Chapitre 17

Il existe trois façons de tuer un tusklan sauvage.

Le chasseur lambda utilise une arme de gros calibre. La méthode, si tout se passe comme prévu, est rapide et efficace. Mais si aucun organe vital n’est touché au premier tir, le tusklan peut attaquer le chasseur avant même le second essai.

Le chasseur averti se sert d’une arme de plus petit calibre. Cette méthode permet rarement d’abattre l’animal du premier coup, mais le deuxième, troisième ou quatrième tir peut lui être fatal. Toutefois, si le calibre choisi est trop petit, les tirs n’atteindront pas d’organes vitaux et le tusklan triomphera une fois encore du chasseur.

Le chasseur expert ne porte aucune arme visible. Il envoie un millier de mouches piqueuses assaillir le tusklan de toutes parts. La méthode est lente et implique que la peau soit détruite. Mais le tusklan finit par succomber.

Et il meurt sans avoir compris d’où venait l’attaque.

 

 

Eli soupira en regardant l’écran du diffuseur de navigation situé dans le bureau de Thrawn. À chaque jour sa situation de crise.

Une nouvelle tempête dans un verre d’eau.

— De quoi s’agit-il, cette fois, commandant ? demanda-t-il.

— Il semblerait que ce soit une dispute territoriale, aspirant, répondit Thrawn.

Eli serra les dents. Aspirant. Thrawn lui avait promis une promotion qu’il méritait depuis longtemps déjà. Et tous deux en avaient parfaitement conscience. Mais pour l’instant, rien n’avait changé.

Et Eli était le seul à savoir pourquoi.

Lui revint en mémoire ce bref entretien qu’il avait eu par le passé avec Culper, la larbine du Moff Ghadi. Il y repensait souvent. À l’époque, il n’avait vu dans les propos de Culper, qui le menaçait de freiner sa carrière dans la Marine, que de la grandiloquence vide de sens destinée à l’effrayer.

Mais comme le dit le dicton, ça n’est pas du bluff si l’on a du jeu. Et le Moff Ghadi avait assurément du jeu.

Et aussi fin stratège que fût Thrawn, il ignorait tout des arcanes de la politique de Coruscant.

— Nous avons d’un côté le clan afe, des indigènes de Cyphari, poursuivit Thrawn. Et de l’autre des colons humains vivant dans une enclave en bordure du territoire afe. Les colons prétendent subir des raids de la part des Afes. Ils réclament des concessions ainsi que la mise en place d’une zone tampon qui réduiraient le territoire du clan de moitié et qui contraindraient ce dernier à reculer vers des secteurs contrôlés par d’autres Cypharis. Les Afes arguent qu’ils vivent sur ces terres depuis des siècles et affirment que leurs attaques ne sont que des représailles en réponse aux intrusions et aux raids des humains.

Eli réprima un nouveau soupir.

— Et pourquoi sommes-nous ici ?

— Parce que j’ai demandé cette mission, répondit Thrawn. Et que j’ai reçu l’assistance et le soutien du colonel Yularen.

— Je vois, murmura Eli.

Et l’appui de l’Empereur ?

Probablement. Les liens qui unissaient Thrawn à Yularen n’étaient pas habituels entre les officiers de la Marine et le BSI, et Eli avait longtemps soupçonné là l’intervention secrète de l’Empereur. C’était logique. La liberté de navigation nécessaire au travail de collecte de données de Thrawn était facilitée par Yularen. De plus, le Haut Commandement faisait preuve d’une profonde inertie. En retour, Thrawn notait des détails utiles aux enquêtes du colonel, particulièrement ceux concernant l’énigme que constituait Nightswan.

Mais ces arrangements et les avantages qu’ils offraient ne passaient pas inaperçus. Eli croisait parfois le regard inquisiteur de certains officiers et percevait dans des communications procédurales avec le Sphex d’Orage du ressentiment ou de la jalousie.

Thrawn, naturellement, semblait ne rien remarquer hormis les privilèges.

— Là, dit Thrawn en contournant son bureau. Que voyez-vous ?

