Chapitre 13

Aucun plan de bataille ne permet d’anticiper toutes les éventualités. Il y a toujours des facteurs inattendus, y compris ceux qui viennent de l’initiative de l’adversaire. Une bataille devient alors un équilibre subtil entre organisation et improvisation, intellect et réflexe, erreur et correction.

La frontière est mince. Mais cette frontière s’applique aussi à l’adversaire. Si l’expérience et l’intelligence des deux adversaires se valent, c’est souvent le combattant qui agit le plus vite qui l’emporte.

 

 

— Que tous les vaisseaux se dispersent ! tonna l’amiral Gendling de l’autre côté de la passerelle de commandement. Virage à cent quatre-vingts degrés. Préparez-vous au combat.

Eli grommela dans sa barbe. Qu’est-ce que ce clown d’amiral pensait qu’ils étaient en train de faire ?

Mais parmi les officiers du Sphex d’Orage, il y en avait au moins un qui ne semblait pas avoir pris cet ordre comme un affront : le commandant Cheno se tenait droit comme un i sur la passerelle, la tête haute et les épaules en arrière. C’était sa chance – peut-être la dernière – de se distinguer au combat.

— Turbolasers, tenez-vous prêts, lança-t-il. Timonier, placez-nous juste au-dessus de la poupe du Prééminent. Artilleurs, votre mission consiste à intercepter et détruire les chasseurs ennemis qui cibleront notre vaisseau.

Des « bien reçu » s’élevèrent en chœur des postes d’équipage.

— On dirait que son vœu a fini par se réaliser, murmura Eli à Thrawn.

— Non.

— Je vous demande pardon ?

— Son souhait était de se battre contre les Umbarans, fit remarquer le Chiss. Mais cette attaque ne vient pas d’eux.

— Elle vient d’une lune umbarane, argumenta Eli en essayant d’éliminer toute trace de sarcasme de sa voix.

La confiance inébranlable de Thrawn l’irritait parfois.

— Le système entier grouille d’Umbarans, poursuivit-il. Et les chefs umbarans ne sont pas en train de crier à Gendling qu’ils n’ont rien à voir là-dedans en le suppliant de ne pas tirer.

— Parce qu’ils ne s’estiment pas encore en position de faiblesse, expliqua Thrawn. Ils attendent de voir si l’attaque nous laissera suffisamment affaiblis pour tenter de nous défier à leur tour.

Eli secoua la tête.

— Mais comment savez-vous tout cela ?

— Artillerie : feu ! ordonna Cheno.

La passerelle du Sphex d’Orage fut illuminée par des éclairs de lumière verte au moment où les tirs de turbolasers fusèrent en direction des chasseurs en approche. Les quelques droïdes Vautour touchés explosèrent instantanément et partirent en fumée. Mais la majorité d’entre eux parvint à éviter sans peine l’attaque du croiseur.

— Tirez à nouveau ! s’écria Cheno. Et cette fois, touchez-les.

— Ils sont trop petits, commandant, répondit Osgoode, l’officier d’artillerie. Nous allons devoir attendre qu’ils se rapprochent.

Avant même que Cheno puisse répondre, les droïdes Vautour ripostèrent.

— Boucliers déflecteurs ! s’écria le commandant d’un ton sec.

Eli remarqua qu’une certaine tension commençait à envahir sa voix.

Cela n’avait rien d’étonnant. En théorie, les droïdes Vautour auraient dû faire pâle figure à côté des vaisseaux de l’Empire. Mais il y en avait un sacré paquet !

Les canonniers du croiseur faisaient de leur mieux. Mais ils ne pouvaient pas grand-chose contre l’essaim de droïdes en approche. Ces petits vaisseaux étaient trop rapides, trop distants et trop agiles. Le Sphex d’Orage continua de tirer, mais seules quelques décharges atteignirent leur cible.

En attendant, la riposte des droïdes Vautour mettait à mal la coque du Sphex d’Orage. Perçant des failles dans les boucliers saturés du croiseur, les chasseurs parvenaient à détruire la plupart de ses senseurs et de ses armes.

Pour l’instant, le Prééminent semblait tenir le coup, mais les deux corvettes de classe Raider subissaient un pilonnage encore plus violent que le Sphex d’Orage.

