Thrawn.

Ils franchirent le seuil du quartier général du Haut Commandement.

— Je me demande de quoi il s’agit, cette fois, murmura Vanto tandis qu’ils se frayaient un chemin parmi les membres du personnel de la Marine qui vaquaient avec empressement à leurs tâches respectives.

— Si l’on en croit les constantes qui ressortent des communications de ces quatre derniers jours, les 103e et 125e forces opérationnelles ont également été convoquées, dit Thrawn. J’en conclus qu’une importante mission est en train d’être planifiée.

— Intéressant, remarqua Vanto. Combien d’heures de bavardage avez-vous dû trier pour dégoter ces bouts d’informations ?

— Pas tant que cela, lui assura Thrawn. Il existe des constantes dans la communication impériale, comme partout ailleurs. Une fois ces constantes connues, il est plus facile d’obtenir les informations que l’on souhaite.

— C’est vraiment tout un art. Il me faudrait des heures avec un ordinateur et une matrice de données pour arriver à quelque chose.

Le reste du groupe attendait, assis en demi-cercle devant un holoprojecteur, le dos tourné aux nouveaux arrivants. Quatre des participants étaient des officiers et quatre des civils, vêtus comme des hauts fonctionnaires. Entre les deux groupes, deux sièges étaient vacants.

L’amiral de la flotte Donassius se tenait debout à côté du projecteur.

Il maîtrise l’expression de son visage, mais sa posture dénote une tension.

De l’autre côté se tenait le colonel Yularen.

Son visage et sa posture sont également tendus, mais il cache mieux son jeu que Donassius.

— Amiral Thrawn, commença Donassius avec un signe de tête en guise de salutation lorsque le Chiss et Vanto rejoignirent leurs sièges. Laissez-moi vous présenter l’amiral Durril du DSI Judicator et de la 103e force opérationnelle ; l’amiral Kinshara du DSI Vaillant et de la 125e. Voici l’amiral Thrawn du DSI Chimaera, à qui a été récemment confiée la 96e.

— Honoré, dit Thrawn en les saluant d’un signe de tête.

Kinshara répond au salut avec politesse, sans la moindre expression de rancœur ou de malveillance. Par ses traits et sa posture, Durril montre qu’il désapprouve la présence d’un non-humain en ces lieux. Les deux autres militaires, l’un capitaine, l’autre commandant, font preuve d’une courtoisie normale pour des officiers rencontrant un supérieur pour la première fois.

— Et voici les Gouverneurs des systèmes concernés, poursuivit Donassius. Le Gouverneur Restos de Batonn ; le Gouverneur Wistran de Denash ; le Gouverneur Estorn de Sammun…

La quatrième personne de la rangée de sièges est inattendue.

— … et la Gouverneur Pryce de Lothal.

— Honoré, répéta Thrawn. Ravi de vous revoir, Gouverneur Pryce.

— De même, répondit-elle.

Son expression est distante, sa voix, professionnelle. Mais sa posture témoigne d’une tension dissimulée.

— J’aurais néanmoins préféré que cela se fasse dans des circonstances plus agréables, précisa-t-elle.

— Des circonstances qui nous ont poussés à faire appel à vous, indiqua Donassius.

Une grave préoccupation est perceptible dans sa voix.

— Asseyez-vous, je vous prie, et rentrons dans le vif du sujet. Colonel Yularen ?

— Merci, amiral.

Yularen pressa un bouton sur sa télécommande et l’hologramme d’une région de la Bordure Extérieure se matérialisa devant eux.

— Le Secteur de Batonn, précisa-t-il. Où nous avons remarqué, au cours des derniers mois, une augmentation des activités criminelles et insurrectionnelles. Jusqu’à présent, ces dernières étaient considérées comme les gesticulations habituelles et disparates de quelques groupes de mécontents. Cependant, nous disposons désormais d’indices selon lesquels ces individus pourraient commencer à travailler ensemble, ou du moins à partager des informations et à coordonner leurs plans. Aucun d’entre eux ne représente une menace réelle, mais nous avons le pressentiment que nous devons éradiquer cette nouvelle tendance avant qu’elle se propage.

— Leur collaboration est-elle étroite ? voulut savoir Thrawn.

— Pas pour l’instant, répondit Yularen. Les groupes d’insurgés sont paranoïaques de nature, par la force des choses, et ils se font généralement aussi peu confiance les uns aux autres qu’ils ne se fient à leur propre gouvernement. Mais comme je l’ai dit, ils commencent à communiquer.