Eli se pencha davantage. S’affichait sur l’écran un listing des expéditions de la planète durant les six derniers mois ainsi que les différents types de cargaisons. Il le parcourut des yeux. Son cerveau triait, associait et analysait automatiquement les informations…

Il eut un léger sourire.

— Des crustacés.

— Précisément, dit Thrawn. La quantité de crustacés exportés a pratiquement doublé ces quatre derniers mois.

— Au moment précis où a débuté la dispute territoriale ?

— Le conflit s’intensifie depuis environ huit mois, dit Thrawn. Mais la recrudescence d’intrusions dans les territoires voisins remonte à cette date. La pétition a été envoyée à Coruscant un mois après.

— Les humains ont des métaux précieux qu’ils passent en contrebande, dit lentement Eli alors qu’il assimilait les informations. Probablement parce qu’ils ont découvert un nouveau filon il y a huit mois de cela.

Il regarda Thrawn avec insistance

— Sous le territoire des Afes ? ajouta-t-il.

— Ce qui expliquerait les soudaines exigences des colons à propos de la terre des Afes.

— Ils se chargent eux-mêmes de la contrebande pendant un temps, poursuivit Eli. Puis quelqu’un fait venir Nightswan. Ce dernier leur apprend comment s’y prendre, ils se mettent à dissimuler leur surplus dans les cargaisons de crustacés et décident qu’il leur faut accéder de façon plus aisée au filon.

Il secoua la tête.

— C’est du travail bâclé, poursuivit-il. On aurait pu penser que quelqu’un d’aussi astucieux que Nightswan aurait fait preuve d’imagination.

— Allons, dit Thrawn sur un ton de léger reproche. Vous ne reconnaissez donc pas une invitation quand elle se présente à vous ?

Eli consulta de nouveau le listing des expéditions.

— C’est très audacieux. Et également très stupide. Il a gagné le dernier round de justesse. J’aurais cru qu’il se serait retiré du jeu à temps.

— Ah, mais a-t-il réellement remporté le dernier round ? répliqua Thrawn. Il a gagné à Umbara, nous sommes d’accord, mais nous ignorons combien d’autres confrontations lui et moi avons eues ces derniers mois. Nous ne pouvons lui attribuer que les opérations qu’il revendique.

— Je n’avais pas pensé à cela.

— Moi si, dit Thrawn d’une voix grave et profonde. Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais ces incidents sont de plus en plus fréquents dans l’Empire. Il y a une progression de la contrebande, ce qui prive Coruscant de taxes douanières. Le nombre de vols de métaux tels que le doonium est également en augmentation, précisément au moment où l’Empire s’efforce de réunir le plus de ressources possible. Des conflits comme celui-ci, entre les ressortissants d’un même monde ou entre des systèmes voisins, mobilisent l’attention et les ressources militaires. Fait encore plus remarquable : il y a un nombre croissant de troubles civils et de révoltes.

— Et vous pensez que Nightswan est derrière tout ça ?

— Tout ça ? dit Thrawn en secouant la tête. Non. Pour l’instant, aucune organisation n’est derrière toute cette agitation. Nightswan n’est pas un succédané de l’Empereur à la tête d’une armée toujours plus nombreuse de mécontents. Mais je suis certain qu’il est l’investigateur de certains de ces incidents. Et je le soupçonne d’avoir atteint son but pour une partie d’entre eux.

— Quel qu’ait pu être son but, songea Eli. Et aujourd’hui, il nous lance une invitation. Je suis ravi que nous puissions l’intégrer à notre planning.

— Effectivement, dit Thrawn. Voyons ce qu’il nous a préparé, cette fois.

*

— Je ne comprends vraiment pas la finalité de cette réunion, commandant, dit le maire Pord Benchel.

Ses traits sont tendus et sa gorge serrée. Dans sa voix transparaissent ressentiment et frustration.

— Les réponses aux questions que vous me posez se trouvent dans nos rapports et nos déclarations sous serment remis à Coruscant. Vous ne les avez pas lus ?