Pourtant, le commandant Cheno restait planté sur la passerelle de commandement. Immobile. Silencieux.

Dépassé.

Impuissant.

Eli jeta un coup d’œil à Thrawn. Le Chiss se tenait également immobile, le visage aussi impassible que celui de Cheno.

Mais ce qu’il lut dans ses yeux lui donna des frissons. Le Chiss voyait quelque chose. Au cœur du chaos et de toute la destruction, il voyait quelque chose.

Soudain, Thrawn eut l’air de prendre une décision.

— Qui s’est déjà battu contre des droïdes Vautour, ici ? demanda-t-il.

— Moi, commandant, répondit le lieutenant Hammerly en levant la main.

— Poste turbolaser numéro un, lieutenant, ordonna Thrawn.

— Commandant ? demanda Hammerly, en attendant la confirmation de Cheno.

— Allez-y, ordonna Cheno d’un ton grave. Lieutenant en second des senseurs, vous…

— Je vais prendre le poste du lieutenant en chef des senseurs, l’interrompit Thrawn. Aspirant Vanto, avec moi.

Quelques secondes plus tard, Thrawn était assis devant la console d’Hammerly. Debout derrière lui, Eli faisait de son mieux pour dissimuler son angoisse. Comme si cela ne suffisait pas de se faire réduire en miettes par des assaillants incontrôlables, il fallait que Thrawn se permette d’usurper le pouvoir du commandant en jetant des ordres à la cantonade sans l’aval de Cheno. Eli se remémora le commandant Rossi et l’amiral Wiskovis ainsi que leurs réactions face au mépris désinvolte du Chiss pour le protocole hiérarchique.

— Et maintenant, on fait quoi ? chuchota Eli à Thrawn. Est-ce que vous saviez que Hammerly avait déjà combattu ?

— Il me fallait un prétexte pour récupérer son poste, répondit le Chiss à voix basse. J’ai étudié les droïdes Vautour, aspirant. En général, ils ne sont pas aussi efficaces au combat.

Eli observa l’écran. Les chasseurs s’étaient rapprochés des quatre vaisseaux impériaux et, fourmillant tout autour d’eux, les arrosaient sans relâche tout en parvenant sans problème à esquiver la contre-attaque des défenseurs.

— Eh bien, ils n’ont pas été conçus pour agir intelligemment par eux-mêmes. Des vaisseaux avec seulement quelques manœuvres et modèles de combats préprogrammés, envoyés en très grand nombre pour submerger leurs cibles…

— Là-bas ! s’écria Thrawn en pointant quelque chose du doigt. Ce groupe de quatre. Vous l’avez vu ?

Eli fronça les sourcils.

— Non.

— Les émissions de leurs moteurs ont brusquement augmenté, ce qui leur a permis d’accélérer, expliqua Thrawn. Pourtant, ils n’avaient aucune raison d’aller plus vite. Ils parvenaient déjà à éviter notre attaque de manière efficace.

— D’accord, répondit Eli, le front plissé.

Le groupe que Thrawn avait repéré se faufila à travers les tirs de turbolaser puis entama un demi-tour pour revenir à la charge…

Eli se raidit. Là.

— Cette fois, j’ai vu.

— Bien, dit Thrawn. Regardez comme leur style de combat change également. Au lieu de choisir et de viser des points vulnérables, ils tirent n’importe où, sans faire de distinction entre les cibles.

— Je vois ça, répondit Eli.

Les changements dans le style de combat étaient subtils, mais maintenant qu’il savait où regarder, ils étaient bien visibles.

— Mais qu’est-ce que cela veut dire ? voulut-il savoir.

— Vous m’avez dit vous-même que ces droïdes n’étaient pas intelligents. Comprenant qu’un chasseur seul ne survivrait pas longtemps, leurs créateurs les ont donc programmées pour être des armes de submersion.

— Qui consomment leurs ressources en moins de deux, sans aucune stratégie sur le long terme ? demanda Eli, l’air perplexe. Vous êtes sûr ?

— Observez les courbes des nacelles de combat. La forme des rayures, la position des canons. Des armes comme celles-ci sont non seulement fonctionnelles, mais incorporent aussi la dimension artistique de leurs créateurs. Les êtres qui ont créé et construit ces droïdes favorisent les réponses courtes et rapides aux problèmes et questions qui se posent.

