Chapitre 18
De nombreuses histoires circulent à propos des Chiss. Certaines sont authentiques et, pour d’autres, la distance et le temps ont fait leur œuvre.
Cependant, toutes rapportent la même chose : la nécessité de faire preuve de détermination et de respect face aux Chiss. Il faut être résolu, car les Chiss ne traitent qu’avec ceux qui tiennent leurs promesses. Il faut être respectueux, car les Chiss ont besoin de savoir que les promesses seront tenues.
Le guerrier qui veut approcher les Chiss doit garder à l’esprit qu’il existe des différences culturelles entre eux. Mais il ne faut jamais faire l’erreur de croire que la tolérance vaut acceptation ou que toutes les opinions se valent. Certaines choses dans l’univers sont purement et simplement malfaisantes. Un guerrier ne cherche pas à les comprendre ou à les approcher. Il cherche uniquement à les anéantir.
Trois landspeeders décapotables arrivèrent transportant neuf hommes et trois femmes à leur bord. Eli et Thrawn observaient, depuis l’entrée du temple, les intrus qui suivaient scrupuleusement le chemin tracé par les épis atrophiés, les survolant ou navigant parmi eux. Les véhicules s’immobilisèrent à vingt mètres les uns des autres le long du corridor. Les pillards descendirent, se dispersèrent dans le passage et se mirent au travail.
Eli avait espéré que les trois conspirateurs identifiés par Thrawn lors de la réunion seraient de la partie. Il serait plus facile de les inculper s’ils étaient pris la main dans le sac. Mais seul le nerveux Tanoo était présent.
Néanmoins, le fait que les landspeeders aient circulé dans le champ sans se soucier des traces qu’ils laissaient en détruisant les épis confirmait la théorie de Thrawn. Ce serait le dernier raid avant longtemps. En conséquence de quoi, tous ceux qui ne travaillaient pas à faire diversion devaient être présents.
Mais les stormtroopers de Thrawn prêtant main-forte aux Afes, le pillage n’allait pas être aussi rapide et aisé que les oppresseurs l’avaient espéré.
À vrai dire, il y avait même de fortes chances pour qu’ils se fassent tous capturer. Si Eli et Thrawn arrivaient à intercepter également ce groupe, les Impériaux pourraient alors mettre un terme à la conspiration dès cette nuit.
Assurément, les preuves ne manqueraient pas. Chacun des pillards avait deux sacs cylindriques d’un diamètre de quinze centimètres environ attachés à la taille et qui traînaient par terre. Ils marchèrent d’un pas régulier vers la section du filon qui leur avait été assignée, creusèrent le sol avec de petits déplantoirs et placèrent leur butin dans les sacs.
— Intéressant, murmura Thrawn. Tanoo ne creuse pas.
Eli régla ses électro-jumelles. Thrawn avait raison. Tanoo allait d’un pillard à l’autre et testait avec un senseur manuel le minerai qu’ils ramassaient.
— Il vérifie la qualité du filon ? suggéra-t-il.
— Peut-être, dit Thrawn, songeur. Trouvez son dossier. Je veux la liste de ses compétences et de ses domaines d’expertise.
— Oui, commandant.
Eli abaissa ses électro-jumelles et sortit son datapad. Ils avaient déjà consulté un bref rapport concernant les conspirateurs identifiés qui stipulait que Tanoo était un généticien des plantes. Le dossier s’afficha et Eli le parcourut rapidement…
Il fronça les sourcils. Une information avait retenu son attention.
— Il a suivi des études de chimie organique.
— A-t-il déjà été arrêté ou condamné ?
— Rien n’est indiqué, répondit Eli.
Une idée lui vint. Il pianota sur le clavier pour lancer une nouvelle recherche.
— Tanoo n’est pas fiché, mais son frère a été arrêté pour…
Sa voix s’altéra. Puis il lut la suite de l’entrée, la gorge serrée :
— Son frère aîné a été arrêté pour possession d’épice. Une variété rare appelée scarn qui se forme sous les champs de céréales.
Thrawn posa son regard rougeoyant sur lui.
— Des champs de céréales tels que celui-ci ?
— Oui, répondit Eli, un goût de bile dans la bouche.
L’épice, quelle que soit la variété à laquelle elle appartenait parmi la douzaine qui existait, était un fléau pour la galaxie : les usagers de cette drogue terriblement addictive étaient prêts à mentir, voler, agresser et tuer pour s’en procurer.