— Si, dit Thrawn. Le but de cette réunion est de pouvoir vous rencontrer en personne, vous et le reste du comité de la dispute.

— Ce n’est pas un comité de la dispute, intervint Lenora Scath.

La colère se lit sur son visage et se devine au ton de sa voix.

— C’est un comité pour la justice. C’est nous qui sommes attaqués, commandant, pas les Cypharis.

— Les rapports suggèrent qu’il s’agit d’une dispute, dit Thrawn. Voilà pourquoi je vous désigne en ces termes.

— En aucun cas nos rapports, rétorqua Brigte Polcery.

Les traits de son visage et sa voix traduisent également de la colère.

— Aucune personne sensée ne pourrait croire cela.

— Insinuez-vous que je manque de bon sens ? demanda Thrawn avec douceur.

— Non, bien sûr que non, répondit précipitamment Polcery.

Sa colère laisse place à de la prudence.

— Je dis simplement que vous ne pouvez pas croire les Cypharis. Leur système clanique fait que chaque individu répète ce que le chef dit.

— Je vois, dit Thrawn. Êtes-vous d’accord avec ceci, monsieur Tanoo ?

— Pardon ? demanda Clay Tanoo.

Sa posture trahit de la surprise et de la nervosité.

— Je vous demande si vous pensez que nous devons mettre en doute la véracité des rapports des Cypharis.

— Oh, fait Tanoo, le regard posé sur les autres. Oui, évidemment. Le système clanique, voyez-vous.

— C’est ce que j’ai cru comprendre, dit Thrawn. Selon des sources fiables.

Leur expression change. Benchel et Scath se demandent si c’est une insulte. Polcery et Tanoo en sont convaincus. Une partie des soixante-treize personnes présentes dans la salle de réunion partagent cette impression. La plupart sont simplement nerveuses ou effrayées. Celles qui se trouvent au fond de la pièce sont peut-être trop loin pour entendre les conversations. Les murs de la salle sont ornés de bannières contant la vie sur Cyphar. Les motifs et dessins peignent les épreuves passées ainsi que l’espoir en l’avenir. En filigrane, on lit l’attachement à la famille et la méfiance à l’égard de tout pouvoir extérieur.

— Merci. Vous pouvez reprendre le cours de vos activités.

— Merci, commandant, dit Benchel. Pourriez-vous nous dire quelles sont vos conclusions ?

— Je n’ai guère eu le temps de prendre une décision, maire Benchel. La prochaine étape pour moi sera de visiter les territoires disputés.

— Je vous le déconseille, commandant, dit Polcery. Les Cypharis ont menacé d’attaquer tous ceux qui se rendraient sur leurs terres sans y être autorisés.

— C’est ce que j’ai entendu dire, répondit Thrawn. Fort heureusement, le chef afe Joko m’y invite.

Les visages et les corps s’animent de mouvements furtifs, mais éloquents.

— Eh bien, bonne chance à vous, dit Benchel. Je vous conseillerais toutefois de vous faire escorter par la garde.

Trois minutes plus tard, la navette s’élevait dans les airs et survolait le paysage.

— Vos conclusions, aspirant Vanto ? questionna Thrawn.

— Je n’en suis pas sûr, commandant, répondit Vanto, l’air songeur. Le maire Benchel est un choix évident – il est expansif et passionné, nous n’avons entendu quasiment que lui. Mais je pense qu’il est peut-être un peu trop expansif.

— Et les autres ?

— Je dirais Scath et Polcery. Peut-être Tanoo, mais il a l’air un peu bête et naïf. Je ne vois pas Nightswan lui confier d’importants secrets.

— Vous oubliez que la conspiration était déjà en place quand ils ont fait appel à Nightswan, lui rappela Thrawn. Il n’a pas choisi ses complices. Qui d’autre ?

— Je n’ai rien perçu chez les dix autres membres du comité. Autant que je puisse en juger, ce sont de simples colons victimes des circonstances ou manipulés. Idem pour les spectateurs.

— En effet, dit Thrawn. Mes félicitations, aspirant. Vous vous êtes nettement amélioré.