— Nous devons donc les faire taire, résuma Pryce.

— Une question, colonel, intervint le Gouverneur Restos. Il y a quatre Gouverneurs ici, chacun représentant un système touché. Et pourtant, je ne vois les commandants que de trois forces opérationnelles. Puis-je savoir lequel de nos systèmes vous avez l’intention d’ignorer ?

— Les insurgés de Lothal sont déjà pris en main par l’amiral Konstantine, répondit Donassius. La Gouverneur Pryce a demandé à être présente en tant qu’observatrice, parce que son système est proche de la zone qui nous préoccupe et qu’elle fait l’expérience de troubles assez similaires.

— Je vois, dit Restos en posant un regard suspicieux sur Pryce. Tant que Batonn obtient l’attention nécessaire…

— Absolument, Gouverneur, répondit Yularen. Nous allons d’ailleurs commencer par votre monde puisqu’il semble être le foyer de l’activité dans le secteur. Si nous parvenons à faire reculer les insurgés là-bas, les autres groupes devraient péricliter à leur tour.

— Que voulez-vous dire par faire reculer ? s’étonna Wistran. D’où souhaitez-vous les faire reculer ?

— Pour le moment, de l’île de Scrim, un endroit situé à trois cents kilomètres à l’ouest du principal continent de Batonn. Voilà cinq jours, un groupe d’insurgés a assiégé et pris le contrôle de la garnison impériale de l’île. Ils y retiennent prisonniers au moins une centaine d’otages comprenant une majorité de techniciens et de soldats de la Marine, mais également quelques travailleurs civils. Ils ont le contrôle du bouclier énergétique de l’île, ainsi que du système de défense du littoral, et de trois de ses canons à ions. Amiral Thrawn, ce cas est pour vous.

— Disposez-vous d’un plan des bâtiments ? demanda Thrawn.

— Naturellement.

L’hologramme laissa place à une vue aérienne de l’île de Scrim.

— Vous avez dit qu’il y avait trois canons à ions, dit Thrawn. Pourtant, je distingue huit fortifications le long de la côte.

— Le dernier rapport de situation, qui remonte à six semaines environ, stipulait que cinq des canons attendaient de nouveaux tubes à cathtron, répondit Yularen.

— Lesquels ?

— L’info ne vous sera d’aucune utilité, je le crains, dit le colonel. Les insurgés ont eu assez de temps pour intervertir les trois tubes en état de marche. Nous n’avons donc aucun moyen de savoir quels sont les trois canons opérationnels.

— Cela ne devrait avoir aucune importance, intervint l’amiral Durril.

Il balaie l’information d’un geste désinvolte de la main.

— Vous ne vous introduirez pas par le ciel de toute façon, poursuivit-il. La meilleure approche consiste à faire une incursion à basse altitude.

— Les défenses côtières sont tout à fait suffisantes pour repousser n’importe quelle attaque, même conséquente, fit remarquer Thrawn.

— Cela fait peu de temps que vous êtes dans la Marine, n’est-ce pas ? demanda Durril.

Son ton est condescendant. Son regard se pose sur le nouvel insigne d’amiral, le visage tordu par une grimace de désapprobation et de rancœur.

— Si cela avait été le cas, continua-t-il, vous sauriez que si plus de la moitié des canons à ions de l’île sont déficients, alors au moins la moitié des défenses côtières le sont aussi. Quelques bateaux d’assaut remplis de stormtroopers, et c’est plié.

— Peut-être, répondit Thrawn. J’aurais besoin de temps supplémentaire pour étudier la question.

— Nous n’en avons plus, rétorqua Donassius. Tant que nous n’avons pas repris la garnison, chaque heure qui passe nuit un peu plus à la réputation de l’Empire. Vous devez envoyer vos ordres à Batonn immédiatement et libérer Scrim des griffes des insurgés.

Il pince les lèvres.

— Détruisez l’île s’il le faut, ajouta-t-il, mais débarrassez-vous des rebelles !

— Détruire l’île signerait l’arrêt de mort des otages, souligna Thrawn. Il y a d’autres moyens. Mais ils exigent plus de travail de reconnaissance et de planification.

La salle est silencieuse. La posture des autres participants exprime de la désapprobation ainsi qu’un certain malaise.