— Ce truc est davantage un agglomérat de proto-épice, en réalité. Il semblerait qu’il soit nécessaire de raffiner le produit et de le manipuler chimiquement pour en faire du scarn.
— Montrez-moi la méthode.
Eli afficha le document et tendit son datapad. Thrawn lut en silence plusieurs minutes durant. Puis il rendit le datapad à Eli et saisit son comlink.
— Ici le commandant Thrawn, dit-il doucement. Les navettes et les stormtroopers que j’ai demandés sont-ils prêts à décoller ? Bien. Envoyez-les à l’endroit convenu pour récupérer des prisonniers. Que le lieutenant Gimm se joigne à l’escorte de chasseurs Tie. Qu’ils partent au plus vite.
— Reçu, répondit son interlocuteur.
Thrawn raccrocha le comlink à sa ceinture.
Eli se livra à un calcul rapide. Normalement, les préparatifs et le voyage leur prendraient quarante minutes. Mais Thrawn ayant demandé à ce que l’on tienne les navettes prêtes, ils mettraient deux fois moins de temps.
— Combien de stormtroopers attendons-nous ?
— Vingt, répondit Thrawn. Je ne connaissais pas l’étendue de la conspiration quand j’ai donné mes ordres.
— Il est préférable de pécher par excès de prudence, approuva Eli.
Et vingt stormtroopers représentaient un bon excès de prudence.
— Le lieutenant Gimm est-il un nouveau pilote de chasseur Tie ?
— Oui, dit Thrawn. Il est également le meilleur dont nous disposons actuellement.
Eli fronça les sourcils. Il n’était pas nécessaire d’être un as du pilotage pour couvrir les zones dégagées de Cyphar. Thrawn s’attendait-il à ce que les pillards soient équipés d’airspeeders ?
Il envisagea de poser la question puis décida d’attendre de le découvrir par lui-même. Il observa alors de nouveau les intrus à l’aide de ses électro-jumelles.
Ils progressaient vite. Les longs sacs qu’ils traînaient derrière eux commençaient déjà à se remplir.
Les stormtroopers devraient arriver à temps, juste avant que les malfaiteurs ne filent de l’autre côté de la frontière.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? entendirent-ils au loin, en provenance du champ.
Eli grimaça. À moins, bien sûr, qu’ils ne prennent peur et décident de quitter les lieux plus tôt que prévu.
Il porta toute son attention sur Tanoo. L’homme scrutait le ciel nocturne tout en extirpant maladroitement une paire d’électro-jumelles d’une pochette qu’il avait accrochée à sa taille. Il la porta à ses yeux…
— Paramétrez votre arme en mode étourdissant, indiqua Thrawn en dégainant son blaster. Je vais me déplacer d’une centaine de mètres sur la droite et me positionner à côté de la pierre qui marque la frontière.
— Compris, dit Eli.
Scrutant la nuit, il repéra à l’orée du champ l’obélisque grossier.
— Restez ici, poursuivit Thrawn. Je m’occupe des landspeeders et vous, des pillards. Assurez-vous qu’aucun d’entre eux ne passe la frontière.
— Compris, répéta Eli.
Deux contre douze… Tous armés de blasters qui plus est. Un court instant, il espéra que Thrawn avait bien en tête ces probabilités.
— Nous attaquons ensemble ou l’un de nous engage les hostilités ?
— Je commence, dit Thrawn. Vous saurez quand faire feu.
Eli fronça les sourcils.
— Je saurai ? Comment… ?
Mais Thrawn s’était déjà enfoncé dans les ténèbres.
Eli jura intérieurement. Génial. Il plaqua son blaster contre le mur de l’embrasure du temple, avec l’espoir que les lointains cours de maniement d’armes suivis à l’Académie lui reviendraient en mémoire.
— Ce sont des navettes de classe Lambda ! s’écria Tanoo avec angoisse, la voix réduite à des couinements. Il y en a deux. Tout le monde aux speeders ! Allez, allez, allez !
— Oh, écrase, grogna quelqu’un avec mépris. C’est sûrement cet idiot d’officier impérial qui se fait livrer à dîner ou quelque chose comme ça.
Il venait à peine de finir sa phrase que Thrawn ouvrait le feu.