— Merci, commandant, répondit Vanto. Qui ai-je oublié ?

— Personne, dit Thrawn. Scath, Polcery et Tanoo sont effectivement impliqués dans la conspiration. Le maire Benchel, comme vous le présumiez, fait partie des dupés. Avez-vous d’autres suppositions ou conclusions ?

— Pas pour l’instant, commandant, répondit Vanto.

— Nous avons encore du temps devant nous, lui assura Thrawn. Poursuivez votre étude. Nous en reparlerons après avoir rencontré le chef Joko.

*

Eli s’était renseigné rapidement sur les Cypharis pendant le trajet à bord du Sphex d’Orage. La représentation qu’il se faisait des indigènes était celle d’insectes ressemblant à des branches avec un museau comme celui des Rodiens et d’étroites bandes de fourrure rouge.

Le portrait s’avéra fidèle.

— Je ne sais que vous dire, commandant Thrawn, dit le chef Joko dont la voix était à la fois grinçante et aiguë, mais mélodieuse.

C’était une combinaison intéressante, une voix telle qu’Eli n’en avait jamais entendu auparavant.

— Les rapports des membres de mon clan sont authentiques et détaillés. Les humains de l’enclave Hollenside ont traversé la frontière à de nombreuses reprises pour voler ou saccager nos récoltes, attaquer ou incendier nos fermes.

Il tendit son long bras derrière lui pour venir tapoter la paroi du temple conique dans lequel il recevait les deux Impériaux.

— Une maison a également été incendiée, ajouta-t-il.

— Une chance que le temple du clan n’ait pas été touché, dit Thrawn en observant la structure et la douzaine de motifs qui l’ornaient. Cet endroit recèle des trésors de la culture et de l’histoire du clan afe.

— Oui, dit Joko. Peu de dignitaires de l’Empire le remarqueraient. Il s’en trouverait encore moins pour l’apprécier.

— Peut-être. Avez-vous été confrontés aux assaillants ?

— Nos sentinelles ont surpris les intrus par trois fois, dit Joko. En deux de ces trois occasions, elles ont été attaquées.

— Des blessés ou des morts ?

— Huit blessés. Pas de mort.

— C’est déjà ça, dit Thrawn. Espérons que nous parviendrons à apaiser la situation avant qu’elle ne s’envenime.

Il finit d’inspecter le temple et reporta son attention sur Joko.

— Étudions à présent la face cachée des choses, reprit-il. J’ai entendu dire que des membres du clan afe ont franchi la frontière dans le but de pénétrer l’enclave Hollenside.

— Ne rien faire, c’est encourager d’autres attaques, se justifia Joko, le museau froncé. Oui, nous avons franchi la frontière. Oui, nous avons riposté à la mesure des attaques que nous avons subies. Mais nous n’avons jamais attaqué les humains sur leur territoire.

— Vous ne vous êtes pas défendus contre des gardes humains ?

— Si, répondit Joko, alors que son museau se détendait et que l’extrémité de sa fourrure devenait légèrement orangée. Mais nous n’avons tiré que pour faire diversion et les repousser. Pas pour les blesser ou les tuer.

Ce qui entrait en contradiction avec les rapports du maire Benchel, se souvint Eli. Selon lui, plusieurs membres de la garde civile avaient été blessés par des tirs dont ils étaient la cible. Et comme Thrawn le pensait à juste titre, Benchel ne faisait pas partie de la conspiration et, par conséquent, il n’avait aucune raison de mentir.

À moins que l’une des sentinelles ne lui ait menti, auquel cas son rapport n’aurait aucune valeur.

Eli soupira intérieurement. Tout cela semblait si simple pour Thrawn.

— J’aimerais voir l’endroit où la première de ces incursions a eu lieu, dit ce dernier. Un guide pourrait-il nous y emmener en navette ?

— Il n’y a pas besoin de guide ou de navette, dit Joko qui dépliait ses jambes croisées comme se délierait une tresse. Nous y sommes déjà. Voulez-vous bien m’accompagner ?

— Bien sûr, répondit Thrawn en se levant.