— Très bien, dit Donassius.

Sa voix est ferme.

— Si vous ne vous sentez pas capable de le faire, la 96e peut se rendre à Sammun à la place. Cette mission serait-elle plus à votre goût ?

— J’irai là où la Marine souhaitera m’envoyer, acquiesça Thrawn.

— Vous avez passé suffisamment de temps avec la 96e pour travailler ensemble de manière efficace ?

— Oui, amiral.

— Très bien. Amiral Durril, vous semblez penser que les rebelles peuvent être aisément neutralisés sur Scrim. C’est donc la 103e qui s’en chargera.

— Avec plaisir, répondit Durril.

Sa voix laisse transparaître de l’impatience et de la jubilation.

— Bien.

Donassius fait signe à Yularen, une expression de déception sur le visage.

— Colonel Yularen, dit-il, vous pouvez poursuivre.

*

— Vous désapprouvez ma décision, dit Thrawn à Eli alors qu’ils descendaient les escaliers menant à la plateforme d’atterrissage où les attendait leur véhicule.

— Je crois que tout le monde désapprouve votre décision, amiral, répondit amèrement Eli. J’ignore la considération dont vous bénéficiez auprès du Haut Commandement, mais je crois que vous venez de la perdre.

— Pour l’instant, répondit calmement Thrawn en sortant son datapad pour y taper quelque chose. Ça changera.

— Je ne vois pas comment, répondit Eli en essayant de voir ce que faisait Thrawn.

Des images défilaient à l’écran, mais de son point de vue, le jeune homme ne parvenait à voir aucun détail. Il reprit :

— L’amiral Durril semblait extrêmement confiant de pouvoir reprendre le contrôle de l’île.

— L’amiral Durril est toujours sûr de lui, rétorqua Thrawn. Mais il a tendance à privilégier la rapidité à la précision. Parfois, cela lui est utile. Mais le plus souvent, cela mène à des erreurs stratégiques.

— Et vous pensez qu’il commet justement l’une de ces fameuses erreurs ?

— J’en suis certain. Et cet échec lui coûtera cher, à lui et à sa force opérationnelle.

— Merveilleux, grommela Eli. Des personnes seront blessées ou tuées à cause de l’arrogance de leurs supérieurs. Est-ce qu’on ne devrait pas dire quelque chose ?

— J’ai dit quelque chose, lui rappela Thrawn. J’ai dit que la situation exigeait une étude plus approfondie.

— Alors on le laisse lui et la 103e se jeter dans la gueule du loup ?

— L’amiral Durril a pris position. Nous lui avons donné un conseil. Il ne l’a pas suivi. Nous devons à présent nous effacer et lui permettre de mettre ses certitudes à l’épreuve.

— J’imagine que vous avez raison, dit Eli en tendant le cou.

Les images continuaient à défiler sur le datapad de Thrawn.

— Puis-je vous demander ce que vous êtes en train de faire, amiral ?

— J’étudie l’art de Sammun. J’ai besoin de mieux comprendre leur culture.

Thrawn finit par ranger son datapad lorsqu’ils arrivèrent en vue de la plate-forme d’atterrissage. Ils avancèrent en direction de leur navette, et Eli grimaça d’embarras quand il vit à quel point leur cargo léger était pathétique et quelconque à côté des impressionnantes navettes de classe Lambda des autres amiraux. Il ne savait toujours pas pourquoi Thrawn avait choisi ce véhicule en particulier – un vaisseau confisqué au dernier gang de contrebandiers qu’ils avaient démantelé – plutôt que de prendre sa propre navette. La seule raison qui lui était venue à l’esprit était qu’il souhaitait peut-être l’exhiber comme un trophée pour impressionner les autres amiraux. Manifestement, il n’avait pas encore eu le temps de le faire.

— Vous désapprouvez aussi le choix de mon véhicule.

Eli lui jeta un regard en coin.

— Vous êtes obligé de faire ça ?

— Je trouve que cela permet d’éviter une conversation inutile, répondit Thrawn en sortant son comlink. Amiral Thrawn pour le commandant Faro.

— Oui, amiral, répondit vivement le nouveau commandant du Chimaera. Quels sont les ordres, amiral ?

— Vous allez conduire la force opérationnelle sur Sammun. Il s’y déroule une insurrection à laquelle nous avons reçu pour mission de mettre fin.