— Je vais vous croire sur parole, répondit Eli.

L’explication de Thrawn semblait ridicule, mais ce n’était pas la première fois qu’il voyait le Chiss tirer des conclusions obscures à partir de détails tout aussi imperceptibles.

— Où est-ce que tout cela va nous conduire ? ajouta-t-il.

— Ces engins sont conçus pour se déplacer en essaim, reprit Thrawn. Mais ils n’exécutent cette tactique que par intermittence. Ce qui nous mène à la conclusion que…

Il marqua une pause et attendit.

— … que le reste du temps ils sont commandés à distance par quelqu’un, répondit soudain Eli qui comprenait enfin où Thrawn voulait en venir. Depuis la lune extérieure ?

— C’est de là qu’ils ont été lancés. Mais ce n’est pas de là-bas qu’ils sont commandés. Les changements ont lieu au moment où les droïdes traversent l’ombre de transmission de l’un de nos vaisseaux.

— Donc si nous parvenons à trouver et à analyser toutes les ombres, nous pourrons remonter jusqu’au transmetteur, s’enthousiasma Eli. Et vous êtes venu ici parce que vous aviez besoin de la station des senseurs pour effectuer ce genre de calculs ?

— Précisément.

Tandis que la dernière pièce du puzzle se mettait en place, Eli sentit ses lèvres se plisser. En taisant ainsi son raisonnement et sa conclusion, Thrawn espérait laisser plus de crédit au reste de l’équipage du Sphex d’Orage. Et par extension, au commandant Cheno. Sa dernière chance de se distinguer au combat.

— Qu’attendez-vous de moi ? demanda Eli.

— Je vais effectuer les calculs et combiner les emplacements avec les vecteurs. Vous allez repérer les autres zones d’ombre et noter leurs coordonnées.

— Bien.

Eli jeta un coup d’œil à l’écran et grimaça en voyant tous les points rouges qui indiquaient les dégâts majeurs causés aux vaisseaux impériaux.

— Faites vite, ajouta-t-il.

Les deux minutes qui suivirent traînèrent en longueur. Eli scruta le champ de bataille de long en large et remarqua à trois reprises les changements subtils qui indiquaient qu’un chasseur se mettait à voler par lui-même. Il n’avait aucune idée du nombre de droïdes que Thrawn avait identifiés dans le même laps de temps, mais le Chiss avait brusquement tourné la tête vers son clavier pas moins de dix fois.

— Corvette abattue !

Eli regarda l’écran, l’estomac noué. La corvette Raider avait disparu pour laisser place à un nuage tourbillonnant de métal fracassé et de débris fumants.

— Commandant ? murmura-t-il, la voix tendue.

— Fait.

Thrawn appuya sur un dernier bouton.

Et brusquement, des curseurs jaune vif apparurent sur l’écran d’affichage planétaire.

— Commandant Cheno ? appela Thrawn en direction de la passerelle de commandement. Il me semble que nous avons isolé le transmetteur basé au sol qui coordonne l’attaque. Je vous suggère de communiquer cette information à l’amiral Gendling et de lui demander de cibler et de détruire cet émetteur.

— Mais qu’est-ce que vous racontez ? demanda Cheno, le front plissé. Quel transmetteur ?

— Celui qui fournit des données tactiques aux droïdes Vautour. Les turbolasers du Prééminent sont les seuls capables d’atteindre la surface de manière efficace.

— Je comprends, répondit le commandant.

Eli avait de sérieux doutes à ce sujet, mais Cheno savait qu’il avait tout intérêt à suivre les conseils de son commandant en second.

— Officier comm : contactez le Prééminent. Prévenez l’amiral que je dois lui parler immédiatement.

Eli poussa un long soupir de soulagement. Thrawn était encore intervenu avec succès et ce serait bientôt terminé.

Sauf que cette fois, rien n’était moins sûr.

— Ridicule ! lâcha l’amiral Gendling d’un ton moqueur. Quand bien même ces chasseurs seraient contrôlés à distance et n’auraient pas été simplement reprogrammés, il n’y a aucune chance que vous ayez pu localiser le transmetteur.

— Amiral, comme je l’ai expliqué…

— Et je ne vais sûrement pas tirer au hasard sur une ville habitée sur les seules suppositions hasardeuses d’un officier de second rang, l’interrompit Gendling. Moins de bla-bla, commandant. Plus d’action.