Son premier tir transperça la coque rouillée du landspeeder le plus proche et en détruisit le moteur à répulsion droit. L’avant du véhicule s’éleva dans un crissement métallique tandis que l’arrière heurtait le sol.
Les intrus à proximité des landspeeders firent un bond comme s’ils avaient marché sur une plaque statique. Eli serra les dents en se demandant si le moment d’agir était venu. Le temps de prendre une décision, Thrawn faisait feu de nouveau et mettait hors-service le moteur à répulsion droit du véhicule situé devant lui.
Il n’en fallut pas plus à Tanoo. Après avoir lancé des propos incompréhensibles, il sauta dans le landspeeder le plus proche, le troisième, et tenta de faire demi-tour en direction de la frontière.
Mais les véhicules endommagés et la hauteur des épis à cet endroit lui barraient la route. Il ne parvenait pas à s’enfuir.
Il s’acharna malgré tout, percutant les épis encore et encore, avançant de quelques centimètres à chaque tentative.
Les autres malfaiteurs furent moins impressionnables. Ils coururent vers les véhicules endommagés, leurs longs sacs traînant et rebondissant derrière eux, et dégainèrent leurs blasters pour faire feu en direction de Thrawn. Eli sentit son corps se tendre. Mais tous étant en mouvement et peu doués pour le maniement des armes, personne ne fit mouche. Les pillards se mirent à couvert derrière les landspeeders. À genoux, ils essayèrent de se tasser davantage alors que Thrawn passait en mode tir rapide pour obliger l’ennemi à rester au sol. Les intrus répliquèrent après avoir jeté un coup d’œil par-dessus les véhicules.
Et alors que les deux camps prenaient leurs marques avant de s’affronter, Eli s’aperçut que tous les envahisseurs étaient dans sa ligne de mire. Mieux encore : sur les genoux et plaqués contre les landspeeders, ils étaient statiques et dans l’impossibilité de bouger ou d’esquiver les tirs.
Eli eut un léger sourire. Thrawn avait raison. Il savait qu’il fallait faire feu.
Après avoir visé de son blaster les deux premiers pillards, il pressa la queue de détente.
Le spectre du mode étourdissant étant plus important que celui du mode standard, chaque tir lui permettait de neutraliser deux intrus à la fois. Les conspirateurs se focalisant sur Thrawn avec ses tirs bruyants et menaçants, Eli put atteindre six de leurs membres avant que le reste du groupe réagisse à ce nouveau danger. Ils dirigèrent instantanément leurs tirs vers le temple, obligeant Eli à plonger pour esquiver. Son épaule gauche heurta le sol. Son corps en fut ébranlé et, l’espace d’un instant, il fut incapable de viser ses adversaires.
Avec du recul, il s’agissait d’une mauvaise décision. Jusque-là, il était relativement à l’abri. Il se retrouvait désormais à découvert. Alors que le temple et le sol autour de lui essuyaient un feu nourri, il rampa aussi vite que possible à la gauche de la structure pour atteindre l’une des pierres qui marquaient la frontière.
Après s’être contorsionné sur cinq mètres, il comprit qu’il aurait probablement mieux valu aller dans l’autre sens, au-delà de la ligne de défense des pillards, pour rejoindre Thrawn. Ils auraient alors pu tous deux travailler à retenir leurs opposants le temps qu’arrivent les renforts en provenance du Sphex d’Orage.
Il était trop tard. Jurant dans sa barbe, Eli continua d’avancer et grimaçait à chaque tir qui finissait sa course en grésillant dans les airs ou dans le sol autour de lui…
Puis ce fut soudain le silence.
Prudemment, Eli arrêta de ramper. Toujours le silence. Encore plus prudemment, il leva la tête.
Les hommes et les femmes qui lui avaient tiré dessus étaient étendus par terre, à côté des landspeeders. Thrawn se trouvait près d’eux, debout, le blaster braqué sur Tanoo toujours pris au piège.
Se sentant bête, Eli se leva, s’épousseta du mieux qu’il put et se dirigea vers le commandant.
— Bien joué, aspirant, dit Thrawn, le regard et le blaster toujours braqués sur Tanoo.
Ce dernier avait renoncé à tenter de s’échapper et était penché, résigné, sur le volant de son landspeeder.
— Êtes-vous blessé ?
— Non, commandant, répondit Eli en sentant le rouge lui monter aux joues.
Bien joué ? On était loin du compte.