— Bien, amiral, répondit Faro, une pointe d’incertitude – inhabituelle chez elle – dans la voix. Vous dites que je dois conduire la force ? Vous ne nous accompagnez pas ?

— C’est exact, confirma Thrawn. Le lieutenant-colonel Vanto et moi-même avons des commissions à faire ailleurs.

— Je vois, dit Faro.

Eli savait qu’elle ne s’était pas encore tout à fait habituée à l’idée d’être le commandant du Chimaera et il voyait bien qu’elle n’était pas complètement à l’aise avec l’idée d’effectuer aussi tôt une mission sans son amiral pour la superviser. Mais son habituelle assurance reprit vite le dessus.

— Très bien, amiral. Avons-nous des instructions particulières ?

— Bien sûr. Vous pénétrerez dans le système à bonne distance et déploierez le reste de la force d’opération. Vous rapprocherez ensuite le Chimaera de Sammun et exigerez la reddition des insurgés. D’après les renseignements dont nous disposons, ils sont protégés des assauts terrestres et aériens, mais leurs boucliers et bunkers ont peu de chance de résister longtemps aux turbolasers du Destroyer Stellaire.

— Je dois donc menacer de les attaquer, mais le véritable objectif consiste à les faire sortir de leur position ?

— Exactement. Vous aurez peut-être besoin de tirer une ou deux fois pour les persuader d’abandonner leur bastion, mais vous ne devriez pas avoir à le raser entièrement. La force opérationnelle pourrait également avoir à détruire certains des vaisseaux qui prennent la fuite, mais vous devriez parvenir à en capturer la plupart sans trop de heurts.

— Et s’ils se contentent de se déplacer dans une autre localité de la planète ?

— C’est peu probable, répondit Thrawn. Leur premier instinct sera de rechercher la sécurité et l’obscurité de l’espace.

— Compris, amiral.

Le plan était entre ses mains à présent, et Eli n’avait aucun doute quant à sa capacité à le mener à bien. Malgré son attitude désinvolte vis-à-vis du décorum, elle était plutôt intelligente et savait généralement ce qu’elle faisait.

— S’il y a une chose qu’ils ne trouveront pas, c’est bien la sécurité.

— Parfait, commandant, conclut Thrawn. Avant votre départ pour Sammun, veillez à détacher le Shyrack à mon intention et informez le commandant Brento que je lui parlerai en privé une fois que j’aurais décidé de la marche à suivre.

— Oui, amiral. Dois-je faire un compte-rendu quand j’aurai accompli ma mission ou dois-je attendre que vous établissiez le contact ?

— La seconde option est préférable, répondit Thrawn. Bonne chasse à vous.

— Et à vous, amiral.

Thrawn rangea son comlink à sa ceinture.

— Et maintenant, allons faire nos commissions.

— Oui, amiral, dit Eli, mais… hum. Avançons-nous sur terrain miné ? Donassius nous a ordonné d’aller à Sammun.

— Pas tout à fait. L’amiral de la flotte a dit que la 96e devait s’occuper de l’insurrection là-bas. Il ne nous a pas mentionnés, ni vous ni moi.

Eli grimaça. Une distinction subtile, qui, selon lui, ne plairait à personne. Mais Thrawn était amiral, et Eli était lieutenant-colonel, et il lui avait donné ses ordres.

— Très bien, amiral. Puis-je vous demander où nous allons ?

— À Batonn, évidemment, répliqua Thrawn. L’amiral Durril est persuadé qu’il récupérera l’île de Scrim sans la moindre difficulté. Je suis curieux de voir s’il a vu juste.

*

— Formation de siège standard, murmura Vanto.

Il se montrait intéressé et vigilant, mais avait refusé jusqu’à présent d’exprimer le moindre jugement sur les tactiques de l’amiral Durril.

— Encore aucune réaction en provenance de l’île, ajouta-t-il.

— Ils pourraient être en train de négocier, fit remarquer Thrawn.

Les vaisseaux sont en effet déployés en formation de siège, mais pas de manière si standard que cela. Deux croiseurs légers sont anormalement éloignés du Judicator, et Durril n’a pas lancé d’écran de chasseurs stellaires.

— Mais nous ne capterons aucun signal de communication à faisceau étroit d’ici, nuança le Chiss.

— C’est juste, approuva Vanto. Je continue à croire que quelqu’un va nous remarquer et nous ordonner de partir.