Eli grimaça. En général, le fait de ne pas tirer au milieu de civils était une vision du combat plutôt raisonnable. Plus raisonnable à vrai dire que ce qu’il aurait imaginé chez de nombreux officiers impériaux.

Mais dans ce cas, l’attaque suggérée ne relevait en rien du hasard, et l’absence d’action risquait de leur coûter très cher.

— Et maintenant ? demanda-t-il à Thrawn.

Le Chiss observa l’écran en silence un long moment. Puis il tendit de nouveau la main vers le clavier et entra une nouvelle commande.

Une série de triangles gris mobiles apparut à la fois sur l’écran des senseurs et sur l’écran tactique.

— Transmettez à tous les vaisseaux, ordonna-t-il à l’officier des communications. Les triangles gris indiquent les ombres de transmission où les droïdes Vautour se reposent sur leur programmation. Dans le périmètre de ces ombres, ils seront plus vulnérables et donc plus faciles à détruire.

Il éleva la voix :

— Lieutenant Hammerly ?

— Je m’en occupe, commandant, répondit-elle.

Sur l’écran tactique, quatre droïdes qui volaient à travers l’ombre du Sphex d’Orage se désintégrèrent, pulvérisés par quatre tirs de turbolaser.

— C’était ce que vous aviez en tête, commandant ?

— En effet, acquiesça Thrawn. Bien joué.

— Tous les vaisseaux confirment avoir reçu notre transmission, ajouta l’officier des communications. Les canonniers changent de tactique.

Et grâce à cela, la situation commença enfin à tourner en leur faveur.

Mais ce fut sanglant. Au final, la seconde corvette de Gendling échappa à la désintégration, mais elle sortit des combats gravement endommagée, avec quasiment la moitié de son équipage mort ou blessé. Le Sphex d’Orage et le Prééminent étaient en meilleur état, mais les deux vaisseaux allaient avoir besoin de passer un moment dans un chantier naval avant d’être à nouveau aptes au combat.

Tous les droïdes Vautour avaient été détruits. Les Umbarans s’étaient rendus sans négocier. Les escouades de stormtroopers du Prééminent avaient débarqué au sol et supervisaient la capitulation des insurgés.

Et l’amiral Gendling était furieux.

*

— Vous avez de la chance que je ne vous inculpe pas sur-le-champ, commandant, gronda l’amiral.

L’expression de son visage trahit un sentiment de gêne et de culpabilité. Il y a de la sévérité et de la colère dans sa voix.

— Vous n’avez aucun droit – aucun ! – d’usurper l’autorité et le commandement d’un amiral comme vous l’avez fait, ajouta-t-il.

— Je suis désolé que vous le preniez comme ça, amiral, répondit le commandant Cheno.

Le ton de sa voix est tendu, mais déterminé.

— J’essayais seulement de rattraper la situation le plus efficacement possible et de sauver l’issue de la bataille. Et quelques vies, accessoirement.

— Vous vous moquez de moi, commandant ? demanda l’amiral Gendling. Parce que si c’est le cas, sachez que, l’Empereur m’en est témoin, je vous piétinerai si vite et si fort qu’il faudra nettoyer ce qui reste de votre carrière à la petite cuillère. Et puis-je savoir qui se cache derrière cette brillante idée, d’abord ? Je sais bien que cela ne peut pas venir de vous.

Le commandant Cheno garde son calme et sa détermination.

— C’est moi qui ai ordonné que cette information soit transmise au Prééminent et à la corvette restante, répondit Cheno en insistant légèrement sur le dernier mot. Quant à la découverte de la faiblesse de l’ennemi, elle a été le fruit d’un effort commun de mon équipage.

Après une longue réflexion, le regard de l’amiral Gendling se tourna vers Thrawn.

Les muscles de ses bras et de son torse sont contractés.

— Votre commandant en second s’est forgé une sacrée réputation, lança-t-il à Cheno. Peut-être est-ce à lui que je devrais demander qui a eu l’idée du transmetteur ?

— Ou vous pourriez vous adresser à moi directement, rétorqua Cheno. Comme vous l’avez dit, un commandant parle au nom de son équipage.

Gendling continua de dévisager Thrawn pendant trois secondes. Puis ses yeux revinrent sur Cheno.