— Désolé, commandant.
Thrawn lui lança un rapide regard.
— De quoi êtes-vous désolé ? Vous avez rempli votre mission à la perfection.
— Mais je ne les ai pas tous neutralisés, souligna Eli. Et lorsqu’ils m’ont tiré dessus, je suis parti dans la mauvaise direction.
— Je ne m’attendais pas à ce que vous les neutralisiez tous, lui assura Thrawn. Et quand vous avez décidé de faire diversion, j’ai pu me déplacer sans me faire remarquer et vaincre leur résistance.
— Oh, dit Eli sans conviction, pris entre le désir instinctif d’avouer à Thrawn qu’il n’avait pas volontairement fait diversion et la réticence tout aussi naturelle qu’il avait à contredire son commandant alors que celui-ci le complimentait.
Thrawn ne lui laissa pas le temps de sortir de ce dilemme.
— Venez, dit-il. Je suppose que Tanoo est disposé à parler.
Et il l’était en effet.
— Ça n’était pas mon idée, gémit-il, toujours agrippé au volant. C’était celle de Polcery.
— C’est pourtant vous qui avez transformé la proto-épice pour la contrebande, dit Thrawn. C’est votre frère qui vous a enseigné la technique.
— Ils m’y ont forcé, se lamenta-t-il. Je ne voulais pas le faire. Mais ils m’y ont forcé.
— La technique est très intéressante, poursuivit Thrawn comme si Tanoo n’avait rien dit. Une simple modification de la formule donne un produit qui ressemble au scarn mais dont les effets sont considérablement amoindris. Même sous la menace, il était possible de saboter leur opération. Pourtant, vous n’en avez rien fait.
Tanoo se redressa et, même dans les ténèbres, Eli pouvait lire le dégoût sur son visage. Il n’aimait pas perdre et particulièrement face à un non-humain.
— Oh, vous êtes un officier impérial brillant, n’est-ce pas ? Parfait, vous nous avez pris au piège. Et maintenant, quoi de plus ?
— Vous passerez en jugement.
— Et de quoi nous inculperez-vous ?
— De détention de substance illégale, dit Thrawn. D’attaques à l’encontre de villages afes et de leurs habitants.
— Je ne crois pas, dit Tanoo. Voyez-vous, il n’y a pas eu de raids cette nuit. Polcery se doutait que vous chargeriez quand même quelques stormtroopers de monter la garde. Vous pouvez rayer ça de la liste. Et la détention de proto-épice n’est pas illégale.
— Vraiment ? dit Thrawn. Aspirant ?
Eli avait déjà sorti son datapad. Il lança une rapide recherche…
Bon sang.
— Il a raison, commandant. La proto-épice n’est pas une substance illégale. Elle peut être transformée en de nombreux autres produits parfaitement sains et légaux.
— Mais le produit que vous avez créé est illégal, souligna Thrawn.
— Peut-être, répliqua Tanoo. Mais vous ne pouvez rien prouver. Vous voyez, c’est ce que font les autres ce soir, au lieu d’occuper des Cypharis. Ils cachent l’intégralité du produit là où personne ne le trouvera.
— Peut-être.
Thrawn tendit la main vers le landspeeder et arracha le senseur de la ceinture de Tanoo.
— Peut-être pas, ajouta-t-il.
Tanoo rit.
— Si vous pensez qu’il vous suffira de fouiller l’enclave avec ça pour trouver notre réserve, oubliez. La portée de ce truc n’est que de vingt mètres et il ne détecte que la proto-épice, de toute façon. Il faut vous rendre à l’évidence : vous n’avez rien.
— J’ai au contraire tout ce dont j’ai besoin, dit Thrawn avec calme. Vingt mètres suffiront amplement. Une dernière question : qui dans votre groupe a fait venir Nightswan pour vous conseiller ?
Tanoo plissa les yeux.
— Comment le savez-vous ?
— Répondez à ma question.
Tanoo fit la moue.
— C’est Scath, dit-il. Ils ont une connaissance commune et elle pensait qu’il pouvait nous aider.
— Et il l’a fait, répondit Thrawn. Mais pas suffisamment. Son heure viendra. La vôtre est venue.
Et dans un timing parfait, les deux navettes et les trois chasseurs Tie qui les escortaient apparurent. Ils descendaient en piqué. Les navettes décrivirent une boucle, le nez pointé vers le sol, en direction de Thrawn. Les chasseurs s’élevèrent de nouveau pour se mettre en formation.