— Notre transpondeur nous identifie comme un cargo titulaire d’une licence appropriée, lui rappela Thrawn.

Un signal provient de l’une des corvettes d’inspection de Durril. Le transpondeur du cargo lui répond de la même manière. Un instant d’hésitation, un dernier signal, puis la corvette met un terme à son enquête.

— Ils doivent penser que nous attendons d’évaluer l’ampleur de la bataille avant de poursuivre vers la surface, ajouta le Chiss.

— Oui, répondit Vanto avec ironie. Quelle chance que vous ayez eu la prévoyance de choisir cet appareil pour transport…

Il haussa les sourcils et ajouta :

— Mais doit-on vraiment parler de chance ? Auriez-vous extirpé du flux des communications quelque chose susceptible de vous faire penser que nous aurions besoin d’un véhicule plus discret qu’une navette militaire de classe Lambda ?

— Je me doutais de quelque chose, répondit Thrawn.

La perspicacité et la perception de Vanto s’étaient affûtées au fil des ans. Il savait repérer des schémas récurrents à présent et déceler rapidement les raisons comme les motivations sous-jacentes.

Les raisons les plus profondes lui échappaient encore parfois. Mais il avait tout le temps. Les aptitudes tactiques du jeune lieutenant-colonel continuaient de croître, même si Vanto lui-même n’en était pas pleinement conscient. L’objectif consistait maintenant à améliorer ses qualités d’observation et à entraîner son esprit à rassembler et traiter les données de manière plus rapide. Au combat, un tel processus de décision faisait souvent la différence entre la victoire et la défaite.

Une série d’éclairs provient de la force opérationnelle au loin.

— Première salve envoyée, annonça Vanto. Turbolasers du Judicator à plein régime. Le bouclier énergétique de l’île semble résister.

— Note-t-on une diminution de ses capacités ?

— Rien que nos capteurs puissent détecter d’ici, répondit Vanto, le front plissé par la concentration. Deuxième salve envoyée. Troisième salve envoyée. On dirait que tous les vaisseaux de Durril sont en train de tirer maintenant. Toujours aucune réponse de la part des insurgés.

— Cela ne devrait pas tarder à changer, prédit Thrawn.

Les corvettes d’inspection sont maintenant ramenées en direction du Destroyer Stellaire tandis que Durril réplique à sa première tentative infructueuse pour détruire le bouclier de l’île.

— En ordonnant à tous ses vaisseaux de tirer, Durril a maintenant fait la démonstration de l’intégralité de leur puissance de feu, précisa-t-il.

— Et indiqué leurs positions avec précision, fit remarquer Vanto. Si le commandant de l’île est intelligent, il contre-attaquera avant qu’elles changent… Nous y voilà. Le bouclier semble se rétracter ; j’aperçois en partie les côtes est et ouest. Durril est encore en train de marteler le centre…

Sur l’écran principal, deux faisceaux de lumière verte irisée de rouge jaillissent des côtés de l’île.

— Tirs ioniques ! cria Vanto. Ils frappent le Judicator de plein fouet.

— Neutralisé ? demanda Thrawn

Les croiseurs légers et les frégates ont à nouveau ouvert le feu suivant en cela l’ordre de Durril de cibler les canons à ions des côtes nord et ouest.

Mais la riposte ne fut pas assez rapide. Le bouclier s’était déjà redéployé, suite aux salves des canons ioniques, et les tirs des turbolasers rebondirent dessus sans provoquer le moindre dégât. Les vaisseaux d’escorte continuèrent à tirer, les uns en direction des canons à ion désormais à l’abri, les autres vers le centre du bouclier dans une tentative de surcharger le générateur.

— Durril frappe sans réfléchir maintenant, grommela Vanto, sa retenue initiale chassée par un profond sentiment de mépris. Il a probablement ordonné à tout le monde de continuer à tirer pendant qu’il essaie de redémarrer ses systèmes. Bon, le bouclier se rétracte encore. Cette fois, c’est la côte nord qui s’ouvre…

Une fois de plus, Durril semble ne rien remarquer. En tout cas il ne réagit pas. Les vaisseaux d’escorte continuent à cibler inutilement les emplacements ouest et sud tandis qu’un canon à ions de la côte nord ouvre le feu.