— Je vais détruire votre carrière, commandant. Je m’approprierais bien votre vaisseau également, mais, de toute évidence, un arriviste deux fois plus jeune que vous s’en chargera.

— Si cet arriviste est méritant, grand bien lui fasse.

Gendling sourit avec méchanceté et fierté.

— Ce n’est pas terminé, commandant. Soyez-en sûr. Je vous reverrai à la cour martiale. Rompez.

Le commandant Cheno retourne à la navette en silence. Ce n’est qu’une fois à bord et en vol qu’il finit par s’exprimer.

— Bon.

Sa voix est teintée de lassitude.

— Il semblerait que ma carrière ne se terminera pas aussi calmement que prévu.

— Vous n’êtes pas obligé de me protéger, lui dit Thrawn. Les archives du Sphex d’Orage viendront confirmer ses soupçons.

— Sans doute. Mais des archives, ça se modifie, vous savez.

— Non, je ne le savais pas.

— Ce n’est pas simple, bien entendu.

Cheno esquisse un petit sourire.

— Et c’est encore moins légal, poursuivit-il. Peu importe. Comme il l’a dit, vous avez une réputation. Et surtout, il ne peut pas vraiment faire remonter tous les détails de votre soi-disant entrave au protocole sans exposer sa propre incompétence. Non, il se contentera de détruire ma carrière et vous laissera tranquille, vous et le reste de l’équipage du Sphex d’Orage.

— Ce n’est pas juste ni décent.

— Non, mais c’est la réalité. Encore une fois, ma carrière importe peu. Ce qui importe, c’est l’avenir de la Marine Impériale.

Il fait un geste en signe de respect et d’admiration.

— Vous êtes cet avenir, Thrawn. Ce fut un privilège d’être votre commandant.

— Merci, commandant. J’ai énormément appris en servant sous vos ordres.

— J’en doute.

Il emploie un ton caustique, sans amertume ni ressentiment.

— Mais je vous remercie. Et moi aussi, j’ai énormément appris.

*

Eli s’attendait presque à ce que la navette revienne vide et que ses deux passagers aient été consignés dans les geôles du Prééminent. À son grand soulagement, Cheno et Thrawn émergèrent tous deux de la baie d’amarrage. Cheno murmura quelque chose au Chiss puis se dirigea vers la passerelle. Thrawn regarda partir le turbo-ascenseur du commandant puis fit signe à Eli de le rejoindre.

— Aspirant, le salua-t-il calmement. J’imagine que vous souhaitez savoir comment s’est passée notre entrevue avec l’amiral Gendling ? En résumé : pas très bien.

— Cela ne m’étonne pas, répondit Eli avec une grimace.

Cette expression sur le visage de Cheno au moment où il avait quitté la baie d’amarrage…

— J’en déduis que le commandant en a fait les frais, devina-t-il.

— Oui. D’une part parce qu’il était aux commandes pendant la bataille. Et d’autre part parce qu’il a tenté de dissimuler mon rôle dans le dénouement.

— Donc juste parce qu’il a commis une faute, Gendling se défoule sur vous ? gronda Eli. Je pensais qu’il n’y avait que les politiciens qui étaient capables d’autant de bêtise et de méchanceté.

— J’ai croisé des personnes de ce type dans tous les domaines d’activités, affirma Thrawn. Votre recherche a-t-elle porté ses fruits ?

— Peut-être.

Eli tendit son datapad au Chiss.

— L’immeuble duquel le transmetteur opérait appartient à un groupe d’humains. Les habitants locaux ne connaissent pas leurs noms et n’ont su me donner aucune description qui puisse m’être utile. Mais une chose est sûre : vous aviez raison sur le fait qu’aucun Umbaran n’est directement impliqué dans cette attaque.

— Je doute que l’amiral Gendling ne prenne cette information en considération.

— Personne ne la prend en considération, répondit Eli amèrement. Comme l’agitation et les troubles étaient concentrés dans les districts miniers, Gendling a déjà demandé à ce que l’Empire prenne le contrôle immédiat de l’intégralité des mines et des raffineries d’Umbara.

— Intéressant. Avez-vous trouvé des indices prouvant que Nightswan était directement impliqué ?

— Le transmetteur était contrôlé par des humains. C’est tout ce que je peux vous dire pour l’instant.