Dix minutes plus tard, les conspirateurs toujours inconscients étaient à bord de la première navette, les poignets et les chevilles fermement menottés. Pendant ce temps, Eli avait fouillé les landspeeders en espérant y trouver de la contrebande ou toute preuve recevable devant un tribunal.
Mais à part le contenu des sacs, il n’y avait rien. Si au regard de la loi locale la détention de proto-épice n’était pas illégale, et si les autres malfrats étaient restés chez eux durant la nuit et n’avaient pas mené de raid de l’autre côté de la frontière, alors Thrawn n’avait rien.
— Ils sont tous menottés, dit le capitaine des stormtroopers alors que Tanoo, sous la surveillance de deux gardes armés, gravissait d’un pas lourd la rampe du vaisseau avant de disparaître à son bord. Quels sont vos ordres ?
— Ramenez les prisonniers vers leur enclave en survolant les villages afes que je vous ai indiqués, dit Thrawn en lui tendant une datacarte. Si vous êtes témoin de combats, prêtez main-forte aux Afes. Faites tout votre possible pour capturer les assaillants humains vivants, mais vous pouvez recourir à la force létale si vous estimez que cela est nécessaire.
— Oui, commandant, répondit le capitaine. La deuxième navette doit-elle rester ici ?
— Elle part avec vous. Il y aura d’autres prisonniers à récupérer avant la fin de la nuit, que ce soit dans les villages ou à l’enclave. Je garde le lieutenant Gimm. Prenez les deux autres chasseurs Tie pour vous escorter.
— Bien, commandant.
Après un rapide garde-à-vous, le soldat se dirigea vers les navettes en donnant ses ordres.
Quelques minutes plus tard, les vaisseaux reprenaient la route, flanqués des deux chasseurs Tie.
— Et maintenant, mettons un terme à tout cela, annonça Thrawn en pianotant sur le senseur confisqué à Tanoo. Venez.
Le lieutenant Gimm attendait à côté de son chasseur Tie. Il se mit au garde-à-vous quand Thrawn et Eli approchèrent.
— Il paraît que vous avez besoin d’un as du pilotage, commandant, dit-il.
— En effet, lui confirma Thrawn. Sous nos pieds court un filon d’épice à l’état brut appelée scarn.
Le pilote se raidit un peu plus.
— Oui, commandant, dit-il d’une voix sombre. J’en ai entendu parler.
— Ce senseur vous en indiquera la présence, poursuivit Thrawn. Mais sa portée n’étant que d’une vingtaine de mètres, il vous faut voler en rase-mottes. Le filon n’est sûrement pas droit, mais sinueux sur toute sa longueur. Pensez-vous pouvoir le suivre ?
— Puis-je voir le senseur ?
Thrawn lui tendit l’appareil. Le pilote l’étudia, l’agita dans un sens puis dans l’autre autour de lui et hocha la tête.
— Oui, commandant, je peux la suivre, dit-il. Puis-je également suggérer un petit exercice de tir lors de ce vol ?
— Votre enthousiasme est noté et apprécié, lieutenant, dit Thrawn. Mais j’ai cru comprendre que la proto-épice était profondément enfouie à plusieurs endroits et que la chaleur à un certain degré est un facteur déterminant du processus de raffinement. Nous ne voudrions pas la transformer accidentellement en un produit mortel.
— Non, commandant, dit le pilote. Si vous voulez simplement la cartographier, je peux le faire.
— Nous n’allons pas la cartographier, lieutenant, lui confirma Thrawn en sortant son comlink. Comme vous l’avez dit : exercice de tir. Capitaine Osgoode, ici le commandant Thrawn. J’ai un défi intéressant à vous proposer.
*
Eli allait concéder par la suite que cette opération militaire était la plus folle à laquelle il ait assisté ou dont il ait entendu parler.
Mais cela avait fonctionné.
La manœuvre était déjà spectaculaire vue du sol. Elle devait assurément l’être encore plus observée depuis l’orbite basse. Gimm volait en rase-mottes au-dessus du champ, effleurant parfois l’extrémité des épis, puis il survola des pâturages, des marais et d’autres terres cultivables. Il dessinait de douces courbes et de vertigineux zigzags partout où le menait la piste, en suivant toujours le filon de proto-épice dormant sous le sol.