— Bon sang, souffla Vanto. Parfait timing. Je ne sais pas qui est le responsable là en bas, mais il est bon.

— Des dégâts ? demanda Thrawn.

La dernière salve du canon à ions avait ciblé la frégate ainsi que deux croiseurs situés à bâbord du Judicator. Des décharges d’énergie se mirent à crépiter d’un bout à l’autre de leurs coques, endommageant les capteurs ainsi que les systèmes de ciblage et de contrôle des turbolasers.

— Vaisseaux d’escorte à bâbord touchés, signala Vanto. Il ne leur reste plus que leurs armes secondaires et leurs moteurs auxiliaires maintenant. Ils devraient pouvoir se sortir de là si Durril les libère, mais un coup de plus au bon endroit et ils partent à la dérive.

Là encore, Durril poursuit ses attaques inutiles au lieu de s’adapter aux tactiques de son adversaire. Les vaisseaux d’escorte maintiennent leurs positions alors qu’une nouvelle salve ionique est projetée depuis l’île.

Mais cette fois, alors que les rafales arrosaient le même groupe de vaisseaux d’escorte, une file de huit petits cargos stellaires se glissa hors de la bordure est du bouclier pour se diriger vers le continent, situé à trois cents kilomètres de là.

— Le Judicator a perdu ses turbolasers pour de bon, annonça gravement Vanto. Il pourrait encore disposer de sa propulsion auxiliaire, avec peut-être assez d’énergie pour se dégager de là. Mais Durril n’essaie même pas. Les deux croiseurs légers et la frégate qui ont subi la dernière attaque semblent être paralysés.

— Une attaque concentrée sur le Judicator et les vaisseaux d’escorte situés à bâbord de Durril, nota Thrawn.

Les cargos poursuivent leur vol à basse altitude au-dessus de l’eau. Leur commandant ne cesse de leur faire décrire des zigzags, tirant profit de la faible couverture nuageuse et de la réverbération de l’eau afin d’être le moins visibles possible depuis l’espace.

— Soit le flanc opposé à la direction dans laquelle il a envoyé ses cargos, précisa le Chiss.

— Des cargos ? demanda Vanto, les sourcils froncés. Où ça ?

— Ils s’éloignent de l’île en direction de l’est. Ils volent à basse altitude et à puissance réduite, ce qui les rend totalement invisibles à des vaisseaux sous le feu d’une attaque ionique.

— Et aux vaisseaux qui ne sont pas attaqués, mais qui se concentrent sur ceux qui le sont, grommela Vanto. D’accord, je les vois maintenant. Je me suis fait avoir, moi aussi.

Il lança un coup d’œil à Thrawn.

— J’en déduis que vous vous y attendiez ?

— C’était une des raisons qui pouvaient expliquer que les vaisseaux d’escorte situés à tribord soient complètement ignorés au détriment des vaisseaux à bâbord. C’est intrigant, cependant. La procédure classique aurait eu tendance à faire l’inverse : viser les vaisseaux d’escorte à tribord du Judicator afin de minimiser les potentielles réactions suite au départ des cargos.

— La route est longue jusqu’au continent, fit remarquer Vanto. Il n’y a aucun intérêt à s’échapper si tout le monde sait que vous êtes en route et où vous allez.

— En effet.

Sept des cargos se dirigent toujours vers l’est, au ras de l’eau. Le huitième, désormais assez éloigné du champ de bataille, s’élève vers l’espace. Un moment intéressant pour que le commandant scinde son convoi.

— Ce qui soulève la question de savoir ils se rendent ? continua Thrawn. En particulier celui qui s’est séparé des autres pour gagner l’espace. Quelle est votre analyse ?

Vanto réfléchit un moment.

— D’ici, je n’arrive pas à discerner s’il s’agit de cargos ou de transports de troupes, dit-il lentement. Mais ils n’ont aucune raison d’évacuer des gens de l’île au beau milieu d’une bataille, qu’il s’agisse de leurs propres troupes ou de leurs otages. Des cargos, donc. Parmi les motivations les plus évidentes d’assiéger Scrim, il y a le fait de mettre la main sur tout le matériel militaire qui y est entreposé, donc ces vaisseaux emportent probablement tout ce qui n’était pas cloué au sol. Sept se dirigent vers des cellules d’insurgés sur le continent ; et le dernier vers Denash ou Sammun ?

— Ou ailleurs.