Eli, surpris, se redressa précipitamment.

— C’est une chance que les incursions se soient produites si près du temple.

— Il faut savoir provoquer la chance, dit Joko dont le museau s’élargit. J’ai anticipé votre requête.

Il écarta les bras pour embrasser d’un geste toute la structure.

— Le temple du clan est mobile. Venez, je vais vous montrer.

*

— Ici, dit Joko.

Il s’arrête au bord d’un champ où se dressent des épis desséchés.

— C’est ici, alors que nous n’avions pas encore procédé à la récolte, que les humains sont venus pour la première fois sur les terres afes.

Thrawn parcourut le champ du regard en se demandant à quoi pouvaient ressembler les plants en fleur. Les épis restants ne lui permettaient pas de se faire une idée.

Il regarda en direction du temple du clan, situé à une centaine de mètres derrière eux. Sa forme et sa structure répondaient à des motifs que l’on retrouvait dans l’écriture et les dessins qui tapissaient les parois intérieures de l’édifice.

Motifs et connexions. Finalement, tout se résumait à ça. Motifs et connexions dans la nature ; motifs et connexions des choses créées ; motifs et connexions dans la guerre.

Motifs chez les humains et les contrebandiers humains. Motifs chez les Afes et dans leur défense. Motifs dans les agissements de Nightswan.

Quels motifs avait-on ici ?

— Les airspeeders survolent-ils fréquemment le secteur ? demanda-t-il.

— Pas régulièrement, répondit Joko. Il arrive qu’un vaisseau aille de l’enclave humaine à la colonie twi’lek.

— Des photos du sol ont-elles été prises durant ces vols ?

— Pas à ma connaissance, dit Joko.

Il touche son œil.

— Nous voyons la terre de notre hauteur.

Puis il pointe le ciel.

— Nous n’avons pas besoin de la voir depuis les nuages.

— Toutes les informations et tous les points de vue sont utiles, dit Thrawn. Aspirant Vanto, calculez s’il vous plaît la trajectoire la plus probable.

— C’est inutile, dit Joko.

Il tira une petite boîte plate de sa ceinture sur laquelle il pianota.

Une gigantesque holocarte de la zone apparut à dix mètres devant eux, à la verticale, et d’une superficie de vingt mètres carrés. Joko manipula la boîte et la vue s’élargit.

— Il y a deux grandes villes, pour le voyage dans les airs, dit-il en pointant l’holocarte.

Il pianota de nouveau sur la boîte et la mise au point se fit sur le lieu où ils se trouvaient.

— Aucune route ne survole l’endroit où nous sommes.

— Oui, je vois, dit Thrawn.

Il étudia l’holocarte puis le champ avant de revenir à la carte. La totalité du champ était visible depuis un airspeeder, même si cette zone était moins visible.

Un isolement limité offrant un anonymat limité. Peut-être que quelque chose avait été apparent avant la récolte et ne l’était plus aujourd’hui.

— Aspirant, il me faut une liste de tous ceux qui ont emprunté ce couloir aérien au cours de l’année écoulée. Chef Joko, les Afes ont-ils noté quelque chose d’inhabituel lors de la récolte de ce champ ? Des épis ont-ils été détruits pour maladie ou malformation ?

— Des plantes meurent dans tout champ, répondit Joko. Ce qui est le cas dans celui-ci. Mais il est globalement fertile et l’eau est abondante, nous continuons donc à le cultiver.

Des épis plus petits et plus fins que les autres formaient une bande de quatre mètres de large. Elle partait du bord du champ et dessinait un chemin sinueux jusqu’au centre du champ.

— Les dégâts concernent-ils cet endroit précis ?

— Oui.

Joko le regarde, le haut du corps penché comme s’il voulait que ses yeux soient au niveau de ceux du soldat de l’Empire.

— Les épis rabougris sont en effet le signe d’un problème dans le développement de la plante. Vous êtes très observateur, commandant Thrawn.

— Votre carte indique-t-elle les lieux du territoire afe où ont eu lieu les méfaits des humains ?