Et, à cinquante mètres derrière lui, une vague embrasée le pourchassait tandis que les turbolasers du Sphex d’Orage suivaient avec précision chacun des mouvements du Tie et labouraient la terre d’un feu purificateur précipitant la proto-épice dans l’oubli.
Le matin venu, comme l’avait prévu Thrawn, tout était fini.
*
— Que faites-vous ? demanda Joko.
Sa voix tremble.
— Attaquez-vous notre terre souveraine ? ajouta-t-il.
— J’ai détruit l’objet de convoitise des conspirateurs, expliqua Thrawn.
Est-ce que le chef était-il vraiment aveugle aux motifs de l’opération, et n’en comprenait-il pas l’issue ?
— La proto-épice disparue, ils n’ont plus de raison de vouloir s’emparer des terres afes, précisa-t-il.
— Vous nous avez attaqués, répéta Joko. Vous avez détruit des terres arables, détérioré des maisons et des sources d’eau.
— Si je n’avais pas détruit le gisement dans sa totalité, les attaques auraient continué.
— L’Empire aurait rendu la justice sans causer de destructions.
— Sans destruction, la justice n’aurait été que temporaire. Les voleurs n’auraient pas renoncé à un tel butin. Ils seraient revenus et vous auriez alors perdu bien plus que des terres arables.
— Quoi ? demanda Joko. Des vergers ? Des ponts ?
— Des vies.
Quelques secondes durant, Joko le fixa en silence. Un silence pesant, empreint d’amertume.
— Je vois que vous vous souciez du bien de mon peuple, finit-il par dire. Mais les vies et les terres auraient pu être protégées autrement. D’une meilleure façon.
— Vous pouvez faire appel de mes actions à Coruscant, dit Thrawn. Ils pourraient me désavouer.
— Mais ça ne réparera pas les dégâts. Je ferai appel. Et je prierai pour que nous ne nous croisions plus jamais.
Lorsque Thrawn débarqua de la navette, il trouva Vanto qui l’attendait.
— Aspirant Vanto, demanda ce dernier. Coruscant a-t-il réagi à mon rapport ?
— Oui, commandant, dit-il avec du dédain dans la voix. Je crains que vous ne leur ayez pas donné satisfaction.
— Leur mécontentement redoublera assurément lorsque le chef Joko leur fera part de son avis sur la question.
— Bien, dit Vanto avec un soupir de résignation. Ils ne sont pas simplement mécontents, ils sont furieux.
— Comme l’on pouvait s’y attendre.
— Ce qui est insensé, dit Vanto en faisant fi du protocole et en laissant poindre sa colère. Vous avez mis un terme au conflit, vous avez mis à jour une conspiration criminelle et vous avez détruit un gisement d’épice. Que veulent-ils de plus ?
— Ils veulent un commandant qui suit la procédure, dit Thrawn. Ils veulent un commandant qui ait besoin de leur avis pour agir.
— Et de leur permission ?
— Peut-être. J’ai compris que de nombreux amiraux aspirent à ce grade pour le contrôle et l’autorité qu’il permet d’exercer. De tels chefs se sentent en danger si des officiers subalternes règlent des problèmes complexes sans leur concours.
— Et bien sûr, tapie dans l’ombre, on trouve toujours la politique.
Perdu dans ses pensées, Vanto le dévisagea.
— Et vous, commandant ? Pourquoi cherchez-vous à monter en grade ? voulut-il savoir.
C’était une question qu’on lui avait posée de nombreuses fois au fil des années. Et Thrawn se l’était posée lui-même. La réponse ne semblait jamais satisfaire celui qui le questionnait.
— Parce qu’il existe des problèmes qui doivent être réglés. Et certains ne peuvent l’être que par moi.
— Je vois.
Vanto garda le silence un moment.
— Le lieutenant Hammerly a pu gagner du temps en prétextant que vous vous entreteniez avec le chef local. Mais ils attendent que vous les rappeliez.
— Bien sûr, dit Thrawn. Je vais le faire immédiatement.
— Qu’allez-vous leur dire ?
— La vérité.
Vanto avait lui aussi posé la question. Il n’était pas plus satisfait de la réponse que les autres.
Thrawn se demanda si quelqu’un en serait un jour satisfait. Ou si personne ne parviendrait jamais à vraiment comprendre.
*
La vérité.