— Oui, approuva Vanto en se rapprochant de l’écran des senseurs. Le bouclier se rétracte. On dirait qu’ils vont à nouveau ouvrir le feu sur le Judicator.

Mais cette fois, ce ne fut pas un tir de canon à ions qui fusa des côtes ouest de l’île. Ce fut le faisceau vert et intense d’une salve de turbolaser. Le tir de barrage frappa le flanc tribord du Judicator et transperça la coque en métal.

Vanto retint sa respiration.

— Bon sang. Un turbolaser ? Donassius n’a jamais dit que l’île était équipée de turbolasers opérationnels !

— Il n’était peut-être pas au courant.

Une seconde traînée de feu traverse l’atmosphère en scintillant, déchargeant une fois de plus son énergie contre le vaisseau amiral de Durril. Une fois de plus, Durril ne fait rien pour contre-attaquer ou fuir.

— Le cargo qui s’éloigne de la planète est probablement sur le point de passer en vitesse-lumière. Hélez-le, ordonna le Chiss.

Vanto lui décocha un regard étonné.

— Vous me demandez de le héler ?

— Oui. Un signal à faisceau étroit bien sûr, pour que la conversation reste privée. Nous sommes le Nœud Coulant, et vous êtes Horatio Figg, un contrebandier spécialisé dans le trafic d’armes.

La confusion passagère de Vanto se dissipa pour laisser place à la compréhension.

— C’était donc ça la raison pour laquelle vous nous avez mis dans un vaisseau confisqué à des contrebandiers ! J’achète ou je vends ?

— Ce que vous voulez, tant que ça nous vaut une invitation à visiter leur base.

— Une invitation dans leur base, répéta Vanto avant de prendre une profonde inspiration. D’accord, allons-y.

Il pianota sur le système comm et sélectionna un faisceau étroit.

— Cargo non identifié, ici le cargo Nœud Coulant. Vous avez l’air en mauvaise posture, besoin d’aide ?

Pas de réponse.

— Encore une fois, dit Thrawn tout bas.

Vanto hocha la tête.

— Laissez-moi tourner ça autrement, cargo. J’ai l’impression que vous avez de la marchandise toute fraîche dans vos soutes. J’ai aussi l’impression que vous souhaitez la garder. Vous voulez être courtois ou vous préférez que j’appelle les Imps ?

— N’y pense même pas, Nœud Coulant.

Grave et courroucée, la voix est à la fois menaçante et suspicieuse.

— Ah… mais j’y pense pas ! lui assura Vanto. J’essaie juste d’entamer une conversation amicale. Si j’me trompe pas au sujet de votre cargaison actuelle, il y a peut-être des choses là-dedans dont je pourrais vous soulager.

— Oublie. C’est déjà réservé.

— Bon, dit Vanto. Dans ce cas, vous seriez pt’être pas contre une cerise sur votre nouveau gâteau ?

Il y eut une longue pause.

— Tu vends ?

La voix est toujours suspicieuse, mais laisse deviner un nouvel intérêt prudent.

— Un peu de tout, indiqua Vanto. Comme vous avez frappé une base militaire et pas un trafiquant d’épices, j’imagine que vous êtes surtout intéressés par les armes ?

Il y eut un autre silence à l’autre bout.

— Peut-être, dit finalement la voix. Mon patron dit qu’il veut te parler.

Un voyant se mit à clignoter sur le tableau de bord.

— Je viens de t’envoyer les coordonnées. Saute dès que t’es prêt.

— Bien reçu. J’y serai.

Vanto coupa la communication.

— Bon, eh bien difficile de dire si on a fait illusion ou non. Et maintenant ?

— On se prépare à le suivre, indiqua Thrawn.

— Vous voulez dire, tout de suite ? Et le Judicator ?

Une troisième salve de turbolaser laboure les flancs du Destroyer Stellaire. Les quatre vaisseaux d’escorte intacts tirent en direction de l’arme, mais il est trop tard une fois de plus, car le bouclier de l’île s’est déjà refermé. Les attaques suivent un schéma récurrent, mais Durril ne réussit pas à le voir ou à l’exploiter.

— Il n’y a rien que nous puissions faire pour eux, dit Thrawn. J’ai déjà transmis un signal de détresse au nom de l’amiral Durril. Il est plus utile que nous portions nos efforts ailleurs.

— Compris, dit Vanto, frustré, mais lucide vis-à-vis de la situation.