Joko manipula la boîte. Le focus se fit une nouvelle fois. Une douzaine de points rouges clignotants apparurent lorsqu’il appuya sur un certain nombre de touches. Ils étaient tous situés au nord du champ face auquel se trouvaient les Impériaux.

— Les points les plus sombres représentent les attaques les plus récentes.

— Vos représailles contre les humains ?

Quatre points bleus apparurent, à proximité des quatre points rouges situés le plus au nord.

— Nous avons été très patients, dit Joko. Mais nous avons été contraints de riposter.

— C’est compréhensible.

Les motifs. Et l’un d’entre eux était en train de poindre.

— Vous mettrez certains de vos villages sous surveillance cette nuit. Lesquels ?

Joko se redresse.

— Pourquoi posez-vous la question ?

— Je pense être en mesure d’anticiper les projets des conspirateurs humains, dit Thrawn. Je souhaite voir votre déploiement afin d’ajuster mes propres plans.

Joko garde le silence quelques secondes puis presse une touche. Trois points jaunes apparaissent sur la carte, l’un à proximité du point rouge situé le plus au nord, les deux autres encore plus avant dans cette direction.

— Leur audace les pousse à se rapprocher de nos grandes villes. Nous surveillerons ces villages pour contrer toute tentative. Des gardes seront chargés de les poursuivre jusqu’à leur repaire et de les y piéger.

— Oui.

Le déploiement suivait le même motif que les dessins du temple. Les conspirateurs le connaissaient probablement ; les deux espèces vivaient côte à côte depuis des années.

— Je vais vous faire deux suggestions. La première : ne lancez pas de gardes à leur poursuite. Déployez-les pour protéger vos villages.

— Vous nous refusez le droit de répliquer ?

— Je pense que les assaillants espèrent vous pousser par la ruse à franchir la frontière pour affirmer ensuite que vous avez envahi l’enclave, dit Thrawn. En restant sur votre territoire, vous ne leur donnerez pas le bâton pour vous faire battre.

— Pourtant, il sera possible de prouver qu’ils ont attaqué les premiers, dit Joko. Nous n’avons nullement l’intention de recourir à la violence. Nous voulons simplement identifier les envahisseurs en les poursuivant.

— Je recommande toutefois que vous vous en absteniez.

— Pendant combien de temps, commandant Thrawn ?

L’extrémité de la fourrure de Joko devient brièvement orange.

— Combien de temps devrons-nous nous incliner devant notre ennemi ? ajouta-t-il.

— Cela prendra fin cette nuit.

Le regard de Joko passa de Vanto à chacun des cinq stormtroopers qui composaient l’escorte puis se reportèrent sur Thrawn.

— Cette nuit.

— D’ici là, je mets mon escorte à votre disposition pour défendre vos villages. Sachez que leurs blasters seront en mode incapacitant. Je ne tuerai aucun membre des deux factions.

— Mais certains de ces humains sont des criminels.

— Quand leur culpabilité sera établie, ils connaîtront la justice impériale, dit Thrawn. En attendant, il n’y aura pas de morts.

— La justice impériale.

La voix et la posture de Joko laissent transparaître du mépris.

— Très bien, commandant Thrawn. Je vous crois. Pour le moment. Vous retournez à votre vaisseau pour échafauder un plan ?

— Non, dit Thrawn. L’aspirant Vanto et moi passerons la nuit ici.

— Sur notre monde ?

— Ici même, répondit Thrawn. Voulez-vous bien laisser la structure en place pour notre usage ?

— Pourquoi ?

— J’aimerais observer les plantations à la lumière de la lune. Parfois, un spectre de couleurs différent révèle de nouvelles pistes.

— Vous ne trouverez aucun indice de cette façon, dit Joko. Mais je vous laisse la structure. Faites comme il vous plaira.

— Merci, dit Thrawn. J’ai une dernière requête. Je sais que nombre des vôtres vivent dans ce district. J’aimerais qu’ils le quittent pour la nuit.

— Tous ?

— Tous, confirma Thrawn. Ils peuvent s’installer dans les collines ou de l’autre côté de la rivière, mais ils doivent tous quitter cette zone.