Eli ressassa ces mots alors qu’il parcourait à grands pas la coursive centrale du Sphex d’Orage pour rejoindre ses quartiers. La vérité. Avait-elle jamais été bénéfique à qui que ce soit ?
Depuis qu’il était arrivé dans l’Espace Impérial, Thrawn avait presque toujours dit la vérité. Pourtant, il devait constamment se rendre à Coruscant pour s’expliquer devant des comités d’officiers toujours plus hostiles. Et s’il était encore dans la Marine et aux commandes de son propre vaisseau, c’était uniquement grâce aux interventions de figures telles que le colonel Yularen.
La vérité. Non, dire la vérité n’avait jamais été profitable à qui que ce soit. Elle ne faisait qu’exaspérer ceux qui, pour donner une bonne image d’eux-mêmes, préféraient les mensonges, la confusion et parfois même faire machine arrière.
Et autant que puisse en juger Eli, c’était le cas d’à peu près tout le monde.
Face à lui, la porte du hangar s’ouvrit et le lieutenant Gimm apparut.
— Lieutenant, le salua Eli. Belle performance, tout à l’heure.
— Merci, répondit Gimm avec une expression étrange. Je suis content de tomber sur vous.
— Vous voulez me demander quelque chose, lieutenant ?
Les lèvres de Gimm se tordirent en un sourire ironique.
— Vous ne vous souvenez pas de moi, n’est-ce pas ?
Eli fronça les sourcils en dévisageant son interlocuteur. Cet homme ne lui disait rien.
— Non, lieutenant, admit-il. Je devrais ?
— J’aurais cru, dit Gimm en haussant négligemment les épaules. Évidemment, il faisait très sombre, cette fois-là. Et vous étiez probablement préoccupé.
Eli retint son souffle en comprenant soudain.
— Vous étiez l’un des cadets qui ont attaqué le commandant Thrawn.
— Ce que je nie catégoriquement, bien sûr.
Gimm baissa les yeux ostensiblement vers l’insigne d’Eli.
— Et vous êtes toujours aspirant.
— Un aspirant au service du meilleur commandant de la Marine, répliqua durement Eli.
— Peut-être, dit Gimm. Bien que, d’après ce que j’ai entendu dire, il n’est pas certain qu’il reste commandant très longtemps.
— Nous verrons. Que voulez-vous ?
— Rien, en réalité, dit Gimm. Je voulais simplement que vous sachiez que, malgré tous les efforts du commandant, je ne me suis pas fait virer de l’Académie. À vrai dire, les choses ont plutôt bien marché, pour moi. Le commandant Deenlark est intervenu afin que nous soyons tous les trois transférés à l’Académie Skystrike où nous avons pu nous former au pilotage de chasseurs.
— Tiens donc, dit Eli. Le commandant Deenlark a fait ça ?
Gimm plissa le front l’espace d’un instant.
— Oh, je vois. Vous pensiez que c’était ma famille qui était intervenue.
Il haussa les épaules.
— Peu importe, en réalité, tant que quelqu’un intervient, poursuivit-il. Mais ne le prenez pas mal, aspirant. Rester commandant si longtemps est une performance pour un non-humain des Régions Inconnues. S’il finit lieutenant en charge de réparer les droïdes, eh bien il lui restera toujours ses souvenirs.
— Je suis sûr qu’il lui restera bien plus que cela.
Gimm haussa les sourcils.
— Je suis sûr qu’il lui restera bien plus que cela, lieutenant, corrigea-t-il.
Dans un effort surhumain, Eli réprima l’envie irrépressible de décocher à Gimm un coup de poing qui l’enverrait valser à travers le corridor.
— Je suis sûr qu’il lui restera bien plus que cela, lieutenant.
— C’est mieux, dit Gimm. Je pense que je vais aller prendre un verre avec de véritables officiers, maintenant. Bonne nuit, aspirant.
Il se retourna et descendit le corridor d’un pas vif. Eli, en proie à de déplaisantes émotions, le regarda s’éloigner.
Thrawn avait raison. L’homme était un pilote de chasseur hors pair.
Seulement, il ne saurait probablement jamais à qui il devait cela. À vrai dire, il mourrait sans doute en pensant avoir berné un pauvre non-humain quelque peu imbécile.
Dans un soupir, Eli reprit sa route en se demandant si quelqu’un quelque part se souciait vraiment de la vérité.