Le bouclier se rétracte à nouveau, à partir de la côte est cette fois. Les vaisseaux d’escorte changent d’angle de tir et visent l’emplacement du canon à ions exposé. C’est à peu près la même tactique que Durril a essayée plusieurs fois.

Mais comme on pouvait s’y attendre, le commandant de l’île, lui, change de tactique. Aucun tir de canon à ions n’en jaillit. Alors que les vaisseaux impériaux continuent à faire feu, le bouclier se rétracte à nouveau au-dessus de la côte ouest, sans que les forces de Durril, préoccupées et malmenées, s’en aperçoivent. Les escorteurs continuent à arroser les emplacements à l’est lorsqu’un nouveau tir de barrage des canons à ions occidentaux les réduit au silence.

— Étrange, dit Vanto.

— Expliquez.

— Notre ami dans le cargo. Il est assez loin pour sauter maintenant, mais il ne l’a pas encore fait. Je me demande s’il a un problème avec son hyperdrive.

— Peut-être, dit Thrawn. Quelles autres possibilités voyez-vous ?

— Il pourrait aussi attendre de voir comment progresse la bataille, suggéra Vanto. Il récupère un maximum de données avant de sauter. Ou peut-être qu’il envoie – ou reçoit – des instructions de dernière minute.

Le cargo tressaillit dans un vague mouvement et disparut.

— J’imagine qu’il a eu ce qu’il voulait. On le suit ?

Sur l’île, le bouclier se rétracte une nouvelle fois pour exposer le turbolaser des insurgés. Mais les vaisseaux impériaux ne sont plus en mesure de riposter de manière opportune. Comme avant, le Judicator est la cible de l’attaque.

Neutraliser, attaquer, feindre, attaquer. Le schéma était plutôt efficace, minuté à la perfection.

— Vous avez des doutes ?

— Je ne sais pas, répondit lentement Vanto. Il nous a refilé ces coordonnées bien trop facilement. Ce pourrait être un piège.

— C’est vrai, admit Thrawn. D’un autre côté, je doute qu’il ait été assez stupide pour révéler le véritable emplacement de sa base. Il est plus probable qu’il s’agisse d’un point de rendez-vous où il pourra nous étudier de plus près.

— Pas sûr que ce soit mieux.

— Il y a des risques, concéda Thrawn. L’issue dépendra de leur besoin ou non en nouvelles armes. Permettez-moi de suggérer une autre raison possible à leur départ différé. Dites-moi, que font les sept autres cargos ?

— Les sept autres ? Ah, oui… Le reste du groupe, comprit Vanto avant de réajuster ses capteurs. Ils se dirigent toujours vers le continent. Mais… Intéressant. Leurs vecteurs divergent à présent. Ils ne vont plus vers un seul et unique endroit, mais dans sept directions différentes.

— Si un observateur impérial était en train de les regarder, il aurait à présent le choix. Il pourrait tenter de suivre le huitième cargo dans l’espace, ou rester ici et pister les sept vaisseaux vers les autres centres de résistance des insurgés.

— Vu la façon dont le huitième a attiré toute l’attention sur lui, il y a de grandes chances pour qu’il attende de voir à quelle vitesse on le suit.

— Ou si on le suit tout court. Si vous étiez responsable, que choisiriez-vous ? Le groupe de sept, ou le huitième ?

Les tirs du turbolaser de l’île continuent de déferler sur le Judicator, déchirant sa coque et détruisant ses armes. Les canons à ions se joignent à lui, projetant un nouveau tir de barrage en direction des vaisseaux d’escorte pour les empêcher de venir en aide au Destroyer.

— J’irais probablement… Attendez une minute, dit Vanto, comprenant soudain. Je n’ai pas à choisir, n’est-ce pas ? Vous aviez déjà deviné que nous aurions besoin de renforts, ce qui explique pourquoi vous avez demandé à ce que le Shyrack soit détaché de la 96e. J’imagine qu’il rôde quelque part dans le coin ?

— En effet, répondit Thrawn. Excellent. Le commandant Brento observe la planète, et a donc les sept cargos bien en vue. Nous pouvons donc nous tourner vers le huitième.

— Bon.

Vanto lança un dernier regard vers l’écran des capteurs, clairement réticent à laisser la 103e prisonnière d’une situation désespérée.

— D’accord, allons-y.