— Mais ça va être le chaos, dit Joko. Il leur faudra abri et provisions. De nombreuses familles et de jeunes enfants vont se retrouver sur les routes.

— Ce ne sera que pour la nuit, lui opposa Thrawn. Le peuple du clan afe peut sûrement endurer quelques désagréments durant une nuit pour que sa terre lui soit rendue.

— Vous pouvez nous promettre une résolution si prompte ?

— Je vous promets la justice impériale, répondit Thrawn. Déplacez votre peuple. Je vous contacterai dès qu’il pourra revenir chez lui en toute sécurité.

Cinq minutes plus tard, les stormtroopers et les Afes partaient, les premiers à bord du Sphex d’Orage, les seconds dans les vieux landspeeders du clan.

— Aspirant ? dit Thrawn en invitant Vanto à prendre la parole.

— Vous vous attendez à ce que les conspirateurs viennent ici ce soir, dit ce dernier. Probablement en nombre.

— Pourquoi ?

— Parce qu’ils pensent que vous vous prononcerez en faveur des Afes et que vous leur bloquerez ainsi l’accès au gisement. C’est peut-être leur dernière occasion d’y accéder et ils feront en sorte qu’elle soit des plus profitables.

— Très bien, dit Thrawn.

Le cheminement de Vanto était inexact, mais la conclusion était correcte. Il reprit :

— S’ils ont déjà fait l’expérience de la justice impériale, ils ne s’attendent pas à une décision rapide. Mais une longue enquête maintiendrait braquée l’attention sur cette région, ce qui les empêcherait de revenir sans être repérés.

— Ah, dit Vanto, quelque peu ébranlé. Je vois.

— Mais votre conclusion au sujet du raid est valide, dit Thrawn. À quelles conclusions vous amènent les épis flétris ?

— Un empoisonnement au métal lourd, répondit Vanto en reprenant confiance. Ce qui nous indique que le filon est proche de la surface. C’est étrange que personne ne l’ait repéré plus tôt.

— Des gisements de plus grande importance répondent aux besoins métallurgiques de la planète, dit Thrawn. Une veine de cette taille ne vaut peut-être pas la peine qu’on l’exploite.

— À moins que vous soyez un groupe de dix ou vingt personnes qui voient là un moyen de se faire de l’argent facilement.

— Oui. Avez-vous noté le motif qui se répétait lors des raids humains ?

— Ils se déplacent de plus en plus vers le nord, répondit Vanto. Vers les centres à forte densité de population. Je suppose qu’ils essaient de provoquer une réaction chez les Afes.

— Oui, dit Thrawn. Ils ont compris que les Cypharis répondent habituellement en protégeant le dernier site attaqué et deux autres se trouvant sur la route théorique des assaillants. Les conspirateurs ont à la fois l’espoir d’attirer l’attention loin de ce lieu pour que leurs opérations de forage restent secrètes, et de provoquer une attaque des Afes qui se solderait par des pertes humaines.

— Ils veulent que les Afes tuent l’un des leurs ? Simplement pour présenter un dossier plus solide à Coruscant ?

— En partie, dit Thrawn. Mais le plus important étant que les Afes, trahissant leurs valeurs, vivraient dans la honte et la culpabilité. Ce qui pèserait dans les négociations futures.

— Et c’est la raison pour laquelle vous avez conseillé à Joko de rester de ce côté-ci de la frontière, dit Vanto en hochant la tête. Même s’ils n’ont pas l’intention de tuer, on pourrait les pousser à le faire. Vous avez compris tout cela en regardant les décorations du temple ?

— Oui.

— J’aimerais que vous m’appreniez à faire cela, dit tristement Vanto. Si nous attendons de la compagnie, ne devrions-nous pas faire venir des renforts, la Marine ou des stormtroopers ?

— Nous ferons amplement l’affaire à deux, dit Thrawn. Ils ne s’attendent pas à des difficultés.

Vanto sourit tristement à cette idée.

— Je suppose que non, approuva-t-il.