— Cependant, nous savons que Nightswan a été impliqué ailleurs dans de la contrebande de minerai et de métaux. Dites-moi, les gisements umbarans ont-ils de la valeur ?

— Oui, beaucoup, répondit Vanto.

Il reprit son datapad et fit quelques recherches.

— On y trouve plusieurs métaux de valeur. Dont un métal clé : le doonium.

Thrawn prit un moment pour réfléchir.

— Y a-t-il un moyen de calculer le taux de réussite que connaît chaque système dans sa lutte contre les contrebandiers ?

— On peut obtenir une idée générale, en tout cas. Il suffit de prendre un produit facilement identifiable – les mollusques de Paklarn, par exemple – et de comparer les quantités légalement transportées à celles des ventes globales. Les chiffres sont assez approximatifs et ils ne s’appliquent pas à tous les types de produits. Mais comme je l’ai dit, cela vous donne une idée générale.

— Entendu, répondit Thrawn. Est-ce que vous disposez des chiffres pour Umbara ? Si c’est possible, j’aimerais connaître le taux de réussite, en pourcentage, concernant le trafic de minerai ou de métaux rares.

Eli chercha les chiffres demandés et fit un rapide calcul mental.

— Le pourcentage est très bon. Environ quatre-vingt-dix pour cent.

— Et le pourcentage pour un monde comparable, mais contrôlé par l’Empire ?

Eli acquiesça et lança la recherche sur son datapad.

— Apparemment… Ouah ! Entre soixante-cinq et soixante-dix pour cent. Cependant, d’après mon expérience familiale, je dirais plutôt dans les quarante à quarante-cinq pour cent.

— Il semblerait qu’on ait trouvé la raison de cette attaque, en déduisit Thrawn. La finalité d’un assaut clairement futile sur une force impériale. L’objectif de Nightswan était donc que l’Empire prenne le contrôle des mines d’Umbara.

— Parce que c’est plus simple pour lui et ses trafiquants de duper les inspecteurs impériaux que de duper les Umbarans.

Eli soupira et ajouta :

— Je dois reconnaître que ce genre de manœuvres sournoises est tout à fait digne de Nightswan. Mais nous ne sommes même pas encore sûrs qu’il soit impliqué.

— Cela ne fait plus aucun doute. Il est impliqué. Qui d’autre m’aurait invité ici pour me faire la démonstration de son savoir-faire ?

Eli cligna des yeux.

— Il a fait quoi ?

— Cela semble évident. Il a mis en place cette combine aux mollusques dans une zone où il savait que le Sphex d’Orage patrouillait. Il a fait en sorte que le nom d’Umbara soit mentionné en présence des contrebandiers. Il connaissait mon intérêt pour les armes de la Guerre des Clones et s’est assuré que le nom Nightswan figure sur au moins l’un des bons de commande.

— Intéressant, murmura Eli.

De prime abord, à entendre Thrawn suggérer une chose pareille, il aurait pu le croire en plein délire égocentrique.

Mais le Chiss se trompait rarement sur les questions tactiques. Et Nightswan n’avait rien d’un stratège ordinaire non plus. Il était tout à fait possible qu’il ait orchestré un tel subterfuge uniquement pour le défi qu’il représentait.

— Eh bien, si c’est lui, il a loupé son coup.

— Pas du tout, répondit Thrawn d’une voix sombre. J’ai déjoué son attaque de droïdes Vautour, mais son réel objectif n’était pas de remporter cette manche.

— La reprise des mines par l’Empire.

— Ou alors la reprise n’est qu’une étape. Cela aurait pu être son objectif final s’il n’avait été qu’un contrebandier. Mais il est plus que cela.

— Ah, qu’est-il d’autre, alors ? voulut savoir Eli.

— Je l’ignore encore. Peut-être que ses activités ont pour but de mener à une confrontation ou à une solution politique sur une planète ou dans un système, quelque part. Peut-être également qu’il cherche à se venger ou à humilier une personne ou une organisation. Mais quels que soient ses objectifs et ses motivations, c’est un suspect en puissance.

— Dans ce cas, nous avons intérêt à le surveiller de près, conclut Eli. Tôt ou tard, il devra bien refaire surface.

— Correction, aspirant : tôt ou tard, il décidera de refaire